© Reuters

La Russie se sert des tribunaux pour faire taire les opposants

Le Vif

Les opposants russes se retrouvent de plus en plus souvent devant les tribunaux, risquant de lourdes peines de détention, comme l’avocat Alexeï Navalny, dont le jugement dans une affaire de détournement de fonds sera connu jeudi.

Opposant numéro un à Vladimir Poutine, Alexeï Navalny fait l’objet d’un acharnement particulier de la justice russe. Trois affaires engagées contre lui comme celle du détournement présumé de 400.000 euros dans lequel le procureur a requis 6 ans de camp, et dont le verdict sera connu jeudi.

Dans trois affaires distinctes, Alexeï Navalny est accusé d’avoir détourné 2,5 millions d’euros appartenant à un parti politique, il a été inculpé d’escroquerie et de blanchiment d’argent avec son frère, et à nouveau d’escroquerie -encore avec son frère- pour une autre affaire où il risque 10 ans de camp.

Accusé en outre d’avoir usurpé son statut d’avocat, Navalny rejette en bloc toutes ces accusations « cousues de fil blanc » et dictées, selon lui, par le Kremlin. « Le but est de faire peur, de montrer qui est le patron et de faire comprendre que toute opposition est inutile », estime de son côté le politologue Dmitri Orechkine.

Evgueni Ourlachov

Début juillet, c’est le maire d’opposition de Iaroslavl qui a été arrêté, avec plusieurs adjoints, accusé d’avoir extorqué 325.000 euros à un entrepreneur de cette ville située à 300 km au nord-est de Moscou. Ancien membre du parti au pouvoir Russie unie passé à l’opposition, le maire Evgueni Ourlachov a rejeté ces accusations et dénoncé des pressions à l’approche des élections au parlement local, auxquelles il comptait se présenter.
« On m’avait prévenu qu’on se débarrasserait de moi par n’importe quel moyen », a-t-il déclaré à la chaîne câblée Dojd, soulignant que l’entrepreneur qui l’avait dénoncé était membre du parti au pouvoir.

Sergueï Oudaltsov

L’un des leaders de l’opposition, Sergueï Oudaltsov, encourt, lui, 10 ans de camp pour « préparation à l’organisation de troubles massifs ». Il a par ailleurs été inculpé pour « participation à des troubles massifs » dans le cadre des heurts qui ont suivi une manifestation le 6 mai 2012 à Moscou, à la veille de l’investiture au Kremlin de Vladimir Poutine pour un troisième mandat.
Assigné à résidence à son domicile à Moscou depuis février, avec interdiction d’en sortir, d’utiliser le téléphone ou internet, Sergueï Oudaltsov rejette catégoriquement ces accusations.
Une trentaine de personnes sont actuellement inculpées pour les heurts lors de la manifestation du 6 mai et le procès de douze d’entre elles, passible de 8 ans de camp, s’est ouvert le mois dernier à Moscou. « Notre Etat autoritaire est en train de construire un Etat policier »

Certains sont accusés d’avoir jeté des bouteilles en plastique, d’autres d’avoir renversé des cabines de WC publics ou résisté à la police.

L’opposition, qui a accusé la police d’avoir provoqué les heurts, considère ce procès comme emblématique de la répression par le Kremlin du mouvement de contestation qui s’est développé après les élections législatives contestées de fin 2011, remportées par le parti de Vladimir Poutine.

« Cela fait déjà longtemps dans notre pays que la justice obéit à des ordres politiques, mais cette tendance ne fait qu’augmenter. Notre Etat autoritaire est en train de construire un Etat policier », a commenté Lioudmila Alexeeva, ancienne dissidente soviétique et militante pour les droits de l’homme.

Prenant les devants, par peur d’être arrêtés, certains ont jugé bon de quitter le pays, comme l’opposant et champion d’échecs Garry Kasparov, qui a annoncé en juin dernier à Genève qu’il ne rentrerait pas en Russie. « Si je reviens à Moscou, je doute sérieusement avoir la possibilité de sortir à nouveau du pays », avait déclaré l’ancien champion du monde d’échecs co-fondateur des mouvements d’opposition L’Autre Russie et Solidarité.
Kasparov a été accusé d’avoir « mordu des policiers » au doigt lors d’une interpellation en 2012, délit passible de cinq ans de camp.
Loin de toute opposition active, Sergueï Gouriev, recteur de la prestigieuse Nouvelle école d’économie à Moscou, a annoncé en juin qu’il restait en France et ne retournait pas en Russie par crainte d’être arrêté.

Sergueï Gouriev, qui avait discrètement manifesté son soutien à Alexeï Navalny, avait été interrogé à plusieurs reprises ces derniers mois et fait l’objet d’une perquisition dans le cadre d’un dossier concernant Mikhaïl Khodorkovski – l’oligarque déchu, détenu depuis 2003. Il avait fait partie d’un groupe d’experts mandaté par les autorités pour étudier le bien-fondé de la deuxième condamnation de M. Khodorkovski qui avait conclu que cette condamnation (qui le maintient en détention jusqu’en 2014) était infondée.
Les Etats-Unis et l’Union européenne ont critiqué ces derniers mois diverses mesures prises par le Kremlin contre les opposants et l’adoption de lois limitant la liberté d’expression et l’activité des ONG.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire