© Reuters

La rue arabe ne pleure pas ben Laden

Dans les capitales du Maghreb et du Moyen-Orient, la disparition de ben Laden suscite une relative indifférence. Comme si l’homme appartenait déjà au passé …

La scène se passe dans un wagon du trolley qui relie, sur les hauts d’Alger, les quartiers d’el-Biar et de Chevalley. La mort d’Oussama ben Laden est bien sûr au centre de toutes les conversations. Une vieille femme se lamente : « Il a terni notre image ! Pourvu qu’il n’y ait pas encore, ici, des fous pour l’imiter et faire sauter quelque chose ! » Réponse de son voisin, un jeune Algérois, qui résume assez bien le sentiment de beaucoup d’Arabes aujourd’hui : « Ne vous inquiétez pas, Ben Laden était un has been, et aucun d’entre nous n’allumera une bougie pour lui. »

Dix ans après les attentats de New York et de Washington, le chef d’Al-Qaeda avait largement perdu son aura auprès de la « rue arabe ». Les réactions sont donc plutôt dépassionnées. C’est particulièrement vrai en Egypte. En 2008 encore, selon un sondage réalisé à l’époque par la BBC, Al-Qaeda y bénéficiait d’une forte cote de popularité. Aujourd’hui, la mort de Ben Laden ne semble plus intéresser grand monde : « C’est bien pour les Etats-Unis, mais pour nous cela ne change rien », résume une institutrice cairote. Le mouvement islamiste des Frères musulmans, affirme lui que le décès du chef d’Al-Qaeda devrait « réduire le terrorisme »à avant de demander le retrait des troupes américaines d’Irak et d’Afghanistan. Les réactions sont plus enthousiastes du côté des réseaux sociaux. « Les révolutions de Tunisie et d’Egypte avaient atténué la mauvaise image des Arabes en Occident. Espérons que la mort de Ben Laden y mette fin pour toujours ! » tweette le blogueur Mahmoud Salem.

Même indifférence relative au Liban. « Cela devait arriver un jour, il l’a bien cherché », estime Suzanne, une spécialiste de l’environnement, qui regrette toutefois que les Américains aient jeté à la mer le corps du chef terroriste. « Pourvu que cela ne fasse pas de vagues ! » ironise Nagib. Mahmoud, employé de banque, se réjouit, lui, que cette mort ne soit pas intervenue du temps de George W. Bush et de ses « fanfaronnades ». Mais il aurait préféré que le chef d’Al-Qaeda fût arrêté.

Elle se refuse à le qualifier de « terroriste » Ce point de vue semble largement partagé. « Les Américains auraient dû l’arrêter, pas le tuer », affirme Mamoun, un financier marocain d’une cinquantaine d’années. « Il aurait été préférable qu’il fût condamné et envoyé en prison », renchérit Myriam, une étudiante tunisienne de 23 ans. Elle regrette l’image négative qu’il a donné de l’islam « au point que le monde entier avait peur de cette religion », mais se refuse à le qualifier de « terroriste ». Cette réaction-là est également très fréquente, même chez ceux qui rejettent la vision de l’islam véhiculée par Al-Qaeda. « Je suis contre ce qu’il a fait, mais je n’irai pas jusqu’à le considérer comme un terroriste », confie Hanem, 28 ans, qui travaille dans une agence de voyage du Sud tunisien. Certains aussi s’étonnent de ce que cette mort intervienne au moment où le monde arabe est en pleine ébullition. Au Maroc, Kawtar, une chargée de communication d’une trentaine d’années va même jusqu’à trouver l’histoire « bizarre », au point de soupçonner « une opération de propagande » !

Quelques-uns avouent une certaine sympathie pour l’homme. Comme Medhi, un chômeur tunisien de 32 ans, pour qui Ben Laden était « un homme du peuple ». A Alger, le receveur du trolley refuse, lui, de croire que Ben Laden soit vraiment mort. Il est convaincu qu’il s’agit d’une « mauvaise blague des Américains pour saper le moral des musulmans »à

ANIS ALLIK À ALGER, SCARLETT HADDAD À BEYROUTH, SIHEM HASSAINI À TUNIS, MYRIEM KHROUZ À RABAT.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire