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La rhétorique de la peur de Netanyahou sera-t-elle à nouveau récompensée dans les urnes ?

Le Vif

Il a bâti toute sa campagne sur la menace nucléaire iranienne. Critiqué pour son caractère froid et son aplomb, le Premier ministre sortant ne recule devant rien pour imposer ses vues, quitte à se fâcher avec Barack Obama. Sa rhétorique de la peur sera-t-elle à nouveau récompensée dans les urnes ?

Tandis que Benyamin Netanyahou, lors de sa visite aux Etats-Unis, ces 2 et 3 mars, n’a cessé d’évoquer la menace nucléaire venue d’Iran, Mordechai, qui l’a suivi à la télévision depuis Israël, se disait inquiet lui aussi. Mais sa préoccupation était ailleurs. A l’approche des législatives anticipées du 17 mars, ce militant du Likoud, le parti du Premier ministre, est troublé par la campagne électorale qui tourne au référendum pour ou contre « Bibi » : « Il s’exprime beaucoup au sujet de la sécurité, mais notre mouvement a une base populaire. Nos électeurs veulent que nous parlions de leur vie quotidienne et des charges qui augmentent, d’autant qu’ils nous reprochent parfois de les avoir un peu oubliés depuis quelques années. Le Likoud ne doit pas abandonner ces sujets. » Ses doutes sont partagés par Elie, membre du Likoud, lui aussi : « Il s’appuie trop sur les conseillers en image et sur les réseaux sociaux, pas assez sur les gens de terrain. »

Israël avant les Israéliens

A regarder les principaux indicateurs économiques, la réélection de Netanyahou devrait être assurée : la croissance est au rendez-vous, les terrasses des restaurants sont pleines et le chômage n’inquiète guère. Beaucoup d’Israéliens pestent cependant contre la cherté de la vie et l’écart croissant entre riches et pauvres. En cinq ans, de 2008 à 2013, les prix de l’immobilier ont flambé de 55 % et les loyers, de 30 %, selon un récent rapport du contrôleur de l’Etat, le juge Yossef Shapira. Ce dernier estime que Netanyahou a attendu juillet 2010, un an après la formation de son précédent gouvernement de coalition, pour prendre en main le dossier. A ce reproche à peine voilé, la réponse du Premier ministre tient en 34 mots, sur Twitter : « Lorsque l’on parle du prix des logements et du coût de la vie, je n’oublie pas un seul instant la vie elle-même. La grande menace pour nos vies, c’est actuellement le nucléaire iranien ! »

Une maladresse de plus ? Une conviction, plutôt. L’Iran est le seul enjeu vital, aux yeux de Netanyahou, et son programme atomique représenterait une menace existentielle pour l’Etat juif. Au risque de paraître obsessionnel, c’est le sujet auquel il revient toujours. « L’opinion israélienne lui reconnaît d’avoir alerté le monde il y a une quinzaine d’années sur la menace iranienne, relève Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’Université ouverte d’Israël, à Ranaana. Il apparaît comme un monarque qui défend l’intérêt d’Israël, mais qui oublie les intérêts des Israéliens. » Au fil du temps, Netanyahou n’a cessé de hausser le ton, alors que les négociations en vue d’un accord entre Téhéran et les grandes puissances (1) pourraient bientôt prendre fin. « Il ne permettra à aucun prix que l’Iran atteigne la capacité nucléaire, explique son ami franco-israélien Meyer Habib. Téhéran roule le monde dans la farine. C’est sa mission historique. » La préoccupation sécuritaire ne date pas d’hier, comme le rappelle l’ancien ambassadeur Freddy Eytan, auteur d’une biographie de Netanyahou : « Son monde a basculé à la mort de son frère aîné, Yoni, lorsqu’il est monté à l’assaut d’un avion d’Air France détourné par des terroristes palestiniens, sur l’aéroport d’Entebbé, en 1976. Il a créé une fondation pour lutter contre le fléau du terrorisme. »

La démagogie, pour autant, n’est jamais loin. Avant de s’envoler pour les Etats-Unis, le 1er mars, Netanyahou a joué la dramatisation en se rendant devant le mur des Lamentations, à Jérusalem. Un clin d’oeil appuyé aux nationalistes religieux et aux ultraorthodoxes, avec lesquels il compte s’allier une nouvelle fois après le scrutin du 17 mars. Dans ce pays où le président de la République désigne comme Premier ministre celui qui semble le plus apte à former un gouvernement, Netanyahou estime qu’une telle coalition lui permettra de remporter la mise face à un bloc de gauche revigoré par la création de l’Union sioniste, une alliance entre le Parti travailliste et le parti centriste Hatnuah de Tzipi Livni. Selon les calculs des experts du Likoud, le discours du Premier ministre à Washington pourrait lui faire gagner deux ou trois sièges à la Knesset.

Tandis que ses détracteurs l’accusent d’entretenir un climat de peur permanent, Netanyahou, aux Etats-Unis, a profité de sa stature d’homme d’Etat – son meilleur atout, sans doute, après six ans de mandat (neuf, si l’on compte sa première expérience gouvernementale, entre 1996 et 1999). Maîtrisant à la perfection les codes de l’Amérique, il a usé de sa voix de stentor pour jouer les cassandres, un rôle hérité en partie de son père, qui fut le collaborateur de Zeev Jabotinsky, chef spirituel de la droite sioniste dans les années 1930… A contrario, son rival principal, Yitzhak Herzog, chef de file de l’Union sioniste, a été si souvent raillé pour sa voix fluette qu’il a diffusé un clip ironique dans lequel il est doublé par une voix grave ! « Est-ce bien sérieux de ne pas me faire confiance pour cela ? » demande-t-il.

Au jeu des apparences et des comparaisons – de l’avis même de gens de gauche -, Herzog part perdant. Issu d’une lignée d’hommes exemplaires – son père, Chaim, fut président d’Israël et son grand-père, Yitzhak Halevi, grand rabbin -, cet avocat apparaît comme un nouveau venu sans expérience crédible, malgré ses fonctions passées aux ministères du Tourisme, des Relations avec la diaspora et de la Protection sociale. « En Israël, la représentation qu’on se fait du leadership n’est pas comparable à un pays européen, où prime l’économie, souligne Otniel Schneller, ancien élu Kadima. Les postes régaliens comptent, tout comme l’idéologie ou la notion de puissance. Il en va de la survie du pays. » Et la longévité aux affaires est perçue comme un atout, malgré l’usure du pouvoir : « Elle confère à Netanyahou de l’autorité, note un diplomate. Un facteur important dans cette région qui en manque, dit-on, depuis les révoltes arabes de 2011. »

Ces derniers jours, tous les débats ont tourné autour de la dispute entre Netanyahou et Barack Obama, que le premier est venu défier sur son terrain à l’invitation du président, républicain, de la Chambre des représentants, sans en informer la Maison-Blanche. Avec un aplomb considérable, le Premier ministre a pris le risque de briser le consensus traditionnel entre démocrates et républicains sur Israël – en 2008, il avait déjà affiché sa préférence pour Mitt Romney contre Barack Obama. Mais sa démarche est applaudie par Youval Steinitz, ministre des Affaires stratégiques : « Si Benyamin Netanyahou s’était rendu à Washington pour approuver les négociations sur le programme nucléaire iranien, cela n’aurait pas provoqué de tensions, confie-t-il au Vif/L’Express. Demander à Israël de se taire n’était ni juste ni réaliste. Nous, les juifs, avons appris de l’Histoire que nous ne devons jamais garder le silence. » Le politologue de gauche Ilan Greilsammer décrypte : « Depuis la Shoah, où personne n’est venu au secours des juifs, il y a l’idée que le monde entier est contre nous et qu’Israël ne peut compter que sur lui-même et sur son armée. Une telle rhétorique, caractéristique de Netanyahou, commence à s’user. Mais elle fonctionne encore. »

La visite controversée aux Etats-Unis pourrait se révéler payante. « Quand on voit comment il s’élève contre l’Amérique, comment il résiste, ça nous fait du bien », affirme Tomer Ashwal, membre du Likoud. Tous les Israéliens se souviennent que le président américain, en 2009, nouvellement élu, n’était pas passé par Jérusalem après son grand discours au Caire. Et les stratèges rappellent qu’Obama avait applaudi la révolution égyptienne, au point de lâcher Hosni Moubarak, socle de la stabilité au Proche-Orient. « La prudence de Netanyahou à l’égard de Washington s’est renforcée à ce moment-là », confie un homme de l’ombre.

Avec les autres chefs d’Etat et de gouvernement, comme avec les alliés de sa coalition ou les simples citoyens, les relations personnelles ont toujours été le talon d’Achille de Netanyahou. Un signe parmi d’autres : la plupart de ses challengers de droite ont déjà travaillé sous sa coupe avant de le quitter, qu’ils soient d’extrême droite (Avigdor Lieberman, Naftali Bennett) ou du centre (Moshe Kahlon). A présent, Netanyahou semble assuré de recueillir les voix des premiers, mais certains centristes pourraient regarder ailleurs. « J’ai conseillé au Premier ministre de sortir de son bureau, de rencontrer des gens dans la rue, d’inviter certains ministres à déjeuner, confie un membre du comité central du Likoud. Peine perdue. » Freddy Eytan précise : « Il est comme son père : un outsider, qui n’appartient ni à l’intelligentsia ni à l’establishment. » Son verbe, son mépris pour les règles du jeu, son culot et son train de vie sont souvent fustigés.

« La chance de Bibi, c’est qu’il n’a aucun poids lourd en face »

Pour autant, personne ne se risque à le déclarer vaincu. Netanyahou a déjà été réélu à trois reprises. Pas si mal, pour un politicien jugé froid et méfiant, qui polarise les critiques comme aucun autre et dont l’épouse, Sarah, ne contribue guère à adoucir l’image : soupçonnée d’avoir empoché des consignes de bouteilles achetées par l’Etat, elle fera l’objet d’une enquête judiciaire au lendemain des élections. « La chance de Bibi, glisse un membre du Likoud, c’est qu’il n’a aucun poids lourd en face. »

Dans son appartement, à Jérusalem, l’historien Zeev Sternhell semble las. « Si Netanyahou repasse, ce sera la routine, lance-t-il. Rien ne changera. Ni dans la société, ni en ce qui concerne les Palestiniens. Dans deux ou trois ans, une nouvelle guerre nous opposera au Hamas, à Gaza, qui se révoltera face à une situation intenable. Israël continuera de s’enfoncer dans un cul-de-sac. Si la gauche était sérieuse, elle dirait que notre problème existentiel dépend non pas de l’Iran, mais de nos relations avec les Palestiniens. Nos petits-enfants devront vivre avec eux pendant des générations. » De cet avenir-là, on ne parle guère.

De notre envoyé spécial, Romain Rosso

(1) Etats-Unis, Russie, France, Royaume-Uni, Chine et Allemagne. A lire : Israël et ses paradoxes, par Denis Charbit. Le Cavalier bleu, 2015.

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