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La révision de la Constitution turque « va dans le bon sens »

Ce dimanche, les Turcs ont approuvé une révision majeure de leur Constitution. Universitaire engagé pour le « oui », Cengiz Aktar explique l’enjeu de ce référendum.

Quel est l’enjeu du référendum constitutionnel du 12 septembre?

Pour beaucoup de Turcs qui s’exprimeront, ou choisiront de ne pas s’exprimer, il s’agit davantage d’un plébiscite sur le gouvernement islamo-conservateur [AKP, Parti pour la justice et le développement] que d’un référendum.

C’est à l’image du vote sur la constitution européenne, en France, en 2005 : nombre d’électeurs s’étaient prononcés pour ou contre le parti au pouvoir sans regarder la substance du texte. Cela dit, cette fois-ci, le paquet d’amendements proposés à la Constitution de la République (libertés civiles, renforcement du pouvoir civil sur le militaire et le judiciaire) va bien plus loin que les retouches apportées précédemment – seize fois – depuis son imposition en 1982.

Faut-il voir dans les modifications proposées un démantèlement de la part autoritaire du kémalisme?

Je ne parlerai pas de démantèlement, mais de normalisation. Cela remonte plus loin que le kémalisme. C’est un siècle de tutelle jacobine mise en place par les Jeunes-Turcs qui est contesté par ces amendements.

Les milieux libéraux sont divisés sur la réponse à donner à ce référendum. Certains, comme le Prix Nobel de littérature Orhan Pamuk, soutiennent le « oui »…

Je fais partie d’un groupe intitulé Yetmez ama evet ! (« Ce n’est pas assez mais c’est oui ! ») Ce slogan résume notre position. Avec cette réforme constitutionnelle, nous allons dans le bon sens. Il faudra, toutefois, continuer à se battre pour que la démilitarisation en cours soit synonyme de démocratisation et que le pays atteigne le niveau démocratique suffisant pour régler les problèmes intérieurs et extérieurs.

Que faut-il encore réviser dans cette Constitution?

Il faudra réfléchir à une nouvelle constitution car l’actuelle reste une camisole pour la Turquie. Les modifications proposées ne facilitent pas le problème n° 1 du pays, la question kurde. Notre système administratif, calqué sur celui de la France jacobine, doit être décentralisé. L’enseignement reste fondé sur l’usage d’une langue unique, le turc.

D’autres intellectuels libéraux militent, eux, pour le « non ». Pourquoi?

Ceux-là voient un leurre dans l’actuelle réforme. Ils craignent que celle-ci ne soit l’occasion pour l’AKP de renforcer son emprise sur le pays. Ils redoutent une tutelle sur le système judiciaire, et au-delà sur l’appareil d’Etat, par les confréries islamiques. Ils s’inquiètent aussi de l’avènement d’un régime de type semi-présidentiel. Nombre de femmes imputent des arrière-pensées à l’actuel gouvernement. A mon avis, ce sont des peurs exagérées. En Turquie, même si certaines municipalités ici ou là bannissent sa vente, on boit toujours autant d’alcool. Ce n’est pas l’Iran.

L’armée reste-t-elle aussi populaire?

Non. Elle fait les frais des révélations au fil du procès Ergenekon sur l’existence d’une conjuration en vue d’un coup d’Etat. Aujourd’hui sur la défensive, elle se préoccupe de sauver ce qui peut l’être. De fait, il n’y a pas de politique de défense stricto sensu. Le chef d’état-major ne relève pas du ministre de la Défense, mais du Premier ministre. Et l’armée continue à imposer ses choix dans l’achat de matériel et son organisation.

Le parti prokurde a appelé au boycottage du vote…

C’est un signe inquiétant de l’aliénation d’un pan de la classe politique kurde vis-à-vis de la politique nationale. Cela n’empêchera pas de nombreux Kurdes de voter « oui ».

L’UE salue cette révision de la Constitution. Cela débloquera-t-il les négociations sur l’adhésion?

Non. Les blocages sont ailleurs, au niveau de la République de Chypre et de Nicolas Sarkozy. Mais si la Constitution est amendée, je ne doute pas que la présidence belge de l’UE applaudisse. La main de ceux qui veulent en Europe que les négociations se poursuivent en sera renforcée.

(1) Professeur à l’université Bahcesehir d’Istanbul, il a publié en 2010 L’Appel au pardon. Des Turcs s’adressent aux Arméniens (CNRS Editions).

Par Jean-Michel Demetz

Le « oui » l’emporte

Ce dimanche, le « oui » l’a emporté avec 58% des voix, au référendum portant sur une série d’amendements à la Constitution turque. Un grand succès pour le Premier ministre, dans l’optique des élections législatives qui doivent avoir lieu en juillet 2011 au plus tard.

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