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La psychologie des djihadistes

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Sont-ils fous ? Faut-il être malade pour se faire exploser dans une foule ou rouler à tombeau ouvert sur la Promenade des Anglais de Nice et tuer un maximum de promeneurs avant de se faire inévitablement tuer soi-même ? La psychologie des djihadiste divise les experts. Il s’en dégage néanmoins des points communs qui ne sont guère rassurants.

Très rares sont les expertises psychiatriques qui, dans le cadre d’un dossier judiciaire, concluent à une maladie mentale qui permettrait d’exonérer les actes des terroristes de toute responsabilité. Les professionnels sont d’accord sur un point : actuellement, il est impossible de pointer une pathologie qui affecterait en particulier les djihadistes. Pour le reste, ces experts relèvent de nombreuses souffrances auprès des cas examinés. « Ces djihadistes ne sont pas très différents de vous et moi. Ils souffrent de toutes les pathologies que nous connaissons dans la société », relève, pour sa part, le psychanalyste Jean-Michel Hirt dans une interview accordée à FranceTV.

« Anxiété », « dépression », « ego exacerbé ou sous-dimensionné », « personnalité rigide avec un appoint narcissique », « faible estime de soi », « intolérance à la frustration », « pauvreté voire absence d’affects », « immatures et psychopathiques », « sens moral très déficient », « parcours marqué par une forme d’enfermement tant dans sa pensée que dans la réalité de ce qu’il vit »… Voilà autant de constats posés par ces expertises judiciaires, dont celles d’Amedy Coulibaly (le tueur de l’Hyper Cacher, à Paris) ou celle d’Abdelkader Merah (arrêté pour complicité dans les tueries de Toulouse commise par son frère Mohammed), et récemment révélées par l’hebdo français Le Point dans une enquête consacrée à la santé mentale des djihadistes. Dans tous ces dossiers, on ne parle donc pas ou très peu de délire ou de perturbation de la structure mentale. Mais plutôt de mal-être, de déchirements identitaires, de fragilités psychologiques, d’état dépréciatif de soi-même, d’errance, de désespoir…

« Ils ne sont pas fous, mêmes s’ils manifestent fréquemment des troubles psychopathologiques », note le psychanalyste Fethi Benslama, dans son livre « Le surmusulman – Un furieux désir de sacrifice » (Seuil). Le problème est que les islamistes de Daech parviennent à exploiter ce mal-être en lui donnant une résonnance avec des blessures historiques, selon Benslama. D’où sa thèse de « surmusulman » : il s’agit de manifester l’orgueil de sa foi face au monde. Cette surenchère religieuse conduit les « surmusulmans » à un sentiment de toute-puissance. Raison pour laquelle le djihad attire tant de délinquants, explique le spécialiste qui a rencontré de nombreux jeunes radicalisés. Ces délinquants rejoignent le djihad « par désir d’être des hors-la-loi au nom de la loi, une loi supposée au-dessus de toutes les lois, à travers laquelle ils anoblissent leurs tendances antisociales, sacralisant leurs pulsions meurtrières. »

« Aucun criminel n’est à l’aise dans sa culture et bien dans sa peau, résume Jean-Michel Hirt. Ce sont des individus qui souffrent de profonds troubles psychiques qu’ils n’arrivent pas à résoudre et qu’ils projettent violemment sur autrui ». Pour ce psychanalyste, auteur de l’essai « Lire à l’infini le Coran » (Bayard), ce n’est pas la religion qui suscite la haine. « L’élément-clé, c’est le contexte psycho-culturel. S’il vous garantit que l’acte criminel que vous accomplissez est ce qu’il y a de mieux à faire, vous en retirez un grand bénéfice psychique. La même chose se passe dans la mafia, où le crime est perçu comme une initiation, un rite d’appartenance pour des gens qui se trouvent exclus ou se vivent comme rejetés par leur société. »

Le sentiment de toute puissance, Stéphane Bourgoin, spécialiste des tueurs de masse et des tueurs en série, le constate aussi chez les djihadistes. « Nemmouche, le tueur du musée juif de Bruxelles, c’est la mentalité du serial killer pour qui le djihad est juste un habillage, déclarait-il au Vif en 2014. Il est motivé par le plaisir d’humilier, de dégrader, de chosifier ses victimes. » La même comparaison est tentée par la criminologue française Lygia Négrier-Dormont : « Les tueurs de masse sont, eux aussi, des intolérants de natures idéologique, philosophique ou religieuse. Ils n’accordent pas le droit à autrui de penser différemment. » On l’a vu avec Anders Breivik en Norvège, le tueur de l’île d’Utoya. Ce qui rassemble également tueurs de masse et djihadistes, c’est la volonté d’être célèbre. « Une célébrité qu’aucun n’aurait pu atteindre autrement car leur parcours personnel est médiocre et parsemé d’échecs », explique Bourgoin.

Cette célébrité entraîne inévitablement un phénomène d’imitation, comme on l’observe depuis la tuerie du lycée Columbine qui a inspiré de nombreux autres tueurs par la suite. « Il y avait chez Nemmouche une volonté de copier Merah », souligne Stéphane Bourgoin. Un phénomène mimétique amplifié par Internet et les réseaux sociaux très utilisés par les djihadistes pour leur propagande. Fin 2015, le sociologue et auteur de La pensée extrême (PUF) Gérald Bonner identifiait 46 000 comptes Twitter utilisés par des membres ou des sympathisants de Daesh. Ces comptes étaient suivis par un millier de followers en moyenne, soit cinq fois plus qu’un compte classique.

Dans ce contexte, les « terroristes de l’intérieur », comme les appelle le département américain de l’Intérieur, répondent simplement aux injonctions de l’Etat islamique à frapper partout où il est possible de le faire, selon ses moyens et son expérience. Ils sont isolés et donc quasiment indétectables, comme le tueur d’Orlando en juin dernier. C’est le scénario prôné par Abou Moussad al-Souri, auteur de « l’appel à la résistance islamique mondiale » publié sur Internet dès 2004. Au djihad centralisé d’Oussama Ben Laden, ce stratège préfère les attaques conçues sans commandement central, un peu comme les tueries de masse, de plus en plus fréquentes et meurtrières aux Etats-Unis. C’est le pire scénario auquel on pouvait s’attendre.

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