Philippe Jottard

La prudence va-t-elle l’emporter en Syrie ?

Philippe Jottard Ambassadeur honoraire, ex-ambassadeur à Damas

Les Occidentaux se préparent à lancer une attaque aérienne sur la Syrie sans disposer du feu vert du Conseil de Sécurité et sur la base d’accusations sans preuve jusqu’à ce jour. N’est-ce pas là une curieuse façon de défendre le droit international sur l’interdiction de l’utilisation des armes chimiques ?

La légitimité du recours à la force ne peut dépendre, on le sait, que d’un accord de ce Conseil. Il faut s’en passer, entend-on chez les partisans de cette attaque, vu le veto de la Russie. Il importe, ajoute-t-on, de maintenir ou plutôt redresser la crédibilité de l’Occident mise à mal par des menaces en l’air de punir l’usage d’armes prohibées.

Et pourtant, dans une situation critique marquée par les tensions parmi les plus graves depuis la fin de la guerre froide, la prudence et le sang-froid s’imposent plus que jamais en vue d’examiner les éléments du dossier et à tout le moins d’attendre les résultats de l’enquête qui va être menée par l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.

Les accusations reposent sur des vidéos produites par des organisations liées aux derniers combattants de l’Armée de l’islam (Jaïch-al-Islam), des salafistes armés et financés par l’Arabie saoudite, qui avaient préféré mener le combat jusqu’au bout afin de ne pas quitter Douma, dernier réduit de la Ghouta orientale aux portes de Damas et ne pas céder aux assauts et bombardements russo-syriens. Les autres membres de l’Armée de l’Islam avaient accepté les offres russes de quitter la Ghouta avec familles et armes légères pour des poches rebelles au nord de la Syrie tout comme d’ailleurs l’avaient fait les combattants de la Légion du Miséricordieux (Faylaq-al-Rahman) proches des Frères musulmans et du Qatar.

On attend encore les preuves annoncées pour vérifier ces vidéos horribles qu’il est facile, admettons-le, de mettre en scène. Sur le plan militaire, l’argument selon lequel des armes chimiques lancées du ciel permettraient aux troupes d’Assad d’éliminer les combattants des tunnels dans lesquels ils se réfugient n’est pas plus convaincant. Alors que le siège de la Ghouta était proche de son terme – l’armée syrienne en a repris à présent la totalité -, et que la guerre en Syrie est dans sa phase finale marquée par la défaite de l’opposition armée, on ne voit guère le profit qu’aurait pu en espérer Bachar-el-Assad même si l’on ne peut exclure non plus une erreur dans la chaîne de commandement syrienne.

Des frappes occidentales ne pourront changer l’issue de la guerre en dépit des dernières illusions de membres de l’opposition et des groupes armés. Elles risquent par contre de la prolonger inutilement et de mener à une escalade guerrière risquée pour la paix internationale, vu la présence de militaires russes au sein de l’armée syrienne et de conseillers iraniens.

La faiblesse irrémédiable de la stratégie occidentale en Syrie a été depuis le début l’absence d’une alternative crédible face à Assad qui lui disposait non seulement de l’appui indéfectible de ses alliés russe et iranien, mais était absolument déterminé de l’emporter dans ce combat existentiel avec sa stratégie anti-insurrectionnelle. Depuis le début du soulèvement, l’opposition n’a représenté à aucun moment une solution meilleure et convaincante pour régler les problèmes de la Syrie: communautarisme, autoritarisme et corruption. Les opposants laïques et libéraux très minoritaires ont été soit éliminés, soit incapables d’imposer un programme démocratique face aux islamistes très majoritaires. L’opposition armée, uniquement sunnite d’ailleurs, encore plus fragmentée et rapidement dominée par les islamo-salafistes et jihadistes, est devenue un repoussoir pour la majorité des Syriens de toutes confessions. La rébellion soit-disant modérée est devenue une fiction qu’il est impossible de présenter comme telle en dépit des campagnes de communication menées par ses tuteurs étrangers.

N’en déplaise aux thuriféraires de l’opposition, on peut douter très sérieusement qu’une intervention occidentale massive ait pu apporter une meilleure gouvernance à la Syrie, plus démocratique et respectueuse des minorités, ainsi que davantage de stabilité et de sécurité. Les contre-exemples des guerres occidentales en Irak et en Libye, justifiées par des mensonges et la manipulation des opinions publiques, renforcent cet argument. L’affaire Skripal, à propos de laquelle on ne peut se départir de soupçons de manipulation, rappelle que des manoeuvres de diversion ont toujours été utiles pour faire face aux difficultés intérieures. Le président américain, versatile et imprudent, n’est-il pas tenté de contrer les accusations de collusion pendant la campagne présidentielle par une opposition musclée à Moscou, faisant ainsi le jeu des adversaires irréductibles d’un rapprochement avec la Russie, nombreux et puissants aux Etats- Unis ? Certains milieux de l’OTAN ne sont d’ailleurs pas les derniers à profiter de la tension montante pour tuer dans l’oeuf les projets de défense européenne. Le président Macron a l’ambition de relancer l’intégration européenne y compris dans le domaine militaire. Sa participation à une aventure militaire aux conséquences imprévisibles risque de voir sa crédibilité sérieusement affectée.

Cette séquence dangereuse des relations internationales peut-elle encore être évitée ? Espérons encore que la lucidité et la prudence l’emporteront pour éloigner les menaces de guerre.

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