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La prise de pouvoir éclair d’Emmanuel Macron

Le Vif

Devenu le mois dernier le plus jeune président de l’histoire de France, Emmanuel Macron a parachevé dimanche sa prise de pouvoir éclair en remportant une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, un an seulement après la création de son mouvement politique centriste et pro-européen.

Il y a encore trois ans, cet ancien banquier de 39 ans, issu des plus hautes écoles de l’élite française, était aussi inconnu du grand public que la plupart des candidats qui se sont lancés dans la campagne des législatives sous la bannière de son parti, « République en marche » (REM).

Au lendemain de l’élection présidentielle, certains doutaient de la capacité de son mouvement à obtenir une présence parlementaire suffisante pour assurer la stabilité politique et mener les réformes sociales-libérales voulues par le président.

Le voilà doté de 341 sièges, selon les résultats du ministère de l’Intérieur à 23H00 GMT (hors circonscriptions de l’étranger), très largement au-delà de la majorité absolue de 289 sièges. Mais l’abstention record (plus de 56%) montre que « les Français n’ont pas voulu signer de chèque en blanc », comme l’a dit le porte-parole du gouvernement Christophe Castaner.

Car cette élection a consacré les jeunes partis et les nouveaux venus en politique : 91% des nouveaux députés REM et 100% de ceux de la France insoumise n’ont jamais siégé à l’Assemblée.

Le livre-programme d’Emmanuel Macron promettait en novembre une « révolution »: pari tenu avec le renouvellement en profondeur de la classe politique française, le désaveu essuyé par des ténors chevronnés, la fin du bi-partisme droite-gauche.

« Le sauveur de l’Europe? » titrait cette semaine The Economist, en saluant son entrée sur scène dans une Europe en crise confrontée à des poussées nationalistes.

Ses adversaires dénoncent la « Macronmania » que semble susciter cet homme au profil de gendre idéal, yeux bleus, bien peigné, poli et élégant.

Emmanuel Macron « domine par le charme », un charme lié à « son âge, son allure, sa beauté et la vivacité de son intelligence », écrivait récemment le philosophe Gilles Lipovetsky.

Son couple atypique avec Brigitte Trogneux-Macron, son ancienne prof de théâtre au lycée, de 24 ans son aînée, lui a aussi permis de nouer « une relation particulière » avec les Françaises, selon lui.

Son entrée en politique remonte à 2012, quand il quitte la banque d’affaires Rothschild pour devenir conseiller économique du président socialiste François Hollande. Il devient ensuite son ministre de l’Economie en août 2014, poste qui lui permettra, selon un de ses proches, de prendre la mesure des « scléroses » du pays.

En avril 2016, c’est devant une poignée de militants qu’il lance à Amiens (nord), sa ville natale, son « mouvement politique nouveau », « ni à droite, ni à gauche », ouvert sur la société civile.

La start-up s’est depuis transformée en machine de guerre: pour les législatives, le choix des candidats a été un « processus quasi industriel », avec « 19.000 dossiers de candidatures », comme l’a expliqué un responsable du mouvement.

Intuitif, ambitieux, audacieux, son patron, pur produit du système, fils de médecins, élève brillant, a visé juste avec sa campagne sur le thème de la « rupture ».

– ‘Ancien monde’ –

Au final, « l’ancien monde » comme on dit en langue Macron a été chamboulé par le « dégagisme », néologisme apparu pendant la campagne présidentielle pour parler du désir de renouvellement politique exprimé par les Français.

Sans attendre les législatives, le nouveau président a déjà dit sa volonté « d’aller vite » pour ses réformes qui visent à réconcilier « liberté et protection ».

Il a déjà ouvert les discussion avec les syndicats pour avancer sur la refonte du code du travail, chantier prioritaire très attendu par ses partenaires européens. La loi de moralisation de la vie politique, après une campagne marquée par les affaires, a été présentée dans ses grandes lignes mi-juin.

Mais en un petit mois certaines failles sont apparues. Le parti centriste MoDem piloté par le ministre de la Justice François Bayrou — grand architecte de la loi de moralisation — se retrouve au coeur d’une enquête sur des soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen.

Des propos polémiques ont surgi, des candidats ont vu leur probité mise en cause, à commencer par l’un des proches du président, le ministre Richard Ferrand. La communication verticale du chef de l’Etat, ses efforts pour contrôler sa communication et empêcher toute fuite a suscité des frictions, certains journalistes dénonçant des atteintes au droit d’informer.

Dans les partis traditionnels, de l’extrême gauche à l’extrême droite, on dénonce les risques que porte l’imposante majorité parlementaire raflée par un président qui se veut « jupitérien ».

Macron engage ses réformes

Désormais doté d’une franche majorité à l’Assemblée nationale, le président centriste Emmanuel Macron va pouvoir s’atteler à ses chantiers de réformes, parfois délicats, qu’il espère mener en France mais aussi en Europe.

Son pari du renouvellement a été tenu avec la fin du bipartisme droite gauche, la prééminence d’un bloc centriste, le nombre record de femmes et une entrée massive de nouveaux élus (424 sur 577). Ses nouvelles priorités sur le plan intérieur: moraliser la vie politique, réformer le droit du travail et renforcer l’arsenal de lutte contre le terrorisme.

Le Premier ministre français Édouard Philippe devrait remettre incessamment la démission de son gouvernement, une formalité classique après un scrutin législatif.

Le chef du gouvernement, issu de l’aile modérée du parti de droite Les Républicains, devrait reprendre les rênes, à l’issue d’un « remaniement technique » d’ampleur limitée, selon le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner.

Agenda européen

Sur les 345 députés candidats à leur réélection, seuls 140 ont passé la rampe. « Il y a un an, personne n’aurait imaginé un tel renouvellement politique », a souligné dimanche soir Édouard Philippe.

« Seule l’abstention record vient ternir une victoire qu’aucun commentateur n’a anticipée en début de campagne », analyse lundi le quotidien de gauche Libération.

« En deux élections et quatre tours de scrutin, la révolution En marche!, à laquelle personne ne voulait croire, a déferlé sur la France comme un tsunami », commente le journal proche de la droite Le Figaro.

Pour le constitutionnaliste Didier Maus, « on a tiré contre tout ce qui représentait un système antérieur et on essaie autre chose ».

Dans cette configuration, le chef de l’État, qui « marche sur l’eau » selon le journal The Economist, a les coudées franches pour lancer de délicates réformes d’inspiration libérale-sociale.

En réussissant son dernier pari – le contrôle de l’Assemblée – Emmanuel Macron, voit sa position renforcée au niveau européen, à la veille d’un conseil européen et alors que commencent les négociations sur le Brexit.

Cet Européen convaincu, prônant « une France forte dans une Europe forte » doit participer à Bruxelles à ce Conseil des 22 et 23 juin consacré à des questions clefs comme « les migrations, la sécurité, la défense… Il a rencontré ces derniers jours plusieurs dirigeants européens pour discuter de la relance d’une Union impopulaire soumise à de fortes poussées nationalistes, des droits sociaux, de la directive des travailleurs détachés ou de la gouvernance de la zone euro.

La chancelière allemande Angela Merkel, qui se prépare elle-même à entrer dans une séquence électorale, l’a aussitôt félicité pour sa « majorité parlementaire nette », selon son porte-parole. Son ministre des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a estimé que la voie était désormais « libre pour les réformes ».

Les nouveaux parlementaires ont commencé à arriver dès lundi au Palais-Bourbon. Parmi eux, 223 femmes, un nombre record.

Législatives françaises: des personnalités disparaissent, d’autres restent

Des novices en politique et inconnus deviennent pour la première fois députés, d’autres, ténors chevronnés, disparaissent de l’Assemblée nationale: rares sont ceux qui résistent au vent de changement insufflé par Emmanuel Macron. Les cas les plus marquants:

Nouveaux venus

Cédric Villani, surdoué des maths. Ce mathématicien avec son look d’éternel dandy, lavallière en soie et cheveux mi-longs, a été largement élu en région parisienne sous la bannière du parti présidentiel REM. Médiatique lauréat 2010 de la médaille Fields, équivalent du Prix Nobel pour les maths, il est à 43 ans un novice en politique.

Hervé Berville, breton d’origine rwandaise. Il est l’un des nouveaux visages surgis dans le sillage d’Emmanuel Macron. Cet économiste multi-diplômé de 27 ans s’était engagé dès 2015 en faveur de celui qui est devenu président. Celui que ses proches surnomment « le p’tit Macron » a été largement élu dans une circonscription de Bretagne (ouest).

Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, 51 ans. Largement réélu en Provence (sud) face à un candidat de la gauche radicale. Maire d’une petite ville, Forcalquier, élu en 2012 sous l’étiquette socialiste, il avait été parmi les premiers à rallier Emmanuel Macron.

Richard Ferrand, ministre REM controversé de 54 ans, est un ex-socialiste très tôt séduit par M. Macron. Confortablement réélu en Bretagne (ouest), en dépit de remous suscités par une opération immobilière au coeur d’une enquête judiciaire.

Eliminés

Nathalie Kosciusko-Morizet, étoile montante de la droite. Seule canditate femme de la primaire de droite fin 2016, celle que tout le monde surnomme NKM a été battue par un chef d’entreprise sans expérience politique investi par le parti présidentiel. Ex-porte-parole de Nicolas Sarkozy, âgée de 44 ans, elle a été agressée entre les deux tours par un élu local et brièvement hospitalisée.

Najat Vallaud-Belkacem, étoile montante de la gauche. Cette ex-ministre de l’Education nationale du président socialiste François Hollande, 39 ans, a été battue dans son fief, près de Lyon (centre-est), par un entrepreneur investi par le parti présidentiel et sans expérience politique, Bruno Bonnell.

Rescapés

Manuel Valls, ex-Premier ministre socialiste. Rejeté par le parti présidentiel REM qui a refusé de l’investir et par les socialistes qu’il a délaissés, il s’est présenté sur son seul nom pour un quatrième mandat de député. Il a annoncé avoir gagné par 139 voix d’écart, face une candidate de la gauche radicale qui conteste son élection.

Extrême droite

Marine Le Pen, présidente du parti d’extrême droite Front national (FN), battue à la présidentielle par M. Macron, elle devient à 48 ans et pour la première fois députée française, au côté d’une petite dizaine de nouveaux élus proches de ses idées.

Gilbert Collard, avocat de 69 ans. Ce ténor de l’extrême droite était l’un des deux députés sortants du parti Front National. Il a été réélu de justesse face à une candidate du parti présidentiel dans le sud de la France, avec 123 voix d’avance, après avoir appelé ses électeurs à la mobilisation.

Florian Philippot, bras droit désavoué de la présidente du Front national. Grand artisan de la conquête de l’électorat ouvrier avec une stratégie prônant la sortie de l’euro, il a été battu par un candidat du parti présidentiel dans l’est de la France. Il reste contesté en interne.

Gauche radicale

Jean-Luc Mélenchon, le tribun de la gauche radicale. Cet ancien socialiste de 65 ans a été élu à Marseille (sud). Selon lui, son mouvement anti-européen et anti-mondialiste, la France insoumise, aura assez d’élus (au moins 15) pour former un groupe parlementaire.

François Ruffin, auteur d’un documentaire intitulé « Merci patron » sur le combat d’ouvriers du groupe LVMH face à leur PDG Bernard Arnault, entre pour la première fois à l’Assemblée nationale. « Ruffin député ! Le peuple à l’Assemblée ! », a twitté ce journaliste de 41 ans.

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