© Belga

La presse satirique, arme politique et spécificité française héritée de la Révolution

La presse satirique française, sans tabou quand il s’agit de railler pouvoir ou religion, est une tradition qui remonte à la Révolution de 1789 et dont Charlie Hebdo, frappé par un attentat sans précédent, est l’héritier au même titre que le Canard Enchaîné ou le défunt Hara-Kiri.

« C’est une spécificité française. Ici, on cogne, on utilise le dessin de façon militante pour contester, dénoncer, faire tomber les barrières », explique à l’AFP Guillaume Doizy, spécialiste de l’histoire du dessin de presse. « Il n’y a pas l’équivalent d’un Charlie Hebdo à l’étranger ». La singularité de cet hebdomadaire, dont la rédaction a été décimée par un attentat mercredi, « c’est d’être non seulement dans la satire politique mais aussi dans la critique sociale : l’écologie, l’économie et la finance… », renchérit l’historien Christian Delporte.

Hors de France, « il y a des journaux d’humour, mais la politique est toujours marginale. En France, elle est centrale », poursuit-il.

Maniant ironie grinçante et humour noir, Charlie Hebdo et le Canard enchaîné, titres les plus emblématiques de la presse satirique française, perpétuent une tradition libertaire et anticléricale qui connut son apogée au XIXe siècle avec des centaines de titres, plus corrosifs les uns que les autres.

« Cette presse lève tous les tabous », relève Christian Delporte. Cependant, Cabu, le dessinateur tué mercredi qui travaillait pour les deux titres, nuançait : « dans le Canard Enchaîné, il y a des limites (la mort, le sexe, etc.), dans Charlie Hebdo, on peut tout dire, tout dessiner ».

La vraie filiation de Charlie Hebdo, c’est L’Assiette au beurre, journal satirique anarchiste du début du XXe siècle, anticolonialiste, antireligieux, antimilitariste et anticonformiste.

Exemplaire du journal français L'Assiette au beurre
Exemplaire du journal français L’Assiette au beurre© DR

Symbiose entre force du message et force graphique, le journal « s’en prenait à l’époque à la tyrannie, à tous les pouvoirs », précise Christian Delporte, spécialiste d’histoire politique et culturelle.

Mais la violence du verbe et du trait n’est pas l’apanage des caricaturistes de gauche. Il y avait au XIXe siècle ou dans les années 1930 « des dessinateurs de droite et d’extrême droite, tout aussi féroces et talentueux », rappelle Guillaume Doizy, auteur en 2005 d’A bas la calotte ! La caricature anticléricale.

Exemplaire d'A bas la calotte
Exemplaire d’A bas la calotte© DR

C’est toutefois un siècle plus tôt, avec les idées révolutionnaires et les penseurs luttant pour la liberté d’expression, que la caricature a commencé à se propager.

« La Révolution et la déchristianisation qui ont suivi font, aujourd’hui encore, la différence avec d’autres pays », souligne Guillaume Doizy. Le roi Louis XVI et son épouse Marie-Antoinette, guillotinés en 1793, étaient alors les cibles privilégiées des caricaturistes qui les dessinaient, l’un en cochon, l’autre en serpent.

Au Royaume-Uni, la presse satirique « a toujours été plus respectueuse de la religion » même si la monarchie est parfois égratignée par certains titres. « De même, aux Etats-Unis, il n’est pas dans la tradition de brocarder l’Eglise », note Guillaume Doizy.

« La caricature de presse est vraiment née au début du XIXe siècle, avec Daumier, Cham, puis un peu plus tard avec André Gill, sous le Second Empire », explique Christian Delporte.

L’Eglise catholique, le Vatican, subissent alors aussi les foudres des caricaturistes, majoritairement anticléricaux jusqu’à la fin du XIXe siècle et qui n’hésitent pas à croquer les ecclésiastiques dans des positions triviales.

Depuis trente ans, Charlie Hebdo tape, quant à lui, sur toutes les religions sans distinction. Toutefois, ses prédécesseurs étaient d’autant plus courageux que l’Eglise bénéficiait de puissants réseaux. « Les pressions étaient très fortes », souligne M. Doizy.

Mais la dérision et la satire comme arme politique ont pris une autre forme à partir des années 1980 avec l’arrivée sur les petits-écrans du Bébête show et des Guignols.

Seule une poignée de journaux satiriques parvient à subsister malgré des difficultés financières liées à une baisse constante de leur diffusion et à l’absence de ressources publicitaires, le prix de leur indépendance.

L’élan de solidarité qui a suivi l’attentat contre Charlie Hebdo pourrait toutefois lui donner un nouveau souffle, au moins provisoirement.

Contenu partenaire