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La présidentielle de 2017, l’élection de toutes les trahisons

Le Vif

Autant que les affaires, les reniements rythment la campagne présidentielle française. A droite comme à gauche, on lâche ses amis, on joue contre son camp. Dans un climat de déréliction inédit.

Le 14 mars, en route pour la commune d’Evry dont il a été le maire de 2001 à 2012, Manuel Valls fait un crochet par la mairie d’Alfortville. La visite se veut amicale. Luc Carvounas, le maître des lieux, est l’un de ses principaux lieutenants depuis dix ans. La veille, dans Le Monde, le sénateur, engagé dans la campagne de Benoît Hamon, a appelé l’ancien Premier ministre à  » mouiller la chemise  » pour le candidat socialiste. Et à éteindre ainsi les rumeurs d’un possible ralliement à Emmanuel Macron. Dans l’intimité du bureau, les deux hommes s’expliquent, pour la première fois depuis plusieurs semaines.  » Ta position en retrait abîme ton image dans l’opinion « , s’inquiète le maire d’Alfortville. Piqué au vif, Valls s’emporte, son hôte le coupe net :  » Tu viens me voir pour m’engueuler ?  » Un silence s’ensuit, il vaut constat de désaccord. Il devient public le 29 mars, quand Valls appelle à voter Macron.

Lequel trahit les combats communs ? Peu importe. Malgré les divergences, Luc Carvounas refuse la rupture humaine. Valls est lucide. Avant de repartir, ce 14 mars, il lâche :  » Attention à ce que la distance politique entre nous ne parasite pas notre amitié…  » Il joint les mains puis les écarte, comme pour illustrer son propos.

La présidentielle de 2017, l'élection de toutes les trahisons
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Cette drôle de campagne électorale gâte tout ce qu’elle touche. Et teste la loyauté de chacun. Depuis les débuts de la Ve République, trahisons et coups fourrés ont beau rythmer les présidentielles (voir page suivante), le cru 2017 s’annonce déjà comme un millésime exceptionnel. Le seul mois de mars a vu François Fillon abandonné par une bonne partie de son équipe et de nombreux socialistes rallier l’écurie Macron. Parmi ces transfuges, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ou l’ancien maire de Paris, Bertrand Delanoë. Député Les Républicains de la capitale, Bernard Debré observe cette débandade avec amusement.  » La trahison est dans les gènes des politiques. Ils ont l’art de présenter leur intérêt personnel comme celui de la France « , philosophe le filloniste. Qui ajoute :  » Mon frère Jean-Louis me rappelle sans cesse mon soutien à Edouard Balladur qui, en 1995, a trahi Jacques Chirac.  »

Faut-il châtier les coupables ?

Le choix de Valls, le 29 mars, bien qu’anticipé par Hamon, provoque effroi et colère chez ses camarades. Une réaction légitime, selon Sébastien Schehr, professeur de sociologie à l’université de Savoie-Mont-Blanc.  » Le traître rompt la confiance placée en lui par un autre individu ou un groupe. Or, confiance et loyauté sont au coeur de toute relation sociale, elles cimentent les organisations humaines. Toute trahison renvoie un collectif à la possibilité de sa dissolution « , analyse le chercheur.

Faut-il châtier les coupables ? Le PS, exsangue, en semble bien incapable. Bruno Julliard, premier adjoint à la mairie de Paris, préfère laisser les électeurs trancher.  » Prétendre sanctionner qui que ce soit ne me paraît pas raisonnable. Cela ne ferait revenir personne sur son choix « , juge-t-il. Reste donc le tribunal médiatique, où les dissidents essuient invectives et accusations de parjure.  » Qualifier quelqu’un de traître sert à le disqualifier, souligne Sébastien Schehr. C’est aussi un message défensif destiné à empêcher de nouvelles défections.  »

Chef du gouvernement, Manuel Valls plaçait la loyauté au-dessus de tout. Le 31 août 2016, il martèle le mot cinq fois en quatre phrases lors de l’inauguration d’une maternelle à Evry. La veille, Emmanuel Macron a démissionné du gouvernement et le Premier ministre prend un malin plaisir à dénoncer les  » aventures individuelles « , au nom de la fidélité à François Hollande. Trois mois plus tard, il pousse le chef de l’Etat vers la sortie. Une fourberie que les Hollandais ne lui ont jamais pardonnée.  » Du coup, ils ont piégé Valls à la primaire, avance un socialiste. En suscitant la candidature de Vincent Peillon, ils ont réussi à le faire battre par Hamon. Et maintenant, ils ramènent tout le monde vers Macron, le seul candidat qui vaille à leurs yeux.  »

Empêtré dans les affaires, François Fillon a pu tester la fidélité de Valérie Pécresse, Thierry Solère et Gérard Larcher (à droite du candidat).
Empêtré dans les affaires, François Fillon a pu tester la fidélité de Valérie Pécresse, Thierry Solère et Gérard Larcher (à droite du candidat).© E-PRESS PHOTO.COM

La force de ce dernier ? Avoir trahi plus tôt et mieux.  » De son point de vue, il a fait un choix gagnant « , concède Valls sur BFM TV, le 29 mars. Des deux ambitieux, c’est bien le cadet qui a le plus miné les espoirs de réélection du président sortant, jugeait le premier cercle élyséen en décembre 2016. Un travail de sape autant psychologique que politique.  » Il m’a trahi avec méthode « , affirme François Hollande cet été, selon des propos rapportés par Le Monde. Nulle trace de remords chez l’intéressé.  » Je ne suis ni redevable ni l’obligé du président de la République « , évacue Macron, le 29 mars, au micro d’Europe 1.

Le tourbillon du Penelopegate

Ses partisans approuvent. Une faute morale, quelle faute morale ? Pour le sénateur PS François Patriat,  » Emmanuel Macron n’a pas quitté le gouvernement par opportunisme mais par conviction « . Celle de la nécessité d’une recomposition d’un camp progressiste, alliant  » et la droite et la gauche « . L’issue de la présidentielle – victoire ou non – déterminera son statut final, champion ou félon.  » Les traîtres sont parfois des pionniers par les renversements d’alliance qu’ils induisent, note Sébastien Schehr. Leur geste peut entraîner des changements positifs.  » Après tout, Brutus voulait sauver la République en assassinant César.

A droite, c’est plutôt leur carrière que des Républicains ont tenté de sauver en abandonnant François Fillon. Non sur un désaccord idéologique, mais par peur d’être engloutis dans le tourbillon du Penelopegate. Le 1er mars, sitôt l’annonce de sa future mise en examen par le candidat, des membres de l’équipe, souvent partisans de Bruno Le Maire ou d’Alain Juppé, désertent en masse.  » Tous ces types qui avaient fait des pieds et des mains après la primaire pour intégrer l’organigramme sont partis en courant « , raconte, amer, le député LR de Haute-Savoie, Lionel Tardy. L’élu a oublié ses classiques.  » Machiavel dit qu’il faut se méfier des troupes mercenaires. Quand le vent tourne, ces dernières trahissent, c’est leur lot « , rappelait récemment le philosophe Yves Michaud.

En revenant sur sa promesse – retirer sa candidature s’il était mis en examen, le candidat de droite a ouvert un boulevard aux fuyards.  » Un traître cherche toujours à justifier sa décision car c’est un stigmate négatif que personne ne veut endosser. Pour les partants, c’est Fillon qui a trompé leur confiance « , observe le sociologue Sébastien Schehr. Illustration avec l’ex-porte-parole, Thierry Solère :  » Je ne pouvais pas aller dire sur les plateaux télé le contraire de ce que j’avais expliqué pendant des semaines. J’ai parrainé Fillon et je voterai pour lui. Si trahison il y a, elle n’est pas chez moi.  »

Même les plus fidèles ont le sentiment d’avoir été floués par un candidat dont ils découvrent les travers.  » Il aurait pu nous épargner ça. Qui veut grimper à l’arbre a des culottes propres « , résume l’un d’eux. La tourmente des affaires permet en tout cas à l’état-major de tester la fiabilité des troupes. Un rendez-vous manqué pour le duo Gérard Larcher – Bernard Accoyer. Le président du Sénat et le secrétaire général des Républicains paient cash leurs intrigues avec Nicolas Sarkozy pour débrancher la candidature Fillon la veille du rassemblement au Trocadéro, le 5 mars.  » Gérard, je l’aime bien mais ça m’a fait un coup « , avouait, il y a peu, Bruno Retailleau, le chef de guerre à la voix onctueuse.  » Fillon ne dit rien mais n’en pense pas moins « , assure un proche.

Dans cette parade de suspects, Valérie Pécresse occupe une place à part. Pour s’être ralliée à Alain Juppé, grand favori des sondages, trois semaines avant la primaire, l’ancienne ministre de la Recherche a hérité du méchant surnom de  » Valérie Traîtresse « . Première fracture.  » François Fillon m’en a voulu personnellement et affectivement « , affirme la présidente de la région Ile-de-France. Mais le positionnement  » identitaire et très libéral  » durant la primaire, très peu pour elle ! Le 6 mars, nouvelle explication avec le candidat, après que Christian Estrosi a plaidé au nom de Valérie Pécresse et de Xavier Bertrand pour  » un retrait digne « . Rassurée par un projet  » juppéisé sur l’économie et musclé sur le régalien « , elle réintègre l’équipe. Et veut croire au grand pardon.  » Je pense que François Fillon a confiance en moi…  »

Laurent Wauquiez aimerait en dire autant. C’est tout le contraire. Comme tout le monde, François Fillon se méfie du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, réputé maître ès trahisons depuis ses mésaventures avec son mentor, le centriste Jacques Barrot. Le 29 novembre, ce dernier voit la direction du parti lui échapper. Une blessure, dit-il :  » François Fillon m’avait donné son accord la veille au soir. Il n’a pas tenu parole.  » Comme le disait le président américain Harry S. Truman,  » Si vous cherchez un ami en politique, prenez un chien.  » Un conseil à portée universelle.

Par Thierry Dupont.

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