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La menace nucléaire nord-coréenne est-elle crédible?

Muriel Lefevre

La Corée du Nord a averti mercredi qu’elle pourrait tirer des missiles près de l’île américaine de Guam, dans le Pacifique, alors que le président américain Donald Trump a promis au régime nord-coréen « le feu et la colère ». Mais la menace est-elle crédible?

Le renseignement militaire américain en est désormais convaincu: la Corée du Nord a réussi à miniaturiser l’arme atomique pour l’embarquer à bord d’un missile –y compris intercontinental– capable de menacer les Etats-Unis, a révélé le Washington Post mardi suite aux conclusions d’un rapport confidentiel achevé le mois dernier par l’agence américaine de renseignement militaire, la DIA. Grâce à cette capacité, le régime communiste deviendrait une puissance nucléaire à part entière, en mesure de réaliser l’objectif affiché par le leader Kim Jong-Un: frapper les « salauds d’Américains ».

Est-ce crédible ?

Le pays a réussi ce tour de force technologique plus rapidement que prévu mais, selon les experts, il lui reste des obstacles à franchir avant de devenir une puissance nucléaire à part entière, capable de frapper partout, à tout moment, à un endroit précis. Le point sur la question.

Où en est la capacité nucléaire de Pyongyang?

La Corée du Nord a mené cinq essais nucléaires dont le dernier en date le 9 septembre 2016. La bombe avait à peu près la puissance de celle lancée sur Nagasaki le 9 août 1945, soit environ 20 à 30 kilotonnes. Pyongyang avait alors annoncé que c’est ce type d’engin qu’il comptait miniaturiser et « standardiser » pour les embarquer sur ses missiles balistiques. Le pays a procédé à de nombreux tirs de missiles y compris deux lancements réussis de missiles intercontinentaux, dont les experts estiment qu’ils ont la capacité d’atteindre la côte ouest et la côte est des Etats-Unis avec une portée d’environ 10.000 kilomètres.

Le danger est-il immédiat?

La miniaturisation de la charge nucléaire et la fabrication d’un missile avec une portée et une précision suffisante ne sont que deux éléments d’une équation complexe. Il faut que la tête survive à un vol à 25.000 km/h pour la propulser dans l’espace et, surtout, elle doit résister à un retour dans l’atmosphère où les frottements la soumettent à des températures et des vibrations extrêmement élevées. Or, selon Michael Elleman, du centre de réflexion International Institute for Strategic Studies, le véhicule de ré-entrée s’est délité lors du test d’un missile intercontinental le 28 juillet. Avec un tir réel, la charge aurait sans doute été détruite avant d’atteindre son objectif.

Il est néanmoins possible que les ogives actuelles soient assez robustes pour résister à un tir de missile de moins longue portée. Siegfried Hecker, un expert nucléaire à l’université de Stanford, estime qu’il faudra peut-être encore cinq ans à la Corée du Nord avant d’avoir un véhicule de ré-entrée assez résistant. « Je ne pense pas qu’ils aient suffisamment d’expérience en matière de missiles ou d’essais nucléaires pour être capables de mettre en oeuvre une ogive nucléaire suffisamment petite, légère et robuste pour survivre à un tir par missile balistique intercontinental », a-t-il expliqué à l’AFP.

Quels autres obstacles?

M. Hecker, qui a visité la Corée du Nord à plusieurs reprises pour évaluer son programme nucléaire, estime que le programme militaire nucléaire de Pyongyang est fortement freiné par ses faibles stocks d’uranium et surtout de plutonium, le matériel de choix pour une arme destinée à un missile intercontinental. Selon lui, la Corée du Nord a de l’uranium et du plutonium pour fabriquer 20 à 25 bombes. C’est beaucoup moins que les 60 armes nucléaires dont disposerait Pyongyang, selon le renseignement militaire américain, cité par le Washington Post mardi.

Guam dans le viseur

Pyongyang a déclaré qu' »actuellement, elle étudie avec attention le plan opérationnel afin de faire feu sur les zones situées autour de Guam avec une fusée balistique à portée intermédiaire Hwasong-12″, selon l’agence officielle nord-coréenne KCNA. Ce plan sera finalisé et pourrait être mis en oeuvre « à tout moment, dès que Kim Jong-Un, le commandant suprême de la force nucléaire de la DPRK (Corée du Nord) le décidera », a ajouté l’agence. Guam est un territoire non incorporé organisé des Etats-Unis, qui compte une base navale et une base militaire américaine.

Le feu et la colère

Quelques heures auparavant, Donald Trump avait lancé une spectaculaire mise en garde contre le régime communiste, lui promettant « le feu et la colère ». « La Corée du Nord ferait mieux de ne plus proférer de menaces envers les Etats-Unis », a déclaré le président américain depuis son golf de Bedminster, dans le New Jersey, où il passe des vacances. Les menaces, si elles se poursuivaient, « se heurteront au feu et à la colère », a-t-il ajouté, promettant une réaction d’une ampleur « que le monde n’a jamais vue jusqu’ici ».

Bras de fer diplomatique

Pour l’heure, le régime de Pyongyang a testé plusieurs engins atomiques et a réussi deux lancements de missiles balistiques intercontinentaux, capables de frapper les Etats-Unis. Mais sa capacité à miniaturiser suffisamment une bombe atomique pour la placer sur l’un de ces lanceurs était encore en doute. Les analystes et autres membres du renseignement étaient, jusqu’ici, convaincus que malgré les dix ans écoulés depuis le premier test nucléaire de Pyongyang en octobre 2006, la Corée du Nord était encore à quelques années de savoir maîtriser le processus de miniaturisation.

Mais selon le rapport daté du 28 juillet, dont un extrait a été lu au Washington Post, « la communauté du renseignement estime que la Corée du Nord a produit des armes nucléaires qui peuvent être embarquées sur des missiles balistiques, y compris des missiles balistiques intercontinentaux ». Selon le journal, le ministère japonais de la Défense est parvenu aux mêmes conclusions. Les menaces répétées et l’enchaînement ces derniers mois de tests de missiles par Pyongyang sont un casse-tête pour Donald Trump depuis son arrivée au pouvoir.

Le milliardaire américain a notamment engagé un bras de fer diplomatique à trois bandes, en demandant avec insistance à la Chine, principale alliée de la Corée du Nord, d’agir pour faire infléchir son incontrôlable voisin.

Ligne rouge

Toujours sur le plan diplomatique, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté samedi à l’unanimité une résolution renforçant nettement les sanctions déjà imposées à Pyongyang. Aux termes de celle-ci, la Corée du Nord devrait être privée d’un milliard de dollars de recettes annuelles.

En frappant le pays au portefeuille, la communauté internationale a pour objectif de pousser Pyongyang à la négociation, notamment après les deux tirs de missiles intercontinentaux effectués en juillet. Depuis 2006, l’ONU a imposé six trains de sanctions à la Corée du Nord mais rien ne semble faire dévier le jeune leader Kim Jong-Un. Le dernier essai nucléaire remonte au 9 septembre 2016, avec une détonation jugée deux fois plus puissante que la bombe américaine lâchée sur Hiroshima.

A Washington, nombre de voix se sont élevées pour dénoncer les propos présidentiels.

Le démocrate Eliot Engel, membre de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, a regretté la « ligne rouge absurde » tracée par M. Trump, tant les déclarations menaçantes de Pyongyang sont récurrentes. « La sécurité de l’Amérique est basée non seulement sur la force de notre armée mais aussi sur la crédibilité de notre commandant en chef », a-t-il souligné, dénonçant « l’emportement impulsif » du milliardaire.

Le sénateur républicain John McCain a aussi fait part de son scepticisme, soulignant que les « grands dirigeants » ne menaçaient pas leurs ennemis sauf s’ils étaient prêts à passer à l’action. « Et je ne suis pas sûr que le président Trump soit prêt à agir », a-t-il ajouté.

Pour Anders Fogh Rasmussen, ancien secrétaire général de l’OTAN, cette formulation « visait à faire peur à Pékin comme à Pyongyang ». « Mais les lignes rouges présidentielles qui restent lettre morte créent des précédents dangereux », a-t-il mis en garde.

Avec AFP

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