La maison de l'horreur © Reuters

La « maison de l’horreur » et l’illusion d’une vie de rêve sur Facebook

Muriel Lefevre

Une bien étrange histoire que celle de la « maison de l’horreur ». Cette affaire des plus glauques est aussi la parfaite illustration du miroir aux alouettes que peut être Facebook. D’un côté, on a 13 frères et soeurs séquestrés et, de l’autre, une famille presque parfaite qui montre ses sorties familiales sur les réseaux sociaux.

Des jeunes de 17 ans qui en paraissent 10. C’est ce qu’ont trouvé les policiers lorsqu’ils sont arrivés chez les Turpin, à Perris, une ville-dortoir à mi-chemin entre Los Angeles et San Diego. Les parents, Louise et David, âgés respectivement de 49 et 57 ans, ont affamé et enchaîné durant des années leurs 13 enfants âgés de 2 à 29 ans.

Personne ne sait combien de temps leur calvaire aurait encore duré si l’une des filles, âgée de 17 ans, n’était parvenue, dimanche 14 janvier, à s’emparer d’un téléphone portable dans la maison-prison et à s’échapper par une fenêtre pour composer le numéro d’urgence 911.

Des adultes pris pour des mineurs

A leur arrivée, les policiers ont cru que la jeune fille n’avait que 10 ans, vu son visage émacié. « Mes frères et soeurs sont prisonniers à l’intérieur », a-t-elle alors confié. Là, dans l’obscurité et dans une odeur prenant à la gorge, les agents ont découvert une scène à faire frémir: les douze autres victimes, dont les membres étaient pour certaines entravés, livrées à l’abandon et à la saleté. Ils criaient famine.

« Ils sont petits et il est très clair qu’ils sont dénutris », a décrit Mark Uffer, responsable d’un centre médical local. « Ils ont enduré un calvaire extrêmement traumatisant ». Une longue prise en charge sera nécessaire pour reconstituer psychologiquement des enfants affamés et enchaînés par leurs parents à leur domicile, ont averti mardi des experts.

Ces spécialistes ont livré en conférence de presse quelques détails sur les treize frères et soeurs. Les victimes -dont une de deux ans à peine- ont été hospitalisées. Sept membres de cette fratrie sont des adultes que les enquêteurs ont d’abord pris pour des mineurs, étant donnés leur fragilité et leur aspect chétif.

Ces enfants « vont requérir une prise en charge psychologique et psychiatrique sur le long terme, en raison des épisodes prolongés de mauvais traitements et de famine auxquels ils ont été soumis », a souligné la docteure Sophia Grant, à ce même point presse.

Les parents n’ont, pour l’instant, donné aucune explication sur les raisons qui les ont poussés à ligoter certains de leurs enfants à leur lit, avec l’aide de chaînes et de cadenas.

L’affaire relance la polémique autour de l’école à la maison

Depuis combien de temps durait la séquestration? Comment celle-ci n’a pas suscité d’alertes chez les voisins, les milieux sociaux, ou les personnes en contact avec le couple Turpin? Quelle est l’histoire de cette famille, qui a quitté le Texas pour la Californie il y a plusieurs années et s’est retrouvée plongée dans les déboires financiers?

La police a offert mardi quelques réponses. « Nous n’avions jamais été alertés sur des soupçons d’abus d’enfants dans cette résidence », a affirmé Greg Fellows, chef de la police de Perris. Il a précisé que les premiers éléments de l’enquête ne permettaient pas de savoir si des agressions sexuelles avaient été commises dans la maison, ni si les parents auraient fait partie d’une quelconque secte.

Kimberly Milligan, une voisine rencontrée par l’AFP vivant depuis plus de deux ans dans le quartier, se souvient d’avoir vu seulement trois enfants, un jour. « Ils étaient pâles comme des vampires et n’avaient que la peau sur les os », a-t-elle confié.

Les enfants étaient censés bénéficier d’une scolarisation à domicile, une pratique qui n’est pas rare aux États-Unis. Le couple a été incarcéré pour torture et mise en danger d’enfants.

« Quand des jeunes de 17 ans en paraissent 10, quand ils sont enchaînés à un lit… comment ne pas qualifier cela de torture? », a relevé M. Fellows.

Les services de protection de l’enfance ont de leur côté ouvert une enquête. Sur les photographies rendues publiques par le shérif local, Louise et David Turpin partagent un aspect négligé, elle a les cheveux poivre et sel en bataille, un sourire énigmatique aux lèvres, lui avec une barbe de trois jours, une longue frange et des mèches jusqu’aux épaules.

Une vie de façade sur Facebook

Sur une page Facebook au nom de David-Louise Turpin, on retrouve entre, octobre 2010 et juillet 2016, des photos montrant la famille en visite à Disneyland, la naissance de la petite dernière, un bébé qui porte un tee-shirt où on lit « Maman m’aime » ou encore des voyages à Las Vegas. Sur l’une d’elles, on retrouve le couple lors d’une cérémonie. Louise Turpin est en robe longue blanche, son époux en costume et ils sont entourés de treize personnes qui semblent toutes des enfants ou jeunes adultes, les filles aux cheveux longs et châtains portant toutes la même robe mauve à imprimé, sauf le bébé en robe rose.

Les garçons arborent la même coupe au bol que David Turpin. Des clichés montrent le couple échangeant des alliances devant un homme habillé en Elvis Presley. Cet imitateur, qui dit avoir renouvelé les voeux de mariage du couple trois fois dans une chapelle de Las Vegas – en 2013, 2015 et 2016 -, s’est dit « révulsé ». « J’étais choqué, et stupéfait, et très attristé », a déclaré Kent Ripley au journal New York Daily News. Il se souvient d’enfants « très doux et bien élevés ». « Quelque chose de récent a dû changer les circonstances, médical ou en lien avec le travail », a-t-il avancé. « Je ne veux pas croire que les enfants ont souffert aussi longtemps ».

« Dans les commentaires, l’une des soeurs de Louise s’émerveille: « Je veux vivre en Californie! » Pour les grands-parents ou oncles et tantes, qui décrivent une famille aimante, mais qui ont reconnu qu’ils n’avaient pas vu les Turpin en chair et en os depuis des années, l’illusion était parfaite. » précise Le Monde.

Des cas célèbres de séquestrations

– En décembre 2017 à Osaka (ouest du Japon), après la mort de froid de leur fille de 33 ans, les parents se rendent à la police et avouent l’avoir enfermée dans une petite chambre de leur maison depuis qu’elle avait 16 ou 17 ans, parce qu’elle était handicapée mentale. A sa mort, la jeune femme pesait à peine 19 kilos.

– A Londres, le gourou d’une secte « maoïste », Aravindan Balakrishnan, 75 ans, est condamné en janvier 2016 à 23 ans de prison pour avoir violé deux de ses adeptes et séquestré sa propre fille pendant 30 ans. Il la battait depuis l’âge de quatre ans pour exorciser ses « tendances fascistes », selon ses propos. La jeune femme était parvenue à s’enfuir en novembre 2013, grâce à une association.

– En juin 2008, en Italie, dans la région de Naples, Maria Monaco, 47 ans, séquestrée pendant 18 ans dans une chambre par sa famille en guise de punition pour avoir eu un enfant hors mariage, est libérée par les carabiniers à la suite d’un appel anonyme. Son fils, âgé de 17 ans, vivait normalement et était scolarisé.

– En Autriche, Elisabeth Fritzl a été séquestrée et violée pendant 24 ans, de 1984 à 2008, par son père, Josef, dans la cave de la maison familiale à Amstetten, à 150 km de Vienne. L’affaire a éclaté au printemps 2008, avec l’hospitalisation de l’un des sept enfants de la relation incestueuse qu’il a eue avec sa fille. Josef Fritzl, qui avait tué un des bébés, a été condamné à la prison à vie et placé en internement psychiatrique.

– Enlevées et séquestrées –

– Aux États-Unis, Ariel Castro, a séquestré et violé pendant une dizaine d’années trois jeunes filles dans sa maison de Cleveland, dans l’Ohio. Il est arrêté en mai 2013 après qu’une de ses victimes se fut enfuie. Condamné à la prison à perpétuité, il se pend dans sa cellule.

– Le 26 août 2009, Jaycee Dugard, 29 ans, est retrouvée « en bonne santé » dans le jardin d’une maison de la région de San Francisco, après avoir été séquestrée par un couple pendant 18 ans et avoir eu deux enfants en captivité avec son ravisseur. Elle avait été enlevée en 1991, à l’âge de 11 ans, par Phillip Garrido, alors qu’elle attendait le bus. Phillip et Nancy Garrido ont été condamnés à la prison à perpétuité.

– En Autriche, le 23 août 2006, Natascha Kampusch, âgée de 18 ans, est retrouvée, errant dans les rues des environs de Vienne, après s’être échappée du réduit souterrain où l’avait séquestrée pendant huit ans un déséquilibré, Wolfgang Priklopilson, qui se suicide le jour même. La jeune Autrichienne avait été enlevée à l’âge de dix ans, le 2 mars 1998, sur le chemin de l’école.

– En janvier 2000, au Japon, une jeune fille qui avait été enlevée à l’âge de neuf ans sur le chemin de l’école en novembre 1990 est retrouvée par hasard dans la région de Niigata. Des ambulanciers étaient venus chercher le ravisseur pour le placer en milieu hospitalier à la demande de sa mère, qui trouvait son comportement « étrange ». Il est condamné en 2003 à 14 ans de prison.

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