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La loi de lèse-majesté divise la Thaïlande

Dans un pays où le roi Bhumibol, qui règne sur la Thaïlande depuis 1946, est considéré par certains comme un demi-dieu, l’article 112 du code pénal permet de punir les personnes qui insultent ou diffament « le roi, la reine, le prince héritier ou le régent ».

Le débat autour de la loi de lèse-majesté en Thaïlande s’intensifie. Les condamnations contre des personnes accusées de s’en être pris au roi se multiplient. En arrière-plan, les tensions politiques entre « Chemises rouges » et « Chemises jaunes ».

La bataille sur la loi de lèse-majesté est-elle le nouvel enjeu de l’opposition entre « Chemises rouges » et « Chemises jaunes » en Thaïlande, entre pro et anti-Thaksin ?

Les exemples de condamnations à des peines démesurées pour ce motif, ou l’agression d’une personnalité appelant à une réforme de cette loi d’un autre âge semblent aller dans ce sens.
Worachet Pakeerut est l’une des dernières victimes indirecte de cette loi punissant les personnes critiquant le roi. Ce professeur de droit a été agressé le 29 février parce que lui et quelques proches de l’association Nitirat, militent pour une réforme de l’article 112 du code pénal. Dans un pays où le roi, Bhumibol, âgé de 84 ans, qui règne sur la Thaïlande depuis 1946, est considéré par certains comme un demi-dieu, cet article de loi permet de punir les personnes qui insultent ou diffament « le roi, la reine, le prince héritier ou le régent ». Un coupable de lèse-majesté encourt jusqu’à 15 ans de prison pour atteinte à l’image de la famille royale, et la peine minimale est de trois ans de prison. En outre, n’importe qui peut déposer une plainte pour lèse-majesté. Le projet de réforme prôné par l’association Nitirat entend réduire à trois ans la peine d’emprisonnement maximale et supprimer toute peine minimale.

20 ans de prison pour un SMS inconvenant

Plusieurs jugements récents ont mis en relief les conséquences de cet article loi, dont certains dénoncent un usage politique. Ainsi, une figure du mouvement des « chemises rouges », Surachai Danwattananusorn, a été condamné le 28 février à 7,5 années de prison pour insultes à la monarchie, lors de discours prononcés en 2008 et 2010.

Début février, c’est une étudiante de 19 ans, Abhinya Sawatvarakorn, alias Kanthoop, qui était convoquée par la police pour avoir publié sur sa page Facebook deux ans plus tôt des commentaires désobligeants sur le roi. Dans son cas, la procédure judiciaire a été ajournée, mais si la jeune fille est condamnée, elle sera la plus jeune Thaïlandaise à tomber sous le coup de cette loi. Enfin en novembre 2011, un sexagénaire a été condamné à vingt ans de prison pour l’envoi de SMS jugés « insultants envers la monarchie », cinq ans pour chaque message, selon son avocat.

Par ailleurs, les autorités thaïlandaises ont bloqué depuis trois mois plus de 5000 pages internet contenant des éléments jugés insultants envers la monarchie, a annoncé la semaine dernière un responsable de la police.

Poursuites en hausse depuis le putsch contre Thaksin

Les poursuites et condamnations pour lèse-majesté se sont multipliées depuis le coup d’Etat militaire de 2006 contre Thaksin Shinawatra, considéré par les élites de Bangkok comme un danger pour la monarchie. Selon Human Rights Watch, le nombre de cas serait passé de 33 en 2005, à 164 en 2009 et plus de 400 en 2010, lorsque la répression par l’armée des manifestations des « chemises rouges » pro-Thaksin avait fait plus de 90 morts. Il est ensuite retombé à 122 entre janvier et octobre 2011, soit un chiffre similaire à 2009, selon l’expert David Streckfuss.

Les « Chemises rouges » regroupent les catégories sociales exclues du jeu politique avant l’arrivée au pouvoir, en 2000 de Thaksin Shinawatra, renversé par un coup d’état militaire en 2006. Le pays était auparavant dirigé par une élite regroupant l’entourage de la famille royale, la hiérarchie militaire, et les milieux d’affaires de Bangkok. Depuis lors, les « chemises rouges » ont, à plusieurs reprises, été confrontées aux « chemises jaunes » soutenues par les élites de Bangkok, mais ont finalement de nouveau montré leur poids dans la société thailandaise lors des législatives de juillet dernier, remportées par le parti pro-Thaksin. Or, pour tout ce qui concerne les procès « politiques », l’institution judiciaire en Thaïlande, est majoritairement aux mains de l’establishment, alors que sa marge de manoeuvre pour les affaires commerciales, est plus large, selon David Camroux, enseignant-chercheur à Sciences-Po (CERI).

Pas une priorité pour le gouvernement de Yingluk Shinawatra

La personne du roi Bhumipol reste tabou en Thaïlande. Il est presque impossible de débattre ouvertement de cette question, souligne Puangthong Pawakapan, un professeur de sciences politiques à l’Université de Chulalongkorn, cité par The Independent.  » Je pense qu’on en sait plus en dehors de la Thaïlande sur cette loi qu’au sein du pays; les médias traditionnels thaïlandais ignorent cette question » ajoute-t-il. En décembre, le puissant chef de l’armée, le général Prayut Chan-O-Cha, avait d’ailleurs jugé le débat public inconvenant, invitant tout simplement ceux qui voulaient réformer la loi à quitter le pays.

L’absence d’avancée sur ce terrain malgré le retour des pro-Thaksin en juillet s’explique par le fait que « Yingluk Shinawatra est une chef de gouvernement « sous surveillance » de la part de l’armée et de l’establishment », selon David Camroux: elle a déjà été très critiquée pour sa gestion des inondations de 2011.
La question la plus délicate pour son gouvernement est l’éventuel retour de son frère Thaksin. « Elle ne souhaite donc pas, selon le chercheur, engager un combat sur les lois de lèse-majesté qui n’intéressent qu’une minorité de l’élite ». C’est pourquoi, ajoute David camroux, « il faudra sans doute attendre le déces du roi Bhumiphol et la montée sur le trône du Prince héritier, beaucoup moins populaire que son père, et qui lui, cultive des rapports avec les proches de Thaksin, pour voir les choses évoluer au sujet de cette loi ».

Catherine Gouëset

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