Un contrôle douanier au Mur de Berlin. © Reuters

La guerre des espions par-delà le Mur de Berlin

Le Vif

Il y a un quart de siècle, la chute du Mur de Berlin levait un coin du voile sur la réalité est-allemande. Ancien espion français, Jean-Jacques Cécile raconte les astuces, compromissions et coups bas auxquels se sont livrés les services de renseignement des deux blocs avant et après 1989.

La chute du Mur de Berlin, le soir du 9 novembre 1989, si elle annonce la fin de l’Union soviétique, ouvre aussi une porte sur une réalité mystérieuse et fantasmée, celle d’une Allemagne de l’Est réputée pour les exploits – suspects – de ses sportifs à l’étranger et pour le contrôle qu’exerce sur sa population les services de renseignement de la Stasi. La construction du « mur de la honte » en 1961 a figé l’Europe de l’après-guerre en deux camps et, parallèlement, a obligé les services d’espionnage occidentaux et communistes à redoubler d’astuces pour récolter les informations qui entretiendront l’équilibre de la terreur entre les deux blocs. Aujourd’hui journaliste et écrivain, Jean-Jacques Cécile a appartenu pendant 18 ans aux forces armées françaises où il a essentiellement servi le monde du renseignement. Dans les années 1980, il est dépêché en Allemagne de l’Est pour espionner les troupes soviétiques. De son expérience, il a tiré plusieurs livres, dont le dernier, Un espion français à l’Est 1962-2004, est paru aux éditions du Rocher. Il livre au Vif/L’Express de cette semaine quatre histoires d’espions dont le fil conducteur est le Mur de Berlin. En voici une.

L’obsession des espions : franchir le Mur

Les militaires français appartenant à la Mission militaire française de liaison traversaient le Mur de Berlin à discrétion en empruntant le Glienicker Brücke, le fameux « pont aux espions ». Un privilège rarissime. Mais alors, quels subterfuges les clandestins privés de cet expédient avaient-ils imaginé ?

« C’était toujours la même chose. Les agents de la Stasi prenaient le contrôle des installations sur un tronçon du Mur. Ils nous disaient de rentrer dans nos cantonnements et de n’en sortir sous aucun prétexte. Puis ils simulaient une panne d’électricité pour que l’obscurité soit totale. Il se passait ensuite Dieu sait quoi », se remémore un ancien garde-frontière est-allemand (1). Car si le Mur de Berlin entravait les mouvements des barbouzes occidentales, il en était de même pour les agents de l’Hauptverwaltung Aufklärung (HvA), subdivision de la Stasi en charge de l’espionnage à l’étranger. Markus Wolf, son chef légendaire, l’a reconnu : « Il nous fallait désormais inventer des histoires pour que nos courriers puissent expliquer de façon plausible à la police de la RFA pourquoi ils avaient la permission de se rendre à l’ouest. Pour les services secrets occidentaux, ce mur était une aubaine inespérée, car il empêchait le passage d’un grand nombre de citoyens ordinaires, permettant au contre-espionnage allié de concentrer sa surveillance sur la poignée d’individus désormais autorisés à sortir » (2). Surveillés par leurs adversaires, les espions est-allemands étaient aussi en butte aux procédures tatillonnes de leur propre camp car Markus Wolf refusait obstinément de fournir les identités de ses clandestins aux gardes-frontières. Pour la HvA, le besoin émergea donc rapidement de mettre au point de nouvelles procédures permettant de franchir discrètement qui le Mur de Berlin, qui la frontière interallemande. Des passages secrets furent aménagés qui prirent le nom d’Agentenschleusen, littéralement des « écluses à agents ».

L’un d’entre eux trouait la station de métro berlinoise de la Friedrichstraße où s’entrecroisaient lignes occidentales et communistes. C’est là que, le 18 janvier 1979, Werner Stiller, un officier de la Stasi, passe à l’ouest avec deux valises bourrées à craquer de documents ultrasecrets. A la même époque, James Hall, un traître américain spécialiste de l’interception des communications, transite par une autre Agentenschleuse située dans le district de Zehlendorf lorsqu’il est admis à rencontrer, en Allemagne de l’Est, ceux qui le manipulent. Deux Agentenschleusen sont depuis devenues des attractions touristiques en Thuringe, près de Wendehausen, et sur les collines dominant Volkerode. Ce sont des buses évacuant les eaux de pluie perpendiculairement à la frontière. Mais là où 20 centimètres auraient suffi, le diamètre est cinq fois plus gros… Au total, environ 60 Agentenschleusen existaient sous diverses formes, elles étaient chouchoutées par plus de 100 collaborateurs est-allemands de la Stasi mais aussi par 78 Allemands de l’Ouest principalement en Bavière et à Berlin. Les services de Bonn connaissaient l’existence de certaines Agentenschleusen mais se gardaient d’intervenir, préférant les surveiller afin de filocher les utilisateurs…

La Central Intelligence Agency (CIA) avait parfois recours à des moyens plus simples. En 1961, alors que le Mur sort de terre, l’agence recrute une diplomate finlandaise, Marja-Liisa Linkoaho. But : instrumentaliser son immunité diplomatique afin de faire passer des individus en les dissimulant dans le coffre de sa voiture. Et le KGB, dans tout cela ? Lorsque le Mur s’écroule, il s’empresse de sauver les meubles.

  • (1) Propos recueillis par l’auteur.
  • (2) L’homme sans visage, mémoires du plus grand maître-espion communiste, par Markus Wolf et Anne McElvoy, Plon, 1998, p.117.

Dans Le Vif/L’Express de cette semaine, les trois autres histoires :

– Mai 1981 : bas nylon sur cuisses est-allemandes

– 1989 : le pillage de la technologie soviétique

– Printemps 1994 : le KGB récupère les réseaux de la Stasi

Par Jean-Jacques Cécile

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