La Grèce n’est pas sortie de l’auberge. Et l’euro non plus

En histoire, les mêmes causes n’ont pas toujours les mêmes effets. Le Traité de Versailles imposant en 1918 des réparations de guerre impayables aux Allemands a facilité l’accession au pouvoir d’Adolf Hitler. Vaccinés contre la dictature des colonels, les Grecs, on peut l’espérer, ne suivront pas le même chemin suite à l’austérité drastique qui vient de leur être imposée.

Nonobstant, des troubles sociaux ne sont pas à exclure dans ce pays bien plus proche de Damas que de Bruxelles. Et l’image démocratique de l’Union européenne en a pris un coup. Ce qu’on impose à la Grèce est pire encore que ce que le peuple grec a refusé massivement par référendum. On assiste donc à la négation quintessentielle de la volonté populaire. Ce déni laissera des traces et ne manquera pas d’alimenter encore plus l’élan populiste en Europe. Nicolas Sarkozy l’a bien résumé en déclarant : « Si les Grecs votent oui, Tsipras doit s’en aller. Et s’ils votent non, il doit s’en aller également. » Martin Schulz (représentant de la sociale démocratie allemande au Parlement européen) a proposé, lui, une tutelle de technocrates en lieu et place du gouvernement grec. Et Michel Sapin, ministre français des Finances, disait refuser de discuter avec des gens « qui disent non ». On sent tout de suite tout le sel démocratique de ces déclarations.

L’accord signé dans la nuit de dimanche nous éloigne certes du Grexit, d’un défaut de paiement généralisé de la Grèce et du chaos qui s’en serait suivi, mais évolue-t-on vraiment dans le cadre d’une optique gagnant-gagnant ?

Si tout le monde s’accorde sur la nécessité de mener des réformes de structure (cadastre, collecte des impôts, suppression des passe-droits, lutte contre l’économie noire…), le programme d’austérité imposé au gouvernement d’Alexis Tsipras relève du remède de cheval qui pourrait bien tuer le malade plutôt que de le soigner (c’est d’ailleurs l’avis du FMI). Un « catalogue des horreurs », selon le magazine Der Spiegel, qui a même fait frémir plusieurs fonctionnaires européens proches du dossier.

La cruauté ultime reste de confier à un premier ministre d’obédience marxiste le soin de mener des réformes que n’aurait pas reniées Margaret Thatcher.

Toutes droit sorties des « volumes I et II du Manuel de l’OCDE », elles relèvent du charabia technocratique européen habituel. Le menu signifie en clair : une privatisation de l’industrie manufacturière, du secteur de l’énergie et du transport par ferry, une vente massive des « bijoux de famille », une ouverture des commerces le dimanche, une flexibilisation du marché du travail et une mise au pas des syndicats ainsi qu’une réforme des pensions.

Il est vrai que le bilan des six mois de pouvoir de Syriza n’est pas à l’avantage de la formation d’extrême gauche : si la situation de la Grèce commençait à s’améliorer, la plupart des indices économiques se sont récemment dégradés. Mais avant de voir débouler en janvier dernier Alexis Tsipras s’engageant à mettre ses créanciers au pas jusqu’à sa déroute en rase campagne le week-end dernier, en dépit du soutien massif de son peuple, de l’eau a coulé sous les ponts.

Déjà, en 2009, lorsque Papandréou Junior découvre les comptes maquillés par le gouvernement de droite, il met en place un plan de rigueur consistant notamment à réduire de 10% les dépenses de fonctionnement de l’Etat et à geler le recrutement de fonctionnaires.

Hormis le péché originel de l’entrée de la Grèce dans l’euro (pas question d’exclure Platon même devenu fils prodigue), il est injuste d’accabler la seule Europe. Car depuis 6 ans, les aides à la Grèce se sont succédé. En mai 2010, un premier plan d’aide international de 110 milliards d’euros est débloqué. Le fameux Fonds européen de stabilité financière (FESF) doté de 750 milliards est créé à cette occasion. En juillet 2011, La triade FMI-UE-BCE met sur pied un plan de sauvetage de 158 milliards d’euros. En octobre 2011, 100 des 350 milliards de dette grecque détenue par les banques privées sont effacés. S’en suit, en parallèle, un nombre équivalent de plans d’austérité qui à leurs tours débouchent sur de nouveaux aménagements. Les prêts sont allongés à 16 ans au lieu de 7. Les taux d’intérêt sont ramenés à 2,36%, soit ce que paient bon an mal an plusieurs pays européens « normaux ».

Ceci remet en perspective notre soi-disant « absence de solidarité » envers les Grecs, mais n’augure rien de bon sur la question de savoir si l’accord du 13 juillet est réellement le dernier épisode de cette triste saga. Selon le Centre for European Reform qui a analysé le solde primaire à dégager par la Grèce pour rembourser ses échéances d’ici 2018, le Grexit est bien toujours d’actualité. Sans une restructuration de la dette grecque, l’avenir de la Grèce dans la zone euro reste « extrêmement douteux ». En début de semaine, les Hellènes n’ont pas pu honorer les 456 millions d’euros qu’ils doivent au FMI. Un défaut de paiement qui obère provisoirement la participation du FMI dans l’énième plan d’aide à la Grèce de 80 milliards d’euros décidé lundi… La Grèce n’est donc pas sortie de l’auberge. Et l’euro non plus.

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