Piqueté de centaines de milliers de mines antipersonnel, le "mur des sables" est le plus long de l'ère moderne. © P. Hertzog/AFP

La « Grande Muraille » du Sahara, théâtre du conflit entre le Maroc et les Sahraouis

Le Vif

Un rempart de 2 700 kilomètres court à travers le Sahara occidental, que le Maroc et les indépendantistes sahraouis se disputent depuis 1975. Retour sur un conflit ensablé.

C’est une balafre de sable qui fend le Sahara occidental depuis trente ans : 2 700 kilomètres de remblais sablonneux, doubles ou triples, de fossés antichars, de batteries d’artillerie et de barbelés. Le tout piqueté de centaines de milliers de mines antipersonnel. Depuis la Grande Muraille, édifiée par les Chinois entre les iiie et xviie siècles, jamais les hommes ne s’étaient donné autant de peine pour dresser une barrière entre eux et leurs semblables. Le  » mur des sables « , érigé de 1980 à 1987, est le plus long de l’ère moderne. Il court de la frontière algérienne, au nord-est, jusqu’aux confins de la Mauritanie, au sud-ouest, sinistre allégorie d’un conflit du xxe siècle que le monde a oublié, ou presque. En jeu : le sort du Sahara occidental, cette étendue désertique de 266 000 kilomètres carrés au sud du Maroc que les Sahraouis disputent au royaume chérifien depuis 1975.

Cette année-là, les colons espagnols, présents depuis 1884, plient bagage. Dans un avis consultatif, la Cour internationale de justice affirme que  » les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le Sahara occidental d’une part, le royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien d’autre part « . Hassan II ne l’entend pas de cette oreille. Le 6 novembre 1975, il lance la  » Marche verte « . Ce cortège de 350 000 militants armés de drapeaux rouges frappés de l’étoile verte quitte Tarfaya, à l’extrémité méridionale du pays. Direction les  » provinces du Sud  » tant convoitées. Huit jours plus tard, les accords de Madrid partagent l’ex-colonie entre Marocains et Mauritaniens.

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© ART presse

Soutenus et armés par l’Algérie et la Libye, les indépendantistes sahraouis du Front Polisario multiplient les raids contre les troupes des nouveaux maîtres du territoire. Le 26 février 1976, ils proclament la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Des dizaines de milliers de leurs compatriotes fuient les combats et se réfugient dans des camps gérés par le Polisario, près de Tindouf, en Algérie. La Mauritanie jette l’éponge en août 1979 et cède sa partie du Sahara occidental aux rebelles. Une terre dont le royaume chérifien annonce aussitôt l’annexion. Pour se protéger du harcèlement militaire sahraoui, Rabat s’attelle alors à une tâche titanesque : la construction d’une ligne de fortification au milieu du désert. Ce sera le  » mur de défense « , que les Sahraouis, eux, nomment le  » mur de la honte « .

Le Maroc ne lésine pas. Il fait appel au savoir-faire des Américains, des Français et des Israéliens, ainsi qu’à la générosité saoudienne. Des bases militaires veillent au grain tous les 1,5 à 2 kilomètres. Rien n’échappe à leurs radars ultrasophistiqués dans une bande profonde de 50 kilomètres. En cas de besoin, des hélicoptères et des avions de chasse se tiennent prêts à décoller. Combien d’hommes des Forces armées marocaines (FAR) scrutent-ils l’étendue de caillasse, brûlante et hostile ? 100 000 soldats, davantage ? Secret-défense. Quel budget le pays consacre-t-il à cette surveillance ? Plus de 2 millions d’euros chaque jour, comme on le murmure ? Secret-défense, encore. Mais l’ouvrage est à peine achevé qu’escarmouches et embuscades prennent fin. Le 6 septembre 1991, Rabat et les combattants sahraouis signent un cessez-le-feu sous l’égide des Nations unies. La population, c’est promis, sera consultée pour trancher l’épineuse question de la souveraineté.

Le référendum d’autodétermination est toujours dans les limbes faute d’accord sur ses modalités

Un quart de siècle plus tard, le référendum d’autodétermination est toujours dans les limbes, faute d’accord sur ses modalités et sur le recensement des votants.  » La situation est figée, observe Laurent Bigot, spécialiste de l’Afrique occidentale et ancien diplomate français. La médiation de l’ONU, totalement impuissante, ne fait rien avancer, et le Maroc et l’Algérie campent sur leurs positions.  » Le régime chérifien a bien proposé de concéder une large autonomie, à défaut d’indépendance, aux Sahraouis, mais ni ceux-ci ni leur parrain algérien ne veulent en entendre parler.

Au fil des ans, l’ex-colonie espagnole a bien changé. A l’ouest, la bande littorale poissonneuse, administrée par le Maroc, soit 80 % du Sahara occidental, profite des milliards de dirhams déversés par le royaume chérifien sur ces terres arides : les activités touristiques et culturelles fleurissent, les gisements de phosphate s’épanouissent et les infrastructures poussent comme des champignons. Les Marocains venus du Nord y sont désormais majoritaires. Pour inciter au retour les quelque 180 000 réfugiés sahraouis des camps de Tindouf, l’Etat leur fait miroiter pécule mensuel, emploi et logement. De quoi attiser la jalousie de leurs compatriotes vis-à-vis de ces  » retournés « , comme ils les appellent. A l’est, en revanche, rien de nouveau : quelques milliers de nomades et d’acacias desséchés vivotent sur la bande désertique que contrôle la RASD.  » Nos jeunes vivent mal cette situation figée, souligne Oubi Bouchraya Bachir, le représentant en France de la RASD. Certains aimeraient que les Sahraouis reprennent les armes. Nous peinons à les refréner…  »

L’été dernier, ce vieux conflit enkysté s’est brusquement enflammé. Rabat décide alors d’asphalter les 4 kilomètres de piste qui séparent Guerguerat du poste frontière mauritanien, à la pointe sud du pays. Mal lui en prend. Pour le Polisario, l’espace qui sépare le mur de défense de la frontière est un territoire libéré sous son contrôle. Pour le Maroc, c’est une zone tampon, sous la responsabilité de l’ONU. Rebelles sahraouis et soldats marocains campent l’arme au pied durant des mois. Brahim Ghali, président de la RASD depuis juillet 2016, rend visite à ses hommes. Pendant ce temps, les Marocains négocient leur entrée au sein de l’Union africaine (UA), malgré l’opposition de l’Algérie et celle de la RASD, dont ils demandent l’exclusion. Le royaume chérifien n’obtiendra pas gain de cause, mais il sera tout de même adoubé par ses pairs de l’UA le 30 janvier 2017. Un mois plus tard, ses troupes se retirent du no man’s land de Guerguerat. Les Sahraouis attendront le 28 avril pour en faire autant. La guerre n’aura pas lieu. La paix, elle, n’est pas encore pour demain.

Par Anne Vidalie.

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