De gauche à droite : François Ruffin, Clémentine Autain, Danièle Obono, Jean-Luc Mélenchon, Adrien Quatennens, Eric Coquerel et Alexis Corbière. © Eric Zeniti

« La France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon : un colosse aux pieds d’argile ?

Incontestablement, La France insoumise est le groupe parlementaire le plus en forme depuis le lancement de la 15e législature de la 5e République en France.

Les insoumis brisent les codes symboliques de l’Assemblée nationale (les hommes ont choisi de siéger sans cravate), amendent massivement les projets de loi proposés par le gouvernement Philippe, votent harmoniquement à chaque occasion (par ailleurs, c’est le seul groupe parlementaire à avoir voté unanimement contre la confiance au gouvernement), prononcent des discours expressément lyriques à quasi toutes leurs interventions. Avec un pied à l’assemblée et un autre dans l’espace public, La France insoumise, à travers la voix de Jean-Luc Mélenchon, prend également l’initiative pour appeler à manifester contre la réforme du Code du travail par ordonnances. D’où une certaine ambiance électrique avec certains syndicats qui voient dans cette attitude une chasse sur leur propre terrain. Bref, les insoumis occupent les médias, l’espace et le temps.

Cependant, à y regarder de plus près, des sensibilités politiques et idéologiques difficilement conciliables cohabitent au sein du même groupe parlementaire. Les souverainistes (de gauche), les internationalistes et les « électrons libres », différentes tendances se démarquent les unes par rapport aux autres sur des questions fondamentales. En voici leurs principales orientations politico-idéologiques.

Les souverainistes (de gauche) : De prime abord, l’expression a l’air d’un oxymore. Et pourtant, il s’agit de l’objectif principal que s’est fixé Jean-Luc Mélenchon depuis le lancement de sa campagne présidentielle de 2017 : réconcilier la gauche avec les thèmes de souveraineté, de patrie ou encore d’indépendance monétaire. Sous l’influence, entre autres, de la philosophe belge Chantal Mouffe, théoricienne du populisme de gauche, l’ex-trotskyste se revendique depuis la campagne de l’élection présidentielle de 2017 comme  » mitterrando-gaulliste« . Ainsi, en plus de son thème de prédilection, à savoir le passage à une 6e République, Jean-Luc Mélenchon prône une sortie de l’U.E, une indépendance militaire de la France vis-à-vis de l’OTAN, mais également un discours très nuancé sur la question de l’immigration (il défendait lors de la campagne des élections présidentielles « un programme européen pour l’aide au retour des réfugiés qui le souhaitent lorsque la situation de leur pays de départ le permet « ). Pour l’anecdote, à sa première entrée à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon a lancé en montrant du doigt le drapeau de l’Union européenne placée au centre de l’hémicycle : « Franchement, on est obligés de supporter ça ? C’est la République française ici« .

Il va sans dire que celle-ci reste la ligne officielle du parti. D’autant plus qu’Alexis Corbière, également député, mais aussi homme de la garde rapprochée de Jean-Luc Mélenchon, est exactement sur la même longueur d’onde.

Les internationalistes : il est important de rappeler que sur les 17 députés de la France insoumise, huit députés sont issus du Parti de gauche. Le parti dans lequel s’inscrivait Mélenchon lors des élections présidentielles de 2012, porte des accents internationalistes bien assumés par ses membres. C’est le cas de Adrien Quatennens – 27 ans, la révélation de cette rentrée parlementaire -, d’Eric Coquerel, coordinateur du Parti de gauche ou encore de Danièle Obono, ancienne membre du Front de gauche. Bien que publiquement ils s’alignent tous sur la position mélenchoniste, une fibre internationaliste persiste chez ces nouveaux députés, à l’exemple d’Eric Coquerel qui n’hésite pas à prendre la défense des sans-papiers.

Danièle Obono, pour sa part, ne cache pas ses divergences avec le leader de son mouvement. « On n’a pas le même rapport à la puissance française, par exemple« , avoue l’insoumise avant de nuancer : « mais on peut se battre ensemble sur des choses même si on part de points de vue différents. Un souverainiste et une internationaliste peuvent tous deux plaider pour un développement endogène des outremers« , se défend la députée de Paris dans le journal Libération.

Les insoumis à la France insoumise : Bien qu’ils fassent partie du groupe parlementaire La France insoumise, François Ruffin et Clémentine Autain ne sont pas officiellement membres du mouvement. Lors de l’annonce des résultats des législatives, Mélenchon a vite prononcé une allocution pour annoncer la philosophie de son groupe :  » Le peuple français dispose d’un groupe, La France Insoumise, à l’Assemblée nationale, cohérent, discipliné, offensif« . A cette déclaration, François Ruffin a répliqué dès le lendemain : « La discipline de groupe, ce n’est pas pour moi« , allant jusqu’à prévenir qu’il « votera les lois en son âme et conscience« . Autrement dit, le réalisateur du film « Merci Patron ! » ne se rangera pas forcément derrière son chef.

Le cas de Clémentine Autain, dans ses rapports avec Jean-Luc Mélenchon, reste pour le moins assez brumeux. Si les preuves de ses distances avec le président du groupe restent difficiles à distiller, les indices ne manquent pas. En mars 2015, au sujet de ses relations avec Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain dévoile :  » oui, j’ai des désaccords avec Jean-Luc, sur la politique internationale, la conception de la Nation ou la façon de faire de la politique« , avoue-t-elle pudiquement à L’OBS. Raison pour laquelle, sans doute, elle ne fut pas sa porte-parole pour les élections présidentielles de 2017, poste qu’elle avait occupée en 2012.

Quel avenir pour La France insoumise ?

Le prochain rendez-vous des élections présidentielles, en 2022, est encore bien loin. Mais quelques murmures provenant de la gauche radicale commencent déjà à vouloir tracer une route vers l’Elysée, d’autant plus qu’Emmanuel Macron a déjà commencé à provoquer les premiers mécontentements dans la société française. Toutefois, il reste à rappeler qu’historiquement – et mis à part le Programme commun élaboré autour de François Mitterrand en 1972 et qui lui a permis d’accéder au pouvoir en 1981-, le rassemblement à gauche est plutôt l’exception que la règle. Par conséquent, La France insoumise : est-ce un mouvement politique solidement construit ou une cocotte-minute ?

Nidal Taibi

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