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La franc-maçonnerie: 300 ans et toujours aussi attirante

Le Vif

La franc-maçonnerie qui rassemble plus de 2 millions de membres dans le monde, fête ses 300 ans: trois siècles au cours desquels cette mouvance « fraternelle » a beaucoup changé, sans perdre de son pouvoir d’attraction, selon l’historien Roger Dachez.

Il y a 300 ans jour pour jour naissait la franc-maçonnerie moderne. Que s’est-il passé?

Le 24 juin 1717, dans une petite taverne du quartier St Paul à Londres, a été créée la première grande loge ou obédience maçonnique. Il y a deux âges de la franc-maçonnerie: la maçonnerie opérative, celle des bâtisseurs des cathédrales, et la franc-maçonnerie spéculative, de personnes qui continuent à se réunir autour de rituels, de symboles, filant la métaphore de la construction pour l’appliquer à un dessein philosophique. Ce sont souvent des intellectuels, des notables ; les maçons de métier y deviennent extrêmement minoritaires. En 1725, une première loge est créée à Paris. Mais la franc-maçonnerie reste microscopique en France jusqu’en 1736-1737, quand son existence devient publique, au point que les autorités policières s’en inquiètent.

La franc-maçonnerie a connu un destin singulier en France, plus politique et laïque, autour du Grand Orient de France notamment. Pourquoi?

La franc-maçonnerie est un pur produit du monde anglosaxon et particulièrement protestant, né dans un esprit de tolérance, de pluralisme politique et religieux. Quand elle débarque en France, la situation y est entièrement différente, sous une monarchie absolue où le catholicisme est la seule religion autorisée. Au XIXe siècle, les gens aspirant à un peu de libéralisme politique et religieux vont trouver un seul endroit où le cultiver: la franc-maçonnerie. La sociologie des loges change complètement: elles deviennent une machine à attirer des républicains et anticléricaux, ce qui va donner le modèle du radical-socialiste +bouffeur de curé+ sous la IIIe république. Décimée à la Libération, la franc-maçonnerie française va s’engager dans une diversification considérable. Ses sensibilités aujourd’hui sont extrêmement variées, du Grand Orient, engagé sur les sujets de société, à la Grande loge nationale française, plus spiritualiste et initiatique.

Pourquoi le grand public peut-il avoir l’impression que la franc-maçonnerie n’a plus le vent en poupe: est-ce lié aux affaires, à la perte d’influence, à la discrétion voire à l’antimaçonnisme qui l’entourent?

Il faut modérer ce constat. En France, en trente ans, les effectifs ont été multipliés par trois! On compte 160 à 170.000 maçons dans notre pays – entre 2 et 2,5 millions dans le monde -, ce qui constitue la densité maçonnique la plus élevée après l’Angleterre. Sous la IIIe république, quand elles étaient entièrement politisées, les loges ont suscité un antimaçonnisme virulent, politique et religieux. Aujourd’hui, il subsiste un antimaçonnisme rampant: comme la franc-maçonnerie a pratiqué une culture du secret, beaucoup s’en méfient instinctivement sans trop savoir au juste quoi lui reprocher.

La franc-maçonnerie recrute dans les classes moyennes avec une surreprésentation de certaines professions – les professeurs, les médecins, les avocats. Dans le monde, elle reste majoritairement voire exclusivement masculine, le fait féminin en maçonnerie est une invention française: on compte chez nous 20 à 25% de soeurs, c’est unique. Sur l’affairisme, phénomène marginal, mon sentiment est que les obédiences maçonniques sont beaucoup plus vigilantes que par le passé.

Bien qu’elle ait beaucoup changé en 300 ans, la maçonnerie est soutenue par des invariants: l’idéal de fraternité entre hommes de tous milieux, origines, confessions, races; l’idéal de tolérance, le respect de la différence et la volonté de la mettre de côté.

Aujourd’hui, notamment dans un pays très sécularisé comme la France, on s’aperçoit que la franc-maçonnerie est perçue par beaucoup des gens qui veulent la rejoindre comme une espèce de religion de substitution. Déçus de l’action politique ou des religions, ils y trouvent une quête de sens. Quant à l’initiation maçonnique, si tous les secrets des francs-maçons ont été publiés depuis 270 ans, cela reste une expérience intime, qui n’est pas communicable.

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