Groupe du vendredi

La fondation de la modernité au Congo

Groupe du vendredi Forum composé de jeunes provenant de divers horizons qui prennent du temps pour la réflexion et le débat

Laurent Hanseeuw, économiste entre-autres à l’ULB et membre du groupe du vendredi, revient sur la « révolution de la modernité », portée par les cinq chantiers de la République Démocratique du Congo.

La réclame ne manque pas dans les rues de Kinshasa. Les yeux d’un Européen lambda ne pourront d’ailleurs cacher un petit air de scepticisme au vu des couleuvres que certaines publicités essayent de vous faire avaler. Il est vrai que présenter un banquier comme l’alter-ego des êtres qui vous sont le plus proche peut déclencher une hilarité nerveuse dans nos contrées. « Deux semaines de miracles et de guérisons« . Les innombrables superlatifs usités par les annonces ou publicités religieuses – on n’est pas bien sûr -prêtent presque même davantage à l’inquiétude pour un quidam d’un pays largement déchristianisé. Il n’empêche que la vivacité que cette communication débridée dégage est rafraichissante de créativité et, in fine, pas plus insultante que nos abrutissements quotidiens.

Pour la personne plus intéressée par le développement économique et politique de la République Démocratique du Congo (RDC), ce sont cependant d’autres affiches qui interpellent. Partout dans la ville, des panneaux gigantesques appellent à soutenir « la révolution de la modernité », portée par les cinq chantiers de la république : infrastructures et voies de communication, eau et électricité, santé et éducation, emploi et logement (inutile de faire remarquer l’addition nébuleuse). Derrière ce vocable emphatique, une idée centrale : faire rentrer la RDC dans l’ère du développement, à l’image de nombreux pays africains enviés à Kinshasa (Angola, Kenya, Nigéria, etc. On ne parle pas du Rwanda évidemment). Outre les référentiels dans l’air du temps, l’objectif est louable, et les recettes semblent avisées.

Il y a dix ans, moins de 2% des routes congolaises étaient asphaltées, un des taux les plus bas au monde à l’époque. Le manque d’infrastructures reste criant, rendant pratiquement illusoire le développement d’une production agricole à même de nourrir le pays, et concourant dès lors à l’atrophie des secteurs de la logistique et de la distribution. A vrai dire, les supermarchés modernes de la capitale sont remplis des produits blancs de nos enseignes. Il n’y a pas qu’en Belgique que l’Everyday fait partie du quotidien. Selon des chiffres de 2007, la RDC importe quatorze fois plus de produits agricoles qu’elle n’en exporte, malgré qu’elle soit un des pays les plus arables au monde. Pourtant, l’intensité en main-d’oeuvre de ces activités les rend clefs au vu de la nécessaire création massive d’emplois plus formels et productifs.

Comme partout, l’approvisionnement en eau potable et en électricité est un pré-requis au développement. Le temps consacré par les populations à l’approvisionnement en eau – parfois plusieurs heures par jour – pourrait être alloué à des activités productives ou investi dans l’éducation. Quant à l’instabilité de la fourniture électrique, palpable à chaque coin de rue, même dans la capitale, elle rend impensable la création d’une industrie manufacturière digne de ce nom. Quelle ironie, alors que les barrages d’Inga à proximité de Matadi auraient théoriquement une capacité de plus de 40GW, l’équivalent d’une trentaine de réacteurs nucléaires.

En bref, sur le papier, les chantiers semblent les bons. En réalité, et à ce stade, le bilan est mitigé. D’un côté, la croissance économique, qui avoisine les 8% par an, est prometteuse, mais sans doute trop faible au vu du potentiel congolais. La stabilisation de la monnaie, liée au dollar, devrait faciliter l’investissement. Les infrastructures, du moins à Kinshasa, se font jour, même si sans doute pas au rythme souhaité. Mais le bilan des observateurs apparait plus critique. Le secteur agricole reste atrophié, le système éducatif est en déshérence, la sécurité énergétique et l’approvisionnement en eau restent un prospect lointain. Enfin, le secteur minier représente encore près de 30% de l’économie, mais a peu d’impact sur le revenu disponible du Congolais.

Si les objectifs et les investissements sont sans doute les bons, le cadre et la méthode sont à repenser. Ces grands chantiers sont canalisés par l’intermédiaire de l’Etat, dû à l’atrophie du secteur privé d’une part, et très probablement pour des raisons politiques d’autre part. Avec moins de cinq milliards d’euros par an, un montant comparable au budget de notre Région bruxelloise, le budget de l’Etat ne permet en rien d’envisager des investissements ambitieux ; de sorte que les cinq chantiers de la révolution de la modernité sont partiellement (substantiellement ?) financés par l’intermédiaire d’un accord de coopération avec la République populaire de Chine. Les banques congolaises seraient d’ailleurs bien en mal de proposer des financements, privés ou publics, dignes de ce nom. L’absence de toute bancarisation de l’économie – moins de 5% des Congolais ont un compte en banque, et encore moins épargnent – les font dépendre de quelques gros déposants ou du financement extérieur en dollars, plus volatile. La récente mise en place du paiement de fonctionnaires par un intermédiaire bancaire va dans le bon sens, mais, à ce stade, cela ne semble pas encore se traduire par la mise en place d’une épargne bancarisée. La mise en place de canaux de financement diversifiés pour le secteur privé apparaît comme une nécessité. Rien que la mise en place d’une bourse de valeurs pour l’échange d’actions et d’obligations serait un complément utile au financement local et à l’aide internationale et, peut-être, un appui à l’amélioration de la gouvernance des entreprises.

Cette concentration des canaux du développement, et donc du financement, dans l’appareil de l’Etat central, la fédéralisation des ressources vers les provinces restant embryonnaire, accroit d’autant le risque de corruption. L’instabilité politique au gouvernement rend de plus celle-ci particulièrement inefficace, poussant le corrompu à penser court-terme, plutôt que de réaliser son gain en accompagnant des projets sur le long-terme.

En mettant sur la table ces cinq chantiers, la RDC semble avoir opté pour les investissements nécessaires à son émergence. C’est la méthode qui est par contre à revoir. Assurer une plus grande sécurité juridique et foncière, professionnaliser les tribunaux, reconstruire le système éducatif, favoriser l’émergence d’une plus grande financiarisation de l’économie sont autant de chantiers préalables à l’émergence d’un secteur privé à même de diversifier les filières de développement du seul état central.

Au Congo comme en Belgique, les « révolutions » les plus importantes à mettre en place sont davantage le fait de réformes pragmatiques que d’énièmes aventures constitutionnelles.

Le groupe du vendredi est une plateforme politique pour des jeunes d’horizons très différents. Elle est soutenue par la Fondation Roi Baudoin. Pour cette série estivale, les membres écrivent au nom du www.groupeduvendredi.be

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire