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« La Fayette, nous voilà ! »

La formule prononcée le 4 juillet 1917 par un officier de l’état-major de l’armée américaine sur la tombe du célèbre marquis illustre la première moitié du xxe siècle. D’une guerre mondiale à l’autre.

La semaine prochaine 4. « L’Europe américaine et après ? »

Les Etats-Unis sont devenus une grande nation, mais incertaine de sa puissance, hésitant sans cesse entre isolationnisme et interventionnisme, cherchant à imposer un ordre mondial (les Quatorze points, la SDN), mais s’en retirant aussitôt et, ce faisant, le condamnant avant même qu’il ne vienne au monde. Les grandes puissances européennes font encore la loi sur la planète ; mais, dans un monde déjà globalisé (c’est l’ère des grandes expositions universelles, comme, au beau milieu de la période, l’irruption de la grande crise mondiale), l’Amérique a commencé à exporter massivement sa civilisation matérielle – le taylorisme – et artistique – le jazz, le cinéma, le roman.

Le 2 avril 1917, le président Woodrow Wilson demande au Congrès de déclarer la guerre à l’Empire allemand. Les premiers éléments de l’American Expeditionary Force, placée sous le commandement du général Pershing, arrivent en France en juin. A la fin de la guerre, quelque 2 millions d’Américains sont engagés sur le front de l’Ouest, et plus de 120 000 y laisseront la vie. C’est la première rencontre des deux mondes, le Vieux et le Nouveau, et elle va modeler durablement leurs relations. Ce n’était pas une décision facile pour les Américains. En s’engageant militairement aux côtés des Alliés, ils enfreignaient le tabou le plus solennel de leur politique étrangère. Mais la portée historique de leur décision était immense : en prenant en sens inverse le chemin des Européens qui avaient créé leur République, ils scellaient avec le Vieux Continent une alliance durable, fondée sur des intérêts et des valeurs partagés. Ainsi, de même que la Grande Guerre allait être la matrice du xxe siècle, leur propre engagement devait largement contribuer à en fixer les contours.

Les « Quatorze points » du président Wilson Si l’entrée en guerre fut la première manifestation, hors de leur sphère immédiate d’influence, de la puissance militaire des Etats-Unis, les « Quatorze points » constituent la première manifestation de leur interventionnisme diplomatique, dans une volonté affichée non seulement de mettre fin à la guerre, mais d’inventer un nouvel ordre européen. Le président Wilson a d’ailleurs consulté des personnalités européennes éminentes, notamment le Tchèque Thomas Masaryk et le Polonais Ignace Paderewski, qui devaient jouer un rôle de premier plan dans l’accession de leurs pays à l’indépendance.

Enoncé dans un discours du président au Congrès le 8 janvier 1918, soit dix mois avant la fin de la guerre, et fondé sur les principes éclairés de la diplomatie ouverte, du libre accès à la mer, du désarmement, et, surtout, de l’autodétermination des peuples, ce programme inspire les négociateurs du traité de Versailles. Mais ces derniers n’en prennent que ce qui leur convient, cependant que le Sénat américain, rétif à tout interventionnisme, refuse de ratifier le traité de Versailles, et que les Etats-Unis restent à l’écart d’une Société des Nations dont ils ont pourtant été les parrains. L’idéalisme wilsonien fait long feu. Et l’Europe, laissée à elle-même, va tituber une fois de plus vers l’abîme…

La Grande Dépression En 1928, George Gershwin, fils d’émigrants juifs russes, crée à Carnegie Hall son poème symphonique Un Américain à Paris, inspiré par son propre séjour parisien. Des Américains à Paris, capitale mondiale des Années folles, il y en a beaucoup. Des écrivains qui fuient la prohibition, l’ordre moral et la vie intellectuelle selon eux indigente de leur pays, et font du café La Rotonde, à Montparnasse, leur quartier général – Hemingway, T.S. Eliot, Ezra Pound, Dos Passos, Scott Fitzgerald et bien d’autres, que Gertrude Stein, autre expatriée, a rangés dans la catégorie de la « génération perdue ». Des musiciens, qui importent en Europe une musique étrange qui s’imposera rapidement comme l’un des genres musicaux majeurs du siècle, le jazz – ainsi, Sidney Bechet et Joséphine Baker, pour ne nommer qu’eux, qui se produisent ensemble sur la scène du théâtre des Champs-Elysées, en 1924, dans la Revue nègre. C’est l’époque où, pour la première fois, une véritable influence culturelle américaine se fait sentir sur le Vieux Continent, même si l’Europe reste encore, pour toute une génération, l’horizon culturel indépassable des Américains.

Le 24 octobre 1929, le Jeudi noir de la Bourse de New York marque le début de la dépression économique la plus profonde que le monde ait jamais connue. La Grande Dépression est la première manifestation, quoique en creux, de la puissance économique américaine. En effet, partie des Etats-Unis, la crise va se propager rapidement en Europe sous l’effet conjugué du retrait des avoirs américains des banques européennes, de l’épuisement des échanges et des réactions protectionnistes des gouvernements, aux Etats-Unis d’abord, puis, au rythme de la progression de la crise, en Europe. Mais les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, une culture démocratique vigoureuse propulse au pouvoir Roosevelt et son New Deal. En Europe, si les institutions des vieilles puissances démocratiques, la France et la Grande-Bretagne, ne sont pas remises en question, ailleurs l’alternative se présente sous les traits du totalitarisme, rouge, noir ou brun.

Hollywood, cadeau de l’Europe à l’Amérique Entre 1933, lorsque Hitler parvient au pouvoir en Allemagne, et 1945, l’année de l’effondrement du Reich de Mille Ans, des milliers de savants, artistes, écrivains, musiciens et cinéastes trouvent refuge aux Etats-Unis. Il existe peu de symboles de l’influence culturelle américaine aussi puissants que Hollywood. Capitale mondiale du 7e art, centre planétaire de la culture populaire, usine où s’est façonné un rêve américain promptement globalisé, Hollywood est aussi « américain » que le jeans – et aussi « européen » que lui.

En effet, si l’industrie cinématographique hollywoodienne a été fondée par des Américains « de souche », sa prodigieuse expansion sera l’£uvre d’immigrants d’Europe centrale et orientale, et plus précisément d’immigrants juifs. D’abord distributeurs et, surtout, producteurs, ils fondent les majors des studios californiens : Twentieth Century Fox, MGM, Warner Bros Studios. Les véritables créateurs de l’industrie cinématographique américaine, ce sont ces gens venus d’Europe, qui, dans les mots de Philip Roth, « ont fait du neuf parce qu’ils n’avaient pas le droit de faire du vieux ». Plus tard, l’accession au pouvoir de Hitler, et, après la Seconde Guerre mondiale, la mise sous tutelle des pays de l’Europe de l’Est par l’Union soviétique pousseront vers l’exil doré de Hollywood des réalisateurs et des acteurs qui contribueront à leur tour à fabriquer le rêve américain. Pendant que celui-ci, juste retour des choses, revient hanter l’imaginaire des Européens.

Elie Barnavi

« L’Amérique, c’est aussi notre Histoire ! » Trois siècles de relations entre l’Europe et les Etats-Unis, exposition, Tour & Taxis, à Bruxelles.

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