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La droite radicale en Europe: « C’est le début d’un Nouveau Monde »

Han Renard

La victoire de Donald Trump a donné des ailes à Marine Le Pen (FN), Geert Wilders (PVV) et Frauke Petry (AfD). À l’approche des élections en France, aux Pays-Bas et en Allemagne, les hommes politiques de la droite radicale n’hésitent plus : « 2017 sera l’année de la révolution non violente et démocratique. »

Nous sommes le 21 janvier 2017. « Bonne chance », me dit le chauffeur de taxi quand je descends à la Salle des Congrès de Coblence, en Allemagne, où se tient l’assemblée de l’Europe des nations et des libertés (ENL), la fraction de la droite radicale au parlement européen.

Avec plus d’une heure et demie de retard, les idoles radicales de droite font leur entrée. Dans un décor digne des États-Unis, les « futurs dirigeants de l’Europe » entrent dans la salle. Au centre, Marine Le Pen, rayonnante et sûre d’elle. Des centaines de journalistes sur le balcon, des milliers d’adeptes d’AfD « Alternative für Deutschland » dans la salle : le show peut commencer.

L’esprit du nouveau président américain est omniprésent à Coblence. Donald Trump, investi la veille du congrès, est l’inspirateur et l’espoir de la droite radicale européenne. Le bouleversement de l’autre côté de l’océan doit être possible en Europe aussi, vu les élections importantes en France, aux Pays-Bas, et en Allemagne en 2017. Les ténors dans la salle en sont fermement convaincus.

Annoncée comme « la femme au plus beau sourire de France » et la prochaine présidente, Marine Le Pen, la star du congrès, prend la parole. « Un Nouveau Monde est en train de naître », assure-t-elle.  » Nous vivons le retour de l’État-nation, de la révolte des peuples contre les détenteurs du pouvoir non élus à Bruxelles ». La salle est suspendue à ses lèvres. « Après le Brexit et l’élection de Donald Trump, d’autres dominos tomberont. »

La chancelière Angela Merkel et sa politique migratoire « catastrophique », le « tyran » Jean-Claude Juncker de la Commission européenne : le public enthousiaste boit les paroles de Le Pen. L’Europe a déjà fait preuve de suffisamment de solidarité avec les migrants », estime la présidente du FN. « Les migrants sont mauvais pour la sécurité sociale, pour l’économie. Et il y a des terroristes parmi eux. Nous souhaitons reprendre le contrôle de nos frontières nationales. » La salle applaudit et lève des petits panneaux avec son nom.

La candidate à la présidentielle française répète son plaidoyer contre la monnaie unique. « Les pays doivent avoir la possibilité de sortir de l’euro ». « La vieille Europe des frontières intérieures, les monnaies nationales, les États-nations sans immigration de masse et islam : ils veulent retourner à ça. Si elle devient présidente de France, elle redemandera la souveraineté nationale dans quatre domaines essentiels : « territorial, monétaire, économique, et législatif ». Et elle met en garde : « Si le résultat de ces négociations ne me plaît pas, je demanderai aux Français de sortir de l’UE. C’est soit une nouvelle Europe, soit la fin de l’Europe. » Il paraît peu probable que choses tournent ainsi, ne serait-ce que parce la plupart des Français ne veulent pas du tout abandonner l’UE ou l’euro.

Le leader du PVV Geert Wilders, qui voyage avec huit gardes du corps, refait le discours de Marine Le Pen dans un allemand irréprochable, même s’il fulmine beaucoup plus contre l’islam. « La peur règne. L’islamisation a fait de nous des étrangers dans notre pays. Les femmes blondes n’osent plus montrer leurs cheveux. Ça suffit. Les gens en ont assez du politiquement correct. Mais des temps meilleurs approchent. Donald Trump le prouve. Ce sera le cas ici aussi. Ce sera l’année de la libération. De la révolution démocratique et non violente. »

Contacts avec Trump

Après les élections européennes, la formation de fraction ENL n’a pas été une sinécure. Pendant des années, les partis d’extrême droite et populistes se sont volés dans les plumes au parlement européen et Marine Le Pen et Geert Wilders n’ont pas trouvé suffisamment d’alliés pour former une fraction. Ils ont fini par réussir en 2015, avec notamment le FPÖ en Autriche, la Ligue Nord en Italie et le Vlaams Belang. Une assemblée composite, mais les partis se sont trouvés dans leur opposition à l’UE, l’islam et l’immigration. L’ENL, qui compte 7 partis et 40 élus, est la plus petite fraction du parlement européen.

Quelqu’un comme Janice Atkison, ancienne membre de l’UKIP britannique et très en faveur du Brexit, ne s’est décidée que quand Marine Le Pen a expulsé son père du parti. Faire partie d’une fraction au parlement européen offre pas mal d’avantages, tant sur le plan personnel que financier. L’ENL a pu engager des dizaines de nouveaux collaborateurs et perçoit 3 millions de subsides de plus par an. Grâce à ces moyens, ils peuvent organiser un événement comme celui de Coblence.

Aussi l’humeur dans la fraction est-elle excellente. Électoralement, la plupart des partis ont le vent en poupe. Le FN et le PVV pourraient devenir le plus grand parti de leur pays, l’AfD comptera ses premiers élus au Bundestag en septembre et le brutal Matteo Salvini, qui a donné un second souffle à la Ligue Nord, est extrêmement populaire en Italie. « Nous vivons une époque historique », a déclaré Geert Wilders à Coblence.

Entre-temps, l’UE fait tout pour éviter que les populistes de droite remportent les élections en France et aux Pays-Bas. Elle a verrouillé la Libye, de sorte que les migrants africains ne peuvent plus traverser la Méditerranée. La route des Balkans a été fermée et elle a conclu un deal très critiqué avec la Turquie. « Dans toutes les capitales européennes, le mantra suivant est de mise : il faut verrouiller la porte. Depuis quelque temps, on ne parle plus d’accueillir humainement les réfugiés, et répartir les efforts sur les états membres « , explique Hendrik Vos, spécialiste de l’Europe à l’Université de Gand.

Malgré les crises successives que l’Europe a traversées ces dernières années – la crise de l’euro, les scandales fiscaux internationaux, la crise des réfugiés – Vos estime que l’intégration européenne se poursuit, même si c’est par à-coups. Il souligne aussi la contradiction de ladite « internationale patriotique », comme à Coblence, car les pays participants privilégient tous leur intérêt national : le serpent finira bien par se mordre la queue. Mais d’après les ténors de l’ENL, l’Europe des nations n’exclut pas une coopération amicale. « J’aime la France parce qu’elle est française et l’Allemagne parce qu’elle est allemande », déclare Marine Le Pen à Coblence. L’objectif de Coblence est surtout de souligner le rapprochement entre le FN et l’AfD.

Les hommes de paille de Poutine

Donald Trump et son fan-club européen ont tous deux une relation difficile avec les médias. Lors de la conférence de presse organisée après les discours, Janice Atkinson fait la morale aux centaines de journalistes venus du monde entier : « Les médias mainstream devront s’adapter. Vous devez apprendre à ne plus écrire de mensonges sur nous. Nous ne sommes ni racistes, ni xénophobes, ni misogynes. Nous sommes les représentants du peuple. »

La plupart des questions s’adressent à Marine Le Pen et concernent une autre caractéristique du club: leur sympathie partagée pour la Russie et son président. Le Pen a soutenu l’annexion de La Crimée en 2014, et a reçu un emprunt de plusieurs millions d’une banque russe proche de Vladimir Poutine. Matteo de la Ligue du Nord pose parfois en t-shirt à l’effigie de Poutine. La fraction ENL est-elle un homme de paille du Kremlin ? Les personnes concernées nient catégoriquement.

Marine Le Pen n’hésite pas à formuler sa vision du journalisme. Après une question sur le rôle de la diplomatie française dans le conflit entre la Russie et l’Ukraine sous sa présidence éventuelle, elle s’adresse à ses alliés à table : « Voilà la magie du journalisme : donner de l’importance au dérisoire ».

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