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La dette des étudiants américains : une bulle qui pourrait exploser

1 000 milliards de dollars ! C’est le montant des emprunts contractés par les Américains pour leurs études. Un fardeau de plus en plus insupportable… et une « bulle » qui pourrait exploser.

DE NOTRE CORRESPONDANT PHILIPPE COSTE

Son diplôme est maintenant au fond d’un tiroir, enseveli sous les lettres de relance et les mises en demeure. Depuis sa sortie de la prestigieuse Rhode Island School of Design, une école d’architecture, en 2005, Silas Adams a pu rembourser un temps une partie des quelque 133 000 dollars (100 000 euros) d’emprunts contractés pour le paiement de ses études. Tant qu’il travaillait en Californie pour le compte d’un grand promoteur immobilier, les traites de son student loan, son prêt étudiant, étaient supportables. Mais son choix de revenir dans sa région natale, au nord de New York, pour tenter sa chance comme entrepreneur, a bouleversé la donne. « Je n’ai plus les moyens de payer, à moins de me retrouver à la rue, reconnaît-il. Et, parmi les décisions qui m’ont conduit à cette situation, je n’en regrette qu’une : celle d’avoir demandé la caution solidaire de mes parents. Depuis, les créanciers les appellent plusieurs fois par jour. »

Aux quatre coins des Etats-Unis, les sonneries de téléphone suscitent aujourd’hui les mêmes angoisses pour des millions de familles. Après les ravages de la crise des prêts immobiliers subprime – la saisie pour impayés de milliers de logements achetés avec des crédits illusoires -, c’est un autre versant du rêve américain qui s’effrite : l’en-cours des emprunts par les étudiants atteint à présent 1 000 milliards de dollars (plus de 753 milliards d’euros), un chiffre équivalant au montant de la dette en cartes de crédit des ménages. Si les institutions financières n’ont jamais tant prêté, depuis près de dix ans, pour aider les jeunes Américains à payer leurs droits d’inscription et leurs frais quotidiens sur les campus, plus de 11 % de ces dettes individuelles n’ont pas été honorées ces trois derniers mois. Un taux d’impayés supérieur à celui du crédit à la consommation !

Les études universitaires, investissement clé de la promotion sociale américaine, offrent désormais plus de désillusions que de carrières prospères. Dans un pays qui compte près de 8 % de chômeurs, le recul des salaires et l’absence de perspectives de carrière peuvent rendre impossibles les remboursements. Or l’endettement étudiant n’a jamais atteint de tels sommets. 68 % des jeunes diplômés améri- cains sortent avec un emprunt à rembourser, évalué en moyenne à 26 600 dollars (20 000 euros), pour moins de 10 000 dollars (7 500 euros)en 1989.

1 étudiant sur 10 issu de médecine ou d’une business school réputée entre dans la vie active lesté d’une ardoise proche de 62 000 dollars (47 000 euros). A l’heure où l’économie patine, le fardeau apparaît de moins en moins supportable. Près de 20 % de l’ensemble des ménages américains, toutes générations confondues, paient chaque mois la facture de leurs études.

Sur les réseaux de type Copains d’avant, qui pullulent sur Internet, il n’est pas rare de voir des « amis » grisonnants célébrer, à plus de 50 ans, la dernière mensualité de leurs cours de sociologie. Mais, de facto, les plus endettés sont les ménages âgés de moins de 35 ans. Pour 40 % de cette tranche d’âge, le student loan s’ajoute au crédit immobilier et aux traites de l’automobile. De plus en plus souvent, cette dette interdit l’accès à la propriété, freine la consommation quotidienne et, par extension, la croissance du pays. Cet horizon, assombri par le chômage, les bas salaires, et des décennies d’endettement, devrait dissuader les vocations d’étudiants. Déjà, un tiers seulement des élèves inscrits au college, le premier cycle universitaire, vont jusqu’au diplôme. Pourtant, vu la situation de l’emploi, beaucoup tentent d’améliorer leur formation et leurs chances d’être embauchés par un retour temporaire dans les amphis, qui offre aussi un autre avantage, paradoxal : « Tant que l’on est à la fac, les remboursements sont suspendus, explique Kevin Stump, âgé de 23 ans et « plombé » par plus de 13 000 dollars (9 800 euros) de dette. Voilà pourquoi, quand j’ai compris que mon premier salaire ne me permettrait jamais de rembourser mon emprunt, je me suis réendetté pour suivre un nouveau cycle à mi-temps, tout en travaillant. » Sa stratégie consiste maintenant à obtenir son diplôme « le plus lentement possible », dans l’espoir que le marché de l’emploi s’améliore et que ses futures qualifications, dans les relations publiques, lui apportent un salaire décent.

Quand l’Etat fédéral distribue l’argent aux familles…
Pourquoi se priverait-il ? L’argent coule encore à flots. Alors que l’endettement des ménages diminue sur tous les autres postes, l’en-cours des prêts aux étudiants a, lui, augmenté de 4,6 % au seul troisième trimestre de 2012. Et de… 56 % depuis 2007. Qui sont les généreux prêteurs ? Au pays du capitalisme roi, la réponse peut surprendre : l’Etat fédéral, à hauteur de 93 % des fonds.

Pour pallier la paupérisation des familles pendant la crise et garantir l’accès aux études du plus grand nombre, l’administration Obama a même innové, en supprimant les intermédiaires privés, chargés d’enregistrer les demandes d’emprunts, et en désignant le ministère de l’Education pour distribuer l’argent. Conséquence de ces assouplissements, aucune garantie n’est demandée tant que la somme reste sous la limite de 57 000 dollars (43 000 euros). En outre, les fonctionnaires, consignes obligent, offrent les mêmes prêts à de futurs ingénieurs, assurés d’un emploi, qu’à des étudiants en histoire de l’art, aux perspectives plus incertaines. Aux Etats-Unis, longtemps révérés pour l’ouverture d’esprit de leurs entreprises, capables d’embaucher des littéraires dans des banques sur la simple foi de leurs capacités intellectuelles, le réalisme s’impose. Les universités sont maintenant priées d’informer franchement les étudiants potentiels sur la valeur de leur diplôme sur le marché du travail.

Les facs portent aussi une responsabilité essentielle dans le coût faramineux des études. A Harvard, à Yale ou à Duke, la facture minimale dépasse 37 000 dollars par an (près de 28 000 euros), sans compter le logement ni l’assurance médicale. Mais ces institutions hypersélectives et cotées, dotées de bourses pour les étudiants de milieux modestes, ne constituent pas le coeur du problème. L’essentiel des hausses de frais d’inscription provient des colleges d’Etat, des facultés pourtant conçues pour offrir des études supérieures aux rejetons de la middle class. « De la Californie au Kansas, les Etats en crise budgétaire chronique se sont désengagés de l’enseignement, réduisant parfois de deux tiers leurs subventions, rappelle Rory O’Sullivan, l’un des dirigeants de Young Invincibles, un lobby d’étudiants et de jeunes salariés. Résultat, la part restant à la charge des élèves ne cesse d’augmenter. C’est un gigantesque transfert du public local vers le privé que l’Etat fédéral tente de compenser au mieux. »

Les facs privées, de tous niveaux, ne sont pas en reste pour profiter de la manne publique. Ainsi, 93 % des étudiants de Clark Atlanta, une université historiquement ouverte à la population noire de Géorgie, paient leurs études. Pour ces jeunes, majo-ritairement issus de milieux modestes, la note de l’emprunt s’élève en moyenne à 47 000 dollars (35 400 euros). Près du double de la moyenne nationale. Un pari risqué sur l’avenir.

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