Manifestation suite à l'exécution d'un haut dignitaire religieux, Nimr al-Nimr. © AFP

La crise actuelle entre l’Arabie Saoudite et l’Iran est « la plus dangereuse depuis des décennies »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Les tensions entre l’Iran et l’Arabie Saoudite se sont aggravées suite à l’exécution d’un haut dignitaire religieux, Nimr al-Nimr. Ce scandale a engendré une attaque de l’ambassade saoudienne à Téhéran et l’expulsion des diplomates iraniens présents à Ryad.

La lutte entre Ryad et Téhéran pour l’influence politique et religieuse a également des implications géopolitiques qui vont bien au-delà de leurs frontières respectives et englobent presque toutes les zones conflictuelles du Moyen-Orient.

Bataille d’influence régionale

Les relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran n’ont jamais été au beau fixe. Les deux puissances sont souvent en désaccord sur les moyens de régler les crises dans la région et s’accusent mutuellement de chercher à y élargir leur influence. Toutes deux ont de grandes prétentions régionales, chacune souhaitant affirmer son leadership tout en réduisant celui de l’autre.

Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que les deux puissances rompent leurs relations diplomatiques. Cela avait déjà été le cas par le passé durant cinq ans, suite à de sanglants affrontements entre pèlerins iraniens et forces saoudiennes lors d’un pèlerinage à La Mecque en 1987.

La relation irano-saoudienne est délicate depuis la révolution islamique iranienne de 1979 et la guerre Iran-Iraq de 1980 à 1988. L’Arabie Saoudite et les autres Etats du Conseil de coopération du Golfe (GCC) soutenaient l’Irak de Saddam Hussein pendant la guerre. Elles ont même subi des attaques iraniennes, quand en 1984, la force aérienne saoudienne a abattu un avion de chasse iranien qui était, selon eux, entré dans l’espace aérien saoudien.

L’Arabie saoudite et d’autres gouvernements des pays du Golfe ont également rattaché le gouvernement iranien postrévolutionnaire avec une hausse du militantisme chiite, un coup d’Etat avorté au Bahreïn en 1981, et une tentative d’assassinat manquée contre un émir du Koweït quatre ans plus tard, explique la BBC.

L’Arabie saoudite, sunnite, et l’Iran, chiite, sont les deux puissances rivales de la région. Mais le conflit qui les oppose n’est pas que religieux. Il est également géopolitique. « L’Arabie saoudite a certes peur d’une influence grandissante de l’Iran depuis la chute de Saddam Hussein en Irak et la prise du pouvoir par les chiites« , explique Thierry Coville, chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran à BFMTV. « Mais c’est aussi une stratégie de la part de Ryad d’instrumentaliser le fait religieux. »

Les pays sont tous deux de grands producteurs de pétrole, sujet qui est également au coeur de la discorde. L’Iran accuse notamment le royaume saoudien, premier exportateur mondial de brut, d’être à l’origine de la baisse des prix du pétrole en maintenant sa production à un niveau élevé.

Dangerosité des tensions actuelles : trois raisons

Même si la situation actuelle n’a pas encore mené à une confrontation directe entre les deux parties, les tensions sont aussi dangereuses que celles des années 80 pour trois raisons, selon Kristian Coates Ulrichsen, chargé de recherches sur le Moyen-Orient (Rice University) et spécialiste des pays du Golfe, qui livre son analyse sur le site de la BBC.

La première raison est « l’héritage d’années de politiques sectaires qui ont divisé le Moyen-Orient« , sur fond de division entre les chiites et les sunnites. Cela a favorisé une « atmosphère de méfiance profonde  » entre l’Iran et ses voisins du Golfe. Dans cette ambiance survoltée, « le ‘juste milieu’ modéré a été cruellement affaibli et les défenseurs d’une approche intransigeante des affaires régionales ont maintenant l’emprise « .

La deuxième raison, c’est que les Etats du Golfe ont suivi une « politique étrangère de plus en plus péremptoire » ces quatre dernières années, en réponse notamment à ce qu’ils considèrent être une « ingérence » iranienne pérenne dans les conflits régionaux. Le tout accompagné d’un « scepticisme grandissant sur les intentions de l’administration d’Obama » au Moyen-Orient. Pour la plupart des pays du Golfe, la menace principale venant d’Iran n’est pas son programme nucléaire, mais son support aux acteurs régionaux non étatiques comme le Hezbollah et, plus récemment, les rebelles chiites Houtis du Yémen.

La troisième raison est que la rupture des relations diplomatiques entre l’Arabie Saoudite et l’Iran sonne probablement le glas, du moins pour l’instant, des efforts régionaux pour mettre fin aux guerres en Syrie et au Yémen.

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