Corée du Nord © Reuters

La Corée du Nord libérée par la série « Friends » ?

Stagiaire Le Vif

Des activistes nord-coréens veulent changer les mentalités de leurs compatriotes en diffusant clandestinement des films et séries américaines. Utopiste ?

Libérer les moeurs d’une dictature à coup de contenus audiovisuels étrangers ? C’est l’objectif poursuivi par des activistes nord-coréens exilés, hostiles au régime répressif de Kim Jong-un et le sujet d’une enquête menée par le magazine américain « Wired », intitulée« La conspiration pour libérer la Corée du Nord avec des épisodes de contrebande de Friends. »

Auteur de l’article, dont Libération a repris des extraits, le journaliste Andy Greenberg raconte avoir assisté, en septembre dernier,  » à la discrète remise, à la frontière sino-coréenne, de centaines de clés USB contenant notamment des films récents, tels « Lucy » ou « 22 Jump Street ». » Kang Chol-hwan, 46 ans, est à l’origine de cette action. Changer les mentalités à l’aide de films et séries, il y croit. « Quand les gens de Corée du Nord regardent « Desperate Housewives », ils voient que les Américains ne sont pas tous des impérialistes belliqueux. Ça annule tout ce qu’on leur a toujours inculqué, et quand cela se produit, une révolution démarre dans leur esprit », expose-t-il.

Ce fut le cas pour Yeonmi Park, 21 ans, qui a quitté la Corée du Nord en 2007 après avoir visionné une copie (illégale) du… Titanic. « Au pays ils nous apprenaient qu’il fallait mourir pour le régime. Or, dans ce film, c’est pour la fille qu’il aime que Jack, le héros, donne sa vie. Je m’étais alors demandée : comment quelqu’un peut faire un truc pareil et ne pas se faire exécuter ? »

Dans un pays où 74 % de la population possède un téléviseur, cette  » contrebande idéologique » est bel et bien une réalité : les films, gravés sur CD ou clé USB, se vendent discrètement au marché noir, et la police traque impitoyablement ceux qui les regardent, en secret. « Il faut parvenir à provoquer une prise de conscience à grande échelle pour que le peuple se rebelle », affirme Kang Chol-hwan.

Une révolte ? « Peu de chance »

L’initiative de ces militants rappelle partiellement l’occidentalisation culturelle vécue en Allemagne de l’Est (RDA), au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et tout au long de la guerre froide. En effet, dès les années 50, les habitants de RDA captent, plus ou moins facilement, les chaînes de radio et télévision de l’Ouest. Via notamment les films occidentaux, « ceux-ci apprennent alors que le niveau de vie est meilleur à l’Ouest, que la liberté y est incomparable « , expose Étienne François dans la revue française Histoire. Cette prise de conscience engendre, entre autres, deux grandes vagues d’émigration : avant la construction du Mur, puis dans les années de révolte précédant sa chute. « Un des grands échecs de ce régime est de ne pas avoir réussi à ériger un mur hertzien », schématise l’historien.

Un scénario similaire peut-il voir le jour en Corée du Nord ? « Même s’il est compliqué de répondre avec certitude, vu le manque de données disponibles, il y a peu de chance », avertit un expert belge en géopolitique contacté par nos soins. Dans un pays à la situation  » quatre fois plus dramatique qu’en RDA », un changement de mentalité est, selon lui, difficilement envisageable, car « les Nord-coréens, n’ayant jamais connu la liberté, n’ont pas les mêmes réflexes et n’ont aucune notion de ‘vie à l’Occidentale’. »

« Lucy » au secours du peuple ? Utopiste, donc. « Cette histoire de films clandestins s’avère être un phénomène très marginal. Cela va toucher quelques milliers d’intellos ou artistes, tout au plus », assure-t-il. « Dans cet État hyper contrôlé qui, à l’image de ce qui se faisait en RDA, fonctionne avec un système de dénonciation d’autrui, une révolution semble, à l’heure actuelle, inconcevable. » (A.V.)

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