Giuseppe Santoliquido

La chute du Condottiero

La question à se poser, en prenant acte des résultats de la consultation électorale italienne de ce 4 décembre 2016, est la suivante : pour quelle raison le premier ministre s’est-il embarqué, il y a un peu plus d’un an, dans une réforme constitutionnelle en rien prioritaire au vu de l’état de délabrement économique du pays ?

La réponse, pensons-nous, s’articule selon deux axes complémentaires. D’une part, pour tenter d’effacer le péché originel d’une accession au pouvoir survenue en vertu d’une manoeuvre de cour, et, de l’autre, en raison d’une erreur de perception concernant le rejet dont faisait l’objet sa propre personne.

Rappelons, en effet, qu’après avoir pris la tête du Parti démocrate en décembre 2013 sur base d’un slogan populiste qui pourrait se traduire par « Envoyons à la casse l’ancienne classe dirigeante », Matteo Renzi est nommé président du conseil au détriment d’Enrico Letta, en février 2014, suite à une habile manoeuvre d’appareil et sans avoir reçu l’onction du suffrage universel. Pour les cadres du parti, il devient donc un usurpateur. Par ailleurs, son style personnel est jugé peu institutionnel. Les tweets à profusion, les slogans simplistes et les petites phrases, le blouson de cuir et la participation à des émissions télévisées réservées aux starlettes de la téléréalité, tout cela déplaît. Trop berlusconien.

Au sein de la population, toutefois, l’hyper-activisme d’un Premier ministre dont la popularité est le fruit d’un rejet de l’ancienne classe politique suscite de nombreux espoirs. Et de premiers résultats son engrangés : une loi sur l’accélération administrative du divorce, une autre sur la simplification des travaux publics, une autre encore sur les unions civiles. Le pouvoir d’achat des citoyens dont le revenu est inférieur à 1500 euros est augmenté de 80 euros. Par conséquent, les élections européennes de 2014 sont un triomphe : jamais encore un chef de gouvernement en exercice n’avait dépassé la barre des 40 %.

C’est à ce moment que Matteo Renzi commet ses premières erreurs. Fort d’une réelle popularité, il décide de réformer le marché du travail sans l’aval de l’aile gauche de son parti et des syndicats, qu’il déclare considérer, les uns et les autres, comme autant de boulets contraignant le pays à l’immobilisme. Puis il fait de même avec l’enseignement, contre l’avis des enseignants. Travailleurs et corps professoral s’unissent donc en front commun. Dans les rues et sur les places, plusieurs millions de personnes défilent contre le gouvernement.

Or, ces manifestants constituent l’électorat premier d’un Parti démocrate que Matteo Renzi veut « socialdémocratiser » contre sa base. Contre ses cadres. Sans compter que non content de gouverner avec Angelino Alfano, l’ancien numéro deux de Silvio Berlusconi et auteur d’une bonne partie des lois ad personam de ce dernier, il ouvre sa majorité à Denis Verdini, ex numéro trois du Cavaliere et inculpé pour corruption. Le renouvellement des cadres et de la morale politique a fait long feu.

Parallèlement, l’économie italienne peine à se redresser. La création d’emplois se fait attendre. Des scandales et des conflits d’intérêts frappent certains de ses proches, comme aux belles heures du berlusconisme. Les nominations au sein des organismes publics se font sur base de copinage, comme avec ses prédécesseurs. De plus, Matteo Renzi refuse de céder la tête du parti et décide de cumuler celle-ci avec ses fonctions de chef de gouvernement.

C’est alors que sous-estimant le mécontentement et le mal-être de sa population, il décide de réformer un tiers de la Constitution sans que la nécessité s’en fasse sentir, sans en appeler à une entente entre les partis, ce qui est pourtant dans la praxis politique transalpine. Une réforme de la Constitution, surtout de cette ampleur, n’est pas, d’habitude, l’affaire du gouvernement, mais du parlement. Or, le premier ministre passe outre cette convention, certain de disposer encore d’un large soutien populaire. Conviction que viendront balayer la défaite aux dernières élections locales et la perte historique de Rome et de Turin au profit du Mouvement Cinq étoiles, dont la puissance de frappe n’aura jamais été si forte.

Mais Matteo Renzi s’obstine. Son intention est d’obtenir une onction populaire. Un plébiscite sur sa personne. « Si je perds, je quitte la vie politique », annonce-t-il, agitant ainsi le spectre de l’instabilité. Le voilà parti en croisade. Contre une partie importante de son parti et de sa majorité parlementaire. Contre la Mouvement Cinq Etoiles, la droite et l’extrême droite. Contre les sondages. Cela n’aura pas suffi. Dans un contexte très anti-européen, le soutien des chancelleries occidentales et de l’Union européenne aura même fait office de repoussoir. Tout comme les slogans démagogues utilisés en dernier recours.

La participation très importante des Italiens au scrutin de ce dimanche et le résultat sorti des urnes constituent une défaite cuisante. Le rejet de la personne de Matteo Renzi et l’inimitié d’une partie des siens se sont avérés des obstacles trop importants à franchir. Tout n’est cependant pas perdu. Certes, les explications au sein du Parti démocrate, dont il reste le secrétaire général, auront l’allure d’une nuit des longs couteaux. Mais sa force réside avant tout dans la faiblesse de ses concurrents. Car derrière le non à la réforme constitutionnelle ne se cache pas d’offre politique crédible. La droite est orpheline de son leader historique, Silvio Berlusconi, âgé aujourd’hui de quatre-vingts ans et discrédité par un nombre considérable d’ennuis judiciaires. Le Parti démocrate et la gauche en général sont balkanisés et privés d’identité politique. L’extrême droite ne franchit pas la barre des 15 % d’intentions de vote. Le centre est inexistant. Au fond, seul le Mouvement Cinq Etoiles jouit d’une santé politique florissante. Mais face aux troupes de Beppe Grillo, Matteo Renzi reste le seul à disposer d’un socle électoral sur la base duquel reconstruire un dispositif électoral gagnant : les 40 % d’électeurs qui l’ont suivi dans sa démarche. S’il tire donc profit de son revers et analyse les raisons de sa déroute, le Condottiero n’a certainement pas dit son dernier mot.

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