Xi Jinping (au centre), le 20 mars, à l'Assemblée nationale populaire. © D. SAGOLJ/REUTERS

« La Chine veut imposer son modèle »

Le Vif

Plus fort que jamais, Xi Jinping fait vibrer la corde nationaliste. Spécialiste de la Chine, Alice Ekman décrypte les ambitions planétaires du Parti communiste et du président chinois.

Dans son premier discours depuis qu’il a obtenu le droit de se maintenir au pouvoir à vie, le président chinois, Xi Jinping, a évoqué, le 20 mars, les  » batailles sanglantes  » livrées par son pays pour tenir son rang parmi les nations, et adressé une mise en garde à Taïwan, l’île revendiquée par Pékin depuis 1949. Au-delà de l’Asie orientale, la Chine entend étendre son influence, en questionnant notamment l’efficacité des démocraties libérales. Alice Ekman, responsable de l’activité Chine à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et coauteure de La Chine dans le monde (1), analyse l' » offensive tous azimuts  » lancée à l’étranger par le régime chinois.

Depuis le 11 mars, Xi Jinping peut, s’il le souhaite, rester « président à vie ». Que veut vraiment le « Nouveau Timonier » ?

Cet amendement, entériné par le Parlement chinois, confirme l’intention de Xi Jinping d’inscrire son action dans un temps long. Lors du 19e congrès du Parti, en octobre dernier, le dirigeant chinois avait réaffirmé une échéance : le  » renouveau de la nation chinoise « , c’est-à-dire une Chine développée et reconnue, d’ici à 2050, sur le plan international. Parmi la vingtaine d’amendements adoptés le 11 mars, un autre est aussi significatif que celui sur le mandat présidentiel : l’inscription dans la Constitution du  » rôle dirigeant du Parti communiste chinois  » (PCC). Celui-ci sera désormais prééminent dans tous les domaines d’activité et dans toutes les régions du pays, comme l’ont précisé les médias officiels. En clair, le PCC consolide son pouvoir dans les institutions publiques, mais aussi dans les entreprises privées, où les  » cellules du Parti  » jouent un rôle de plus en plus important. Le 11 mars, les députés chinois ont également plébiscité l’inscription de la  » pensée de Xi Jinping  » dans la Constitution. Il ne s’agit pas d’une simple coloration politique. Depuis son arrivée au pouvoir, Xi a renforcé l’apprentissage du marxisme-léninisme dans les universités du pays. Ce recadrage idéologique a de fortes implications sur le plan intérieur, mais il dessine aussi les orientations de la politique étrangère chinoise. Son principe : promouvoir une voie alternative pour tous les pays qui seraient disposés à construire à son côté un nouvel ordre postoccidental et postdémocratique. Le PCC ne veut plus seulement résister aux  » forces occidentales hostiles « , il compte désormais contre-attaquer et promouvoir des modes de développement et de gouvernance alternatifs.

Pékin développe une diplomatie offensive qui consiste à prendre l’initiative

Comment ?

La Chine développe une diplomatie offensive, qui consiste à prendre en permanence l’initiative. Elle souhaite notamment piloter la réforme de la gouvernance mondiale et considère que la plupart des organisations internationales ne tiennent pas suffisamment compte de ses intérêts. Pour parvenir à ses fins, la diplomatie chinoise agit de trois manières. Elle s’emploie à renforcer l’intégration de la Chine dans des organisations existantes, d’où l’activité de ses représentants à l’ONU. Elle s’efforce aussi de réactiver des organisations jusqu’à présent inutiles, en prenant par exemple la présidence de la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie. Enfin, elle crée de nouvelles institutions, comme la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Depuis son discours de janvier 2017 à Davos, Xi Jinping se présente comme le garant d’une certaine forme de multilatéralisme, jouant sur le contraste avec les Etats-Unis de Donald Trump. Pékin organise depuis plus de cinq ans un nombre croissant de forums et de sommets internationaux. C’est une offensive tous azimuts.

En matière de soft power également ?

Oui. L’un des objectifs de Xi Jinping consiste à mieux  » faire entendre la voix de la Chine  » via la promotion de certains concepts officiels :  » rêve chinois « , communauté de destin,  » nouvelles routes de la soie « … Cette promotion se fait également au travers de son réseau de think tanks et de médias en langues étrangères ( China Daily, agence Xinhua, CGTN). Outre le matraquage de concepts officiels, ces canaux de communication pointent ouvertement ce qu’ils considèrent comme les faiblesses des démocraties libérales. Ils critiquent notamment leur manque d’efficacité et la lenteur avec laquelle elles répondent aux crises internationales. La Chine organise aussi des programmes de formation à destination des fonctionnaires et ingénieurs étrangers, en premier lieu des pays en voie de développement. Un bon moyen de familiariser ces acteurs avec les positions chinoises. Le PCC est également en train de développer un  » nouveau type de relations avec les partis politiques « . Dans cette perspective, Xi Jinping invitera 15 000 représentants politiques étrangers de tous bords dans les cinq prochaines années. Pékin suit d’ailleurs de plus en plus près les évolutions politiques de certains pays, considérés comme stratégiques. A peine élu, le président philippin, Rodrigo Duterte, réputé plus favorable aux Chinois que son prédécesseur, s’est vu inviter à Pékin. Et Xi Jinping a levé plusieurs sanctions économiques prises à l’égard de Manille, en raison des tensions en mer de Chine méridionale.

Alice Ekman, responsable de l'activité Chine à l'Institut français des relations internationales.
Alice Ekman, responsable de l’activité Chine à l’Institut français des relations internationales.© IFRI.ORG

Les Chinois cherchent-ils à imposer leur modèle à l’étranger ?

Les officiels chinois ne parlent pas de  » modèle « , car ils estiment que l’utilisation de ce mot pourrait susciter des résistances. Ils essaient plutôt de promouvoir une  » solution chinoise  » en matière de développement et de gouvernance :  » Vous avez besoin de conseils pour lancer des réformes ? Vous avez des problèmes d’infrastructure ? La Chine est à votre disposition pour vous aider !  » Les Chinois tiennent en substance ce discours dans un nombre croissant de pays en voie de développement, mais aussi dans certains pays d’Europe centrale et orientale, et en Grèce.

Pragmatisme avant tout…

Le gouvernement chinois considère que la stabilité politique est un prérequis au développement économique et au maintien de la croissance. Il plaide donc pour un Etat fort et centralisé, capable d’anticiper et d’éviter les instabilités sociales et politiques. Aujourd’hui, Pékin prône une nouvelle  » gestion de la société « , soutenue par les technologies numériques. De fait, le PCC a fortement investi ces dernières années dans la gestion des données. Il dispose d’outils d’analyse pointus, qui lui permettent d’effectuer des cartographies très fines des zones de contestation potentielles. Pour le PCC, ces nouvelles technologies sont un outil à double tranchant : elles comportent des risques, mais elles peuvent également aider le parti à se maintenir au pouvoir. Le gouvernement chinois compte désormais exporter cette  » expertise  » à l’étranger. Les clients ne manquent pas…

Par Charles Haquet.

(1) CNRS éditions (2018), 272 p.

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