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La cavale des trois néonazis qui bouleversent l’Allemagne

La découverte, en Allemagne, d’une arme ayant servi à tuer neuf personnes entre 2000 et 2006 a mis au jour un trio terroriste néonazi financé à coups de braquages de banques. Sur les trois suspects, deux se sont donné la mort et la troisième refuse de parler. Récit.

La police allemande pensait avoir mis la main sur un simple gang de braqueurs. Elle a finalement élucidé dix meurtres commis dans les années 2000 (neuf immigrés et une policière) et révélé l’existence d’une « cellule » terroriste d’extrême-droite. Au coeur de l’enquête, deux hommes, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, qui se sont suicidés le 4 novembre, et une femme, Beate Zschäpe, qui s’est rendue à la police mais refuse pour l’instant de parler. Un quatrième homme, Holger G., soupçonné d’être un simple prête-nom, a également été arrêté ce dimanche.

Les investigations débutent le 4 novembre. Un camping-car brûle à Eisenach (dans le Land de Thüringe). A l’intérieur, les corps sans vie de Uwe Mundlos, 38 ans, et Uwe Böhnhardt, 33 ans, deux malfrats recherchés pour au moins 14 braquages de banque. Acculés, ils se sont donné la mort après avoir mis le feu au véhicule. Quelques heures plus tard, à 180 km de là, à Zwickau (en Saxe), une maison explose. Son occupante, Beate Zschäpe, s’est échappée du bâtiment quelques minutes plus tôt.

Braquages, meurtres et propagande

Rapidement, la police lie les deux affaires. Les braqueurs retrouvés dans la carcasse du camping-car à Eisenach louaient un appartement dans la maison de Zwickau, qui semble leur servir de cache. Dans leur véhicule, les enquêteurs trouvent l’arme d’une policière, abattue d’une balle dans la tête pendant son service en 2007 à Heilbronn, dans le Bade-Würtemberg. Dans l’appartement détruit, un pistolet Ceska 83, qui a servi, selon les analyses ballistiques, à commettre neuf meurtres dans tout le pays, entre 2000 et 2006. Nommés « meurtres des kebabs » (Döner-Morden) – toutes les victimes étant des petits commerçants d’origine turque et grecque – ces assassinats avaient été attribués par défaut à la mafia turque, mais jamais revendiqués, ni totalement élucidés.
Les policiers découvrent aussi dans l’appartement quatre DVD, dans des enveloppes adressées à des médias de gauche et des centres culturels islamiques. Sur ces disques, que l’hebdomadaire allemand der Spiegel s’est procurés, le même film de 15 minutes, signé « Clandestinité nationale-socialiste ». Il retrace le macabre « Tour d’Allemagne » d’une Panthère Rose cynique sur les lieux où ont été tués les neuf immigrés. Photos des scènes de crimes, coupures de presse et revendications d’un attentat à la bombe à Cologne en 2004, s’enchaînent avec comme musique de fond le générique du dessin animé, raconte le Spiegel.

Une jeunesse (déjà) néonazie

Emerge alors, dans l’Allemagne profondément marquée par la violence de la Fraction armée rouge (RAF) pendant les années de plomb, le spectre d’une « Fraction armée brune ». Le passé des trois suspects renforce cette crainte. Amis de longue date, ils ont grandi en Thüringe, land d’ex-Allemagne de l’Est, et ont tous trois navigué dans le paysage de l’extrême-droite locale qui s’est développée après la réunification en 1990. Ils ont alors une vingtaine d’années et forment, avec une poignée d’autres, le noyau dur de la « camaraderie de Iéna », groupuscule néonazi qui se revendique « anti-Antifa » (anti-antifasciste), explique l’hedomadairedie Zeit. Au milieu des années 90, ils participent aux réunions du groupe Thüringer Heimatschutz (« groupe thuringeois de protection de la patrie »). Un milieu surveillé par les autorités et dont le leader, Tino B., avait même été recruté par les services de renseignement locaux. D’anciennes connaissances rapportent au Spiegel que les trois jeunes néonazis avaient pour habitude de jouer à un Monopoly d’un goût douteux; la case « camp de concentration » remplaçant la case « prison ». Beate Zschäpe, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt étaient donc connus des autorités et surveillés. Entre 1996 et 1998, ils sont impliqués dans plusieurs affaires de troubles de l’ordre publique: fausses lettres piégées marquées de croix gammées, bombes factices… Le 26 janvier 1998, la police trouve un garage loué par Beate Zschäpe, où sont stockés matériel de propagande, explosifs et armes de poing. Sur le point d’être pris, les trois néonazis choisissent la clandestinité, se coupent de leur réseau et disparaissent dans la nature deux jours plus tard.

Un « échec de l’Etat »?

Aujourd’hui, la presse allemande s’interroge: comment les services de renseignements ont-ils pu perdre la trace de Beate Zschäpe, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt pendant près de 14 ans? Comment n’ont ils pas fait le lien entre ces néonazis et les meurtres des neuf immigrés? Le Zeit brandit l’incroyable taux d’élucidation des crimes -97,6%- en Allemagne et pointe le paradoxe des Döner Morden: « Comment, dans un pays où tout est sous surveillance, peut-on entrer dans un magasin, photographier son propriétaire, l’abattre, le photographier à nouveau, suivre son cercueil même, sans être repéré? » Le quotidien de Munich, die Süddeutsche Zeitung, apporte un élément de réponse. Depuis longtemps, les services de sécurité allemands se concentrent sur une éventuelle menace islamiste, et gardent un oeil sur l’extrémisme de gauche « intelligent et dangereux » Mais ils sous-estiment les terroristes d’extrême-droite « stupides et inoffensifs ».
Certains médias s’interrogent même sur les liens possibles entre les renseignements et le trio de néonazis. Ont-ils laissé les mains libres à des terroristes en échange d’informations? Le Tageszeitung, quotidien de la gauche alternative, dénonce même un « échec de l’Etat »,accusé de complicité: « On ne veut même pas s’imaginer cela: du terrorisme nazi permis par l’Etat, en Allemagne, six décennies après la fin de la dictature nationale-socialiste. » Le journal n’hésite pas à évoquer des liens troubles entre les suspects et l’Office pour la protection de la Constitution (Verfassungsschutz) comme le rapporte Courrier international.

Une « honte pour l’Allemagne »

Le Spiegel remarque leur mot d’ordre, « des actes plutôt que des mots », qui justifie l’absence de revendications des Döner-Morden, comme du meurtre énigmatique de la policière à Heilbronn. « Le silence était une forme de garantie de survie, quitte à ce que personne ne comprenne les motivations racistes de ces actes », analyse l’hebdomadaire. Sur LEXPRESS.fr, Stéphane François, historien, souligne la difficulté à détecter ceux qu’il considère comme des « loups solitaires » plutôt que comme un groupe organisé.

Quoi qu’il en soit, le ministre de l’Intérieur, Hans-Peter Friedrich, a reconnu des « défaillances » dans le travail des services de sécurité intérieure. La chancelière Angela Merkel a, quant à elle, parlé d’une « honte pour l’Allemagne » et à nouveau posé la question de l’interdiction du Parti national-démocrate (NPD, le parti d’extrême-droite).

La suite de l’enquête repose sur Beate Zschäpe et Holger G. L’hebdomadaire à grand tirage das Bild, affirme que la femme dont on ignore le rôle exact dans les Döner-Morden « veut témoigner », mais le Zeit pense qu’elle veut négocier son « immunité » avant de parler. Holger G. qui aurait prêté son nom et fourni des véhicules au trio néonazi, se rendant coupable de complicité, semble être un membre actif de l’extrême-droite dans la région de Hanovre. Leurs témoignages devraient permettre de savoir si la « cellule de Zwickau » était isolée, ou si elle appartenait à un réseau plus vaste de terrorisme d’extrême-droite.

Camille Caldini, L’Express.fr

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