Angela Merkel avec Gerhard Schröder, le réel initiateur des grandes réformes appliquées par la chancelière. © Michael Hanschke/Reporters

La biographe d’Angela Merkel : « Des valeurs plus que des convictions politiques »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour sa biographe Marion Van Renterghem, Angela Merkel est centriste, rassembleuse et pragmatique. Elle n’est pas une visionnaire mais fonde son action sur une morale héritée de son éducation protestante. Pour autant, elle ne veut pas être la « sauveuse » de l’Europe.

Journaliste à Vanity Fair, Marion Van Renterghem publie une biographie très fouillée de l’actuelle et probable future chancelière allemande (1).

Quel impact son éducation protestante a-t-elle pu avoir sur la pratique politique d’Angela Merkel ?

Son éducation chrétienne a eu une influence énorme, notamment dans les fulgurances dont elle a fait preuve après la catastrophe nucléaire de Fukushima et au moment de la crise des réfugiés. Il faut rappeler qu’elle était protestante dans un régime totalitaire où la religion était a priori mal vue. A ce titre, elle avait donc un statut de proscrite. Mais elle était aussi bien vue du régime parce que son père, pasteur, était un notable, parti volontairement de l’ouest de l’Allemagne vers l’est, ce qui n’était pas si fréquent. Angela Merkel s’est donc forgée dans une sorte d’ambiguïté à l’égard du pouvoir est-allemand : elle devait faire profil bas parce qu’elle était sous surveillance en tant que fille de pasteur et, en même temps, elle était plutôt protégée. Cette ambiguïté se retrouve dans sa manière d’exercer le pouvoir. Elle gouverne plus par des valeurs que par des convictions idéologiques.

Comment a-t-elle réussi à s’imposer, en tant que femme venant de l’ex-Allemagne de l’Est, dans un milieu dominé par des hommes, issus de l’ex-RFA ?

Marion Van Renterghem (à dr.), auteure de la biographie d'Angela Merkel.
Marion Van Renterghem (à dr.), auteure de la biographie d’Angela Merkel.© LUC CASTEL/Reporters

Elle a été machiavélique. Elle l’a été d’autant plus que personne ne l’a vue venir. Les barons de la CDU de l’époque avaient besoin d’une femme venant de l’est. Elle était très intelligente et parfaitement efficace. Et, pensaient-ils à tort, tout à fait inoffensive. Elle n’a pas planifié son accession au pouvoir dès ses débuts en politique. Mais quand elle a compris qu’il lui était possible d’accéder aux plus hautes fonctions de la CDU, puis de l’Allemagne, elle a  » tué  » ses adversaires très méthodiquement, avec froideur et de manière tout à fait inattendue.

A-t-elle joué de cet aspect inoffensif pour mieux tromper ses rivaux ?

Je n’irais pas jusque-là. Angela Merkel ne prévoit pas à très long terme. Je suis persuadée que quand elle a exercé ses premiers ministères, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle allait devenir. Mais c’est une mathématicienne. Elle analyse les problèmes au moment où ils se présentent. Aussi, quand une opportunité s’est présentée, elle a joué de son caractère soi-disant inoffensif. Mais elle n’a pas délibérément feint l’innocence par ruse mais, au bout du compte, sa discrétion s’est retournée en force.

Pourquoi écrivez-vous qu’une Allemande de l’Est protestante est finalement bien placée pour défendre les valeurs de la démocratie libérale ?

Elle est bien placée pour remplir ce rôle parce qu’elle est la seule, parmi les grands dirigeants occidentaux, à avoir connu deux systèmes et à avoir vécu sous une dictature. Cela a forgé chez elle un goût supplémentaire et très fort pour la liberté, dont elle a elle-même été privée. En outre, son éducation protestante assez stricte a forgé chez elle une conviction morale qui s’est substituée à une stratégie politique dont elle est de toute façon dépourvue. Angela Merkel n’est ni une idéologue, ni une visionnaire ; elle est pragmatique. Politiquement, elle s’adapte ; c’est une centriste. Elle n’a pas de convictions politiques très affirmées. Ce sont ses valeurs chrétiennes qui dictent son caractère et sa ligne de conduite.

Quand Angela Merkel décide d’accueillir les migrants en Allemagne, est-elle guidée uniquement par des valeurs morales ou y a-t-il tout de même, dans son chef, le souci d’intérêts très pragmatiques, comme la démographie ?

Rien n’est jamais sûr en politique, en particulier avec Angela Merkel, qui est tout de même une grande calculatrice. Mais je ne crois pas du tout à l’hypothèse qu’elle aurait accueilli les réfugiés avec l’objectif de repeupler l’Allemagne pour pallier sa démographie déficiente. Penser cela serait faire preuve d’un incroyable cynisme. C’est une urgence morale qui a d’abord guidé Angela Merkel, comme un rappel de ce qu’elle a vécu en Allemagne de l’Est, la privation de liberté, le danger permanent. Pour elle, on ne peut laisser des gens derrière un mur quand ils sont en danger de mort. Son éducation a joué en ce sens. Mais des questions plus pragmatiques ont aussi influencé sa décision. On prétend toujours qu’elle a ouvert les frontières. Ce n’est pas vrai. Les frontières n’étaient pas fermées. Elle a fait en sorte qu’on ne les ferme pas. Cela aurait d’ailleurs été impossible. Il aurait fallu déployer des bataillons de militaires et de policiers. Imaginez l’effet que cela aurait produit sur l’image de l’Allemagne étant donné son passé pas si lointain. Elle ne pouvait pas faire autrement.

Vous constatez qu’Angela Merkel n’a été à l’origine d’aucune grande réforme structurelle. Comment expliquer, dès lors, qu’elle soit considérée comme une grande dirigeante ?

Le paradoxe est que l’Allemagne n’a pas vraiment besoin d’elle. Le pays commençait à bien se porter avant son arrivée parce que les mesures nécessaires avaient été entreprises par son prédécesseur, Gerhard Schröder. Aucune grande réforme ne peut être mise à son actif. Même l’instauration du salaire minimum sous son gouvernement émane d’une idée du SPD, les sociaux-démocrates allemands, lorsqu’elle gouvernait avec eux en coalition. Mais elle a la chance d’incarner une forme de stabilité par sa force et sa constance de caractère. C’est ce dont ont besoin les Allemands aujourd’hui : de la stabilité au pouvoir sachant que l’économie allemande se porte bien, est inventive, dynamique et la première d’Europe. La majorité des Allemands n’a pas envie de grands changements. Septante-cinq pour cent d’entre eux se disent satisfaits de l’état du pays aujourd’hui. Même si cela ne veut pas dire que tout est rose. Angela Merkel rassure parce qu’elle incarne des valeurs et une forme de permanence dans un monde en plein tourment. Son calme et sa tranquillité apparaissent d’autant plus précieux.

Angela Merkel est-elle plus centriste que conservatrice, l’ADN de son parti, la CDU ?

Elle est la définition même de la centriste. Elle entretient l’art du compromis ; c’est une équilibriste. Elle est géniale dans l’art de manier les positions contraires. Rien ne lui convient mieux que de diriger des grandes coalitions. Elle est alors le personnage central qui rassemble le parti conservateur CDU et la formation sociale-démocrate du SPD, l’un et l’autre étant eux-mêmes plutôt des partis de centre-droit et de centre-gauche. Elle s’impose comme une sorte de pivot du centre absolu en donnant des gages à chacun. Un exemple : elle a été incroyablement habile pour faire voter la loi sur le mariage homosexuel. Elle a coupé l’herbe sous le pied des sociaux-démocrates qui voulaient en faire une sorte d’emblème de leur politique. Elle les a pris de court en mettant cette loi au programme. Mais parce que celle-ci était contraire aux convictions de son parti, elle a voté contre pour satisfaire son électorat conservateur et pour montrer qu’elle n’était pas tout à fait passée dans l’autre camp. C’était un coup de maître, digne d’une grande politicienne et d’une fine tacticienne.

Christian Lindner, président du FDP, le parti libéral-démocrate. Futur allié de Merkel ?
Christian Lindner, président du FDP, le parti libéral-démocrate. Futur allié de Merkel ?© Ralf Hirschberger/Reporters

Cela signifie-t-il qu’elle peut mettre ses convictions de côté pour faire triompher l’intérêt général ?

Oui. Elle n’a pas de scrupules, sauf si un projet est profondément contraire à ses valeurs. Elle a des lignes rouges très affirmées pour cela. Elle l’a montré à l’égard de Donald Trump. C’est la seule dirigeante en Europe qui a sorti un communiqué un peu musclé au moment de son élection en rappelant l’importance de nos valeurs communes. En revanche, sur des questions plus subtiles, comme le mariage homosexuel, cela ne la gêne pas de faire en sorte que le projet soit adopté et de voter contre en s’arrangeant avec les arguments de son parti chrétien-démocrate.

Des analystes prédisent que l’entente avec Emmanuel Macron ne résistera peut-être pas à l’examen de certaines propositions françaises au niveau européen, surtout si Angela Merkel fait alliance avec le parti libéral FDP. Partagez-vous cette analyse ?

Il y aura toujours des dissensions. Malgré tout, Angela Merkel ne pouvait espérer mieux qu’Emmanuel Macron, surtout en regard de ce à quoi elle a échappé avec 50 % des Français qui, au premier tour, ont voté pour des partis extrêmes et antieuropéens déclarés. Elle a donc vécu l’élection d’Emmanuel Macron comme un immense soulagement. Maintenant, elle attend des preuves de la vraie volonté de la France de procéder à des réformes et de respecter un équilibre budgétaire. Et Macron est en train de les lui fournir. Mais elle bloquera sur certains dossiers ; par exemple, elle n’est pas prête à renoncer à son excédent commercial. Et il est vrai qu’une coalition avec le FDP ne serait pas la plus commode. Depuis la crise grecque, le parti libéral est devenu assez antieuropéen.

Pourquoi Angela Merkel ne veut-elle pas apparaître comme la  » sauveuse  » de l’Europe ?

Elle avait hésité à se représenter pour un quatrième mandat. L’élection de Donald Trump et l’incertitude du scrutin présidentiel français l’y ont poussé. Une forme de devoir s’est imposée à elle pour continuer à porter le flambeau des valeurs occidentales en Europe. Mais elle n’a aucune envie d’être seule. L’Allemagne est satisfaite d’être une grande puissance, la première économiquement en Europe. En revanche, elle n’a pas envie d’incarner l’équivalent sur le plan politique. Les Allemands sont marqués pour un bon bout de temps encore par l’hitlérisme. Ils savent ce que c’est d’avoir eu un leader dans le monde et en Europe. Ils ne sont pas tentés par cette forme de prédominance. Angela Merkel est donc contente de pouvoir former un couple fort avec Emmanuel Macron avec lequel elle partage les

(1) Angela Merkel, l’ovni politique, par Marion Van Renterghem, Les Arènes – Le Monde, 264 p.

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