Le Vif

L’orientalisation de l’Europe

Les Écossais ont dit non à l’indépendance, le Royaume-Uni respire. Mais rien n’est réglé pour autant. Ailleurs en Europe, les poussées « nationalitaires » ou régionalistes n’ont pas de raison de cesser…

Le Premier ministre David Cameron, pressentant le vent du boulet, s’est livré durant la campagne électorale à un assaut de promesses favorables aux Ecossais – qu’il va falloir tenir. En réaction, l’opinion publique anglaise se demande maintenant pourquoi des députés écossais (ou gallois) ont la liberté de voter au sein de la Chambre des communes sur des questions qui ne concernent plus que les Anglais, alors que les parlementaires anglais n’ont plus leur mot à dire sur l’éducation ou le système social qui prévaut en Ecosse.

En dehors de la France, qui fait figure d’exception (encore faudrait-il nuancer ce propos), l’Europe continue à subir des poussées « nationalitaires » ou régionalistes qui n’ont pas de raison de cesser. Aux revendications déclarées ou latentes des pays de l’ouest de l’Union européenne s’ajoute le réservoir de problèmes de l’Europe centrale, terre d’élection de l’ébullition identitaire, même si les causes diffèrent profondément d’un pays à l’autre.

Poussé à l’extrême, le respect des particularismes voudra qu’un individu soit rattaché à la collectivité selon ses origines, sa langue, sa communauté, sa religion. Bref, un Moyen-Orient occidental.

La construction européenne est au coeur du sujet. Depuis des décennies, la CEE puis l’UE ont encouragé l’affirmation des régions, la promotion des langues régionales et, par ailleurs, mis l’accent sur les droits des minorités, sans qu’une réflexion soit conduite sur les implications politiques de cette ligne. Depuis les non néerlandais et français au traité de Lisbonne, en 2005, on assiste au recul de l’idée fédérale, tandis que le phénomène identitaire, lui, continue sa propre course en se développant partout et en prenant parfois des proportions alarmantes, notamment en Belgique. Dans ce faisceau confus, qui voit fleurir de multiples néologismes (« ethnorégionalismes », « poussées nationalitaires »…), on ne parvient plus à séparer le bon grain de l’ivraie. Ni les leçons de la crise financière de 2007, qui se sont traduites par une demande supplémentaire d’Etat et de régulation, ni les concessions politiques effectuées au gré des combinaisons partisanes n’ont pu endiguer ce flot mélangeant des aspirations légitimes et des pulsions populistes qui vont à l’encontre de la solidarité nationale. Autonomie, souveraineté, indépendance, la marche s’accompagne d’un faux romantisme qui a tôt fait de désigner l’Etat central comme un oppresseur resurgi d’un passé mythifié. Version indépendantiste : les Catalans d’Espagne rêvent d’entraîner avec eux les Catalans français ; de quoi remettre en question le traité des Pyrénées (1659) et contester dans un parfait anachronisme la prise de Barcelone, en 1714, par les troupes du roi d’Espagne Philippe V. Version « nationalitaire » : la Hongrie accorde son passeport aux Magyars au-delà des frontières de l’Etat hongrois ; c’est la contestation du traité de Trianon (1920).

A l’inverse des mouvements migratoires, qui consistent à accueillir des populations d’origine étrangère, cette tendance endogame proclame la pureté des origines (Basques), s’appuie sur le retour du refoulé (Baltes), provoque le réveil des nationalismes (Magyars), privilégie les intérêts d’un groupe linguistique sur toute autre considération (Flamands) et assure la promotion de petits ténors séparatistes sans envergure nationale, qui se trouvent ainsi une carrière toute tracée. Il faut respecter les particularismes, mais, poussé à l’extrême, ce phénomène voudra qu’un individu soit rattaché à la collectivité selon ses origines, sa langue, sa communauté d’appartenance, sa religion spécifique. Bref, un Moyen-Orient occidental.

Par Christian Makarian

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