Soldats français de l'opération Turquoise en 1994 : un paravent humanitaire pour une action politique ? © HOCINE ZAOURAR/BELGAIMAGE

L’opération des soldats français au Rwanda en 1994 visait aussi le soutien au gouvernement génocidaire

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Soldats français de l’opération Turquoise en 1994 : un paravent humanitaire pour une action politique ? De nouvelles révélations en attestent.

Depuis le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, le rôle de la France auprès du gouvernement mis en place à Kigali après l’assassinat du président Habyarimana, le 6 avril, et le début des massacres suscite des interrogations. A l’époque officier au sein de l’armée française, Guillaume Ancel, dans son livre-témoignage Rwanda, la fin du silence (1), démonte la version officielle d’une opération Turquoise (20 juin – mi-août) à finalité strictement humanitaire et affirme qu’elle avait aussi pour objectif de remettre en place le gouvernement extrémiste hutu allié de la France. Deux faits appuient sa thèse. L’auteur dit avoir reçu un ordre préparatoire à un raid terrestre sur Kigali alors que la capitale rwandaise n’avait pas encore été conquise par la rébellion à dominante tutsie du Front patriotique rwandais. Et dépêché auprès d’un régiment de légionnaires pour ses compétences de Forward Air Controller, contrôleur avancé chargé d’assurer le guidage au sol de frappes aériennes, il assure qu’une opération visant à stopper l’avancée du FPR dans le sud du pays a été annulée au dernier moment, au matin du 1er juillet.

Ce timing concorde avec les révélations d’une enquête du Monde dans les cercles politiques et militaires de l’époque, qui établit à la date du 30 juin l’abandon de  » l’option Kigali « . Le compte-rendu par le quotidien d’une réunion le 15 juin à l’Elysée d’un  » conseil de défense  » n’évoque pourtant qu’une intervention humanitaire. Cette dichotomie suggère que sur l’opération Turquoise officielle, se soit greffée une mission secrète de soutien au gouvernement pilotée par la cellule africaine de l’Elysée, très influente en cette période de cohabitation, et traduite sur le terrain par les forces spéciales françaises.

L'opération des soldats français au Rwanda en 1994 visait aussi le soutien au gouvernement génocidaire

L’enquête du Monde confirme les tensions au sein du pouvoir à Paris entre inconditionnels du régime de Kigali au nom de l’intérêt suprême de la France en Afrique et responsables conscients que le soutien à des génocidaires n’est pas acceptable. Déjà, en avril 1993, soit un an avant le génocide, Pierre Conesa, à l’époque haut fonctionnaire au ministère de la Défense, rédigeait une note plaidant pour un réexamen de la politique française au pays des Mille Collines. Mais, confie-t-il,  » le processus hiérarchique filtrait la réalité. Le canal d’informations faisait que ces gens-là, les hommes de l’Elysée, ne voulaient pas voir la réalité en face. Les notes alarmantes n’étaient jamais mises directement sur le bureau du président.  » Y compris après le déclenchement du génocide : la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSE) tire la sonnette d’alarme dans une note du 4 mai 1994 et exhorte à rompre avec le gouvernement rwandais mais rien n’y fait.

La trouble opération Turquoise aura bien lieu. Elle répondra malgré tout à quelques attentes humanitaires, à l’image du capitaine Ancel, détourné de sa mission initiale de guidage de frappes aériennes, pour mener une vingtaine d’opérations de sauvetage, dont deux mandatées par les Belges. Mais elle ne contrariera que trop rarement l’activité des miliciens génocidaires. Sauf quand Guillaume Ancel croise l’un d’entre eux revêtu du gilet pare-éclats ensanglanté d’un collègue de l’armée belge côtoyé quelques années auparavant… Lui et ses comparses seront abattus séance tenante.

(1) Rwanda, la fin du silence, par Guillaume Ancel, Les Belles Lettres, 250 p.

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