Thierry Fiorilli

« L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue »

Thierry Fiorilli Journaliste

C’est l’un des grands paradoxes de l’époque : l’aspiration au changement s’amplifie, les références au passé explosent, mais sa connaissance se délite. La plupart des nouveaux dirigeants politiques, comme la plupart de leurs prétendants, exortent allègrement au retour des valeurs ou splendeurs d’antan. Là résiderait la modernité du pouvoir : revenir en arrière pour mieux aller de l’avant.

Et donc, alors que les progrès technologiques n’ont jamais été aussi nombreux, aussi révolutionnaires, aussi rapides, les like, les trolls, les gifs, les gigabytes croisent les Gaulois, de Gaulle, la Grande Russie ou l’Amérique d’après-guerre. En même temps, le véritable bagage historique, des élus comme des électeurs, apparaît toujours plus léger.

Comme l’illustre notre dossier, les lacunes sont criantes. Qui, d’Hitler ou de Napoléon, est né le premier ? Où a eu lieu la guerre des tranchées ? Le Moyen Age, avant ou après l’Antiquité ? En Belgique, francophone comme flamande, beaucoup d’élèves et pas mal de professeurs n’en ont pas la moindre idée. On imagine donc aisément la faiblesse de l’écho lorsqu’on met en garde contre la résurgence de climats, comportements, contextes et idéologies analogues à ceux qui prévalaient dans les années 1930, et ont mené au déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. En fait, des générations entières considèrent aujourd’hui, plus ou moins inconsciemment, que seuls importent l’instant présent et le futur proche ou plus éloigné. Et qu’on ne va pas s’embarrasser de ce qui a bien pu se produire hier.

u0022L’Histoire permet de connaître jusque et y compris les ténèbres pour n’allumer que de nouvelles lumièresu0022

Pas de quoi s’affoler, sans doute. Si, aujourd’hui, les fans de Kanye West ne savent pas qui est Paul McCartney, pas sûr que, il y a cinquante ans, les fans des Beatles savaient qui était Oscar Peterson. Pas sûr non plus que ceux qui ont vécu le conflit de 1939 à 1945 pouvaient correctement situer sur une ligne du temps Toltèques et Aztèques ou les batailles d’Alésia, de Marignan et de Trafalgar. Mais il semble qu’on n’ait rarement mis autant un point d’honneur à revendiquer son ignorance du passé. Le  » Je sais pas, j’étais pas né  » est un grand classique de nos jeunes générations. Comme, parmi les plus âgés, le  » Je ne sais pas, je ne suis pas là pour regarder en arrière, moi je ne vois que devant  » est un gage de management solide, une formule de gagneur.

Certains pourraient s’appuyer sur Nietzsche, qui estimait que  » nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli « . Mais l’oubli n’est pas la méconnaissance. En vérité, pour le philosophe allemand, si on fait du passé une prison permanente, un boulet collectif, une faute à expier ou à venger éternellement, on rend impossible tout progrès, toute créativité, toute invention, toute liberté.

Or, Nietzsche proclamait aussi :  » L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue.  » Autrement dit : plus on sait, plus on se souvient, plus on peut prévoir. Plus on prévoit, mieux on avance. En triant, entre ce qui mérite d’être retenu et ce qu’il est recommandable d’oublier. Objectif ? Non pas naviguer sans fin entre naphtaline, papier jauni et bustes antiques, mais distinguer le faux du vrai, l’accessoire de l’essentiel, le jeu voué au drame et celui qui en vaut la chandelle. En somme, la connaissance jusque et y compris des ténèbres pour n’allumer que de nouvelles lumières.

C’est à ce titre que l’enseignement de l’histoire ne peut plus être bradé.

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