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L’héroïne s’invite comme thème de campagne aux Etats-Unis

Derrière ses paysages enneigés et immaculés, le petit Etat du New Hampshire cache une épidémie d’héroïne qui ravage des milliers de vies. Un fléau à la progression exponentielle qui a surgi dans la campagne pour la présidentielle américaine.

« Elle est partout », témoigne Christopher Hickey, un secouriste de la brigade des pompiers de Manchester, principale ville de ce petit Etat du nord-est des Etats-Unis qui marque l’ouverture du long cycle des primaires. Dans les toilettes publiques ou les restaurants chics, dans des voitures de quartiers mal famés ou aisés, le SAMU intervient partout pour des overdoses d’héroïne et opiacés. « Nous ne voyons probablement qu’une fraction du véritable nombre de consommateurs », s’inquiète le secouriste.

Depuis sept ans, plus d’Américains meurent d’overdoses que d’accidents de la route, avec 47.000 morts en 2014. Six de ces décès sur dix sont le fait d’overdoses d’antidouleurs et d’héroïne, selon les chiffres officiels. Sur-prescrits pendant des années par certains médecins, les antidouleurs opiacés vendus sur ordonnance « sont la porte d’entrée vers l’héroïne » qui fonctionne de manière similaire, rappelait fin 2015 le président Barack Obama. Lorsque les patients devenus dépendants ne peuvent plus se procurer d’antidouleurs, faute d’ordonnance, ils se tournent souvent vers l’héroïne, moins chère et facile à trouver.

Avec seulement 1,3 million d’habitants, le New Hampshire est particulièrement touché. Le nombre de décès par overdose d’opiacés a bondi en 2015, avec 450 morts contre 380 l’année précédente, selon les chiffres officiels. A Manchester, cinq personnes sont mortes sur les seuls six premiers jours de février. Et le nombre d’overdoses présumées d’héroïne ou de fentanyl, un puissant antidouleur, a explosé en 2015, à 726 contre 320. Les victimes avaient de 16 à 74 ans mais les 18-35 ans sont les plus à risque.

Le fléau s’est invité dans la campagne, les candidats aux primaires républicaine et démocrate ayant tous évoqué l’épidémie, jusqu’au jour même du vote.

Coup de projecteur sur ce fléau

Un coup de projecteur aidé notamment par la lutte d’une seule femme, qui a su gagner l’attention des politiques grâce à un accès privilégié: Kriss Blevens est l’une des maquilleuses professionnelles les plus respectées de la sphère politique aux Etats-Unis. Elle a travaillé avec tous les présidents américains depuis Jimmy Carter (1977-1981) et s’occupe cette année du maquillage de tous les candidats aux primaires du New Hampshire. Et sa belle-fille, Amber, est morte d’une overdose d’héroïne en 2014.

Comme pour beaucoup, l’addiction d’Amber a commencé avec des calmants vendus sans ordonnance, selon Kriss Blevens. Fille unique de son mari Mark, Amber est ensuite passée à la marijuana, aux opiacés antidouleurs puis à l’héroïne.

Signe de l’ampleur de l’épidémie, plusieurs candidats sont eux-mêmes touchés de près: chez les républicains, la demi-soeur de Ted Cruz est morte d’une overdose, la fille de Jeb Bush a été emprisonnée il y a plusieurs années pour possession de drogues et l’addiction a emporté la belle-fille de Carly Fiorina.

Donald Trump a promis mardi « de mettre un terme rapidement » à l’épidémie s’il était élu, avant même de s’occuper de son projet de mur à la frontière mexicaine, tandis que chez les démocrates, Hillary Clinton s’est engagé à sortir le problème « de l’ombre » et Bernie Sanders à lutter contre cette « maladie ». Les électeurs aussi sont particulièrement sensibilisés dans cet Etat touché de plein fouet.

« C’est une guerre », assure Dennis Dura, qui à 43 ans a souffert dans sa chair des ravages de l’héroïne qui l’a envoyé 31 fois en prison et mené à vivre pendant 13 ans dans la rue. Aujourd’hui débarrassé des drogues, il aide dans le New Hampshire des patients à surmonter leur addiction. Et dénonce l’accès trop facile aux opiacés. « Si un candidat ne parle pas de régler ce problème, je ne voterai pas pour lui », dit-il.

Les candidats « doivent comprendre la magnitude du problème », souligne Tim Soucy, responsable de la santé publique à Manchester.

« Nous avons besoin d’argent pour les traitements, nous avons besoin d’argent pour la désintoxication, la police a besoin de fonds pour tenter de débarrasser les rues de cette drogue », énumère-t-il. Les élus « doivent accepter de travailler ensemble au Congrès » entre démocrates et républicains « pour débloquer des fonds ».

Des financements sont justement arrivés récemment à Manchester, se réjouit le secouriste Christopher Hickey.

Il voit derrière ces fonds les fruits de la campagne menée par Kriss Blevens mais s’inquiète de l’avenir: « Je crains qu’une fois que la primaire sera terminée, tout retombe et redevienne comme avant ».

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