Evgueni Primakov © Reuters

L’ex-maître espion et premier ministre russe Evgueni Primakov est mort

Maître espion, fin diplomate et éphémère Premier ministre, Evgueni Primakov, décédé vendredi à 85 ans, a été un artisan du retour sur le devant de la scène d’une Russie traumatisée par la chute de l’URSS et un opposant résolu à la suprématie de Washington.

Homme de petite taille, au physique massif et aux pommettes tombantes, Evgueni Primakov était l’un des tout derniers représentants de cette génération aux affaires à l’époque soviétique puis dans le tourbillon de la Russie post-communiste. Il a tout fait en 50 ans de carrière, de ses jeunes années comme journaliste dans les pays arabes, terrain de confrontation entre l’Union soviétique et les Etats-Unis, à la direction de la chambre de commerce de la Russie, son dernier poste officiel.

Après l’annonce de sa mort, Vladimir Poutine a rendu hommage à « l’homme d’Etat, le scientifique, le politicien », selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. « Il laisse derrière lui un grand héritage », a ajouté le président russe, toujours selon son porte-parole qui a précisé que les deux hommes s’étaient rencontrés il y a un mois et que Vladimir Poutine avait à coeur d’écouter Primakov, « particulièrement dans cette période troublée ».

Le dernier dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev, dont il avait été l’un des conseillers diplomatiques, a rendu hommage à « un homme qui a marqué l’histoire de la Russie et restera dans les mémoires comme quelqu’un de remarquable ».

La classe politique russe a unanimement salué sa mémoire, évoquant un homme ayant redonné sa dignité à la Russie et incarné son retour sur la scène internationale. L’ambassadeur des Etats-Unis à Moscou, John Tefft, a évoqué « un grand diplomate et un homme d’Etat à la fois à l’époque de l’URSS et de la Russie moderne ». Primakov avait « su servir son pays et faire entendre sa voix sur la scène internationale, y compris dans des moments difficiles et décisifs », a pour sa part déclaré le Quai d’Orsay.

Moment célèbre: le 23 mars 1999. A l’époque, les cendres de l’URSS ne sont pas encore froides et la nouvelle Russie est un pays à la dérive. Mais lorsque l’Otan frappe la Yougoslavie, Evgueni Primakov, alors Premier ministre, ordonne de faire demi-tour au-dessus de l’Atlantique aux pilotes de l’avion qui l’emmène à Washington pour négocier l’aide du FMI. Le compte à rebours pour une nouvelle période de confrontation entre la Russie et les Etats-Unis est lancé. Quinze ans plus tard, la crise ukrainienne achève de cristalliser le divorce entre Washington et Moscou.

« Ce n’était pas un anti-occidental comme ceux que nous voyons aujourd’hui en Russie. Il ne voulait pas d’une nouvelle Guerre froide et n’avait aucune nostalgie de l’URSS », estime pour l’AFP Alexandre Baounov, chercheur au Centre Carnegie à Moscou. En janvier, dans une de ses dernières interventions, il avait soutenu l’annexion russe de la Crimée mais averti du danger couru par Moscou en s’isolant sur la scène internationale.

Journaliste, apparatchik, négociateur

Né le 29 octobre 1929 à Kiev, Primakov grandit une famille où l’oncle a été fusillé en 1937 pour appartenance à un « groupe anti-soviétique » et où sa mère détestait Staline. Il commence sa carrière en 1956 comme journaliste au sein du Comité d’Etat de la radio et de télévision et travaille ensuite au quotidien du parti communiste la Pravda, notamment comme envoyé spécial dans les pays arabes.

Membre du Comité central du PCUS (parti communiste soviétique) en 1989-1990, il est l’un des principaux conseillers diplomatiques de Mikhaïl Gorbatchev. Après le putsch d’août 1991, il est nommé, au KGB, directeur adjoint du service des renseignements extérieurs, dont il prendra ensuite la direction. En 1996, il succède comme chef de la diplomatie russe à Andreï Kozyrev, jugé trop pro-occidental. Il s’oppose à l’Otan mais ne peut empêcher l’élargissement de l’Alliance atlantique aux pays de l’ex-bloc socialiste. Il est ensuite nommé par le président Boris Eltsine pour diriger le gouvernement et gérer la crise financière d’août 1998. Il réussit à rassurer une population traumatisée et remet l’économie sur les rails, avant d’être destitué brutalement par Eltsine sous l’influence de riches « oligarques ». Elu député en 1999, il s’allie avec le maire de Moscou Iouri Loujkov pour former une coalition d’opposition de centre-gauche et briguer la présidence en mars 2003. Mais il retire finalement sa candidature, laissant le champ libre à Vladimir Poutine.

Au début du XXIe siècle, Primakov préside pendant dix ans la chambre de commerce et d’industrie. Il quitte ses fonctions en 2011 et se retire de la vie publique. M. Primakov était le père d’une fille et d’un fils décédé en 1981.

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