Philippe Maystadt

« L’Europe ne sera sociale que si les dirigeants nationaux le veulent vraiment »

Philippe Maystadt Ex-président de la BEI

A l’occasion des 60 ans du Traité de Rome, les chefs d’Etat et de gouvernement ont adopté la  » Déclaration de Rome  » ; ils y affirment que la réalisation d’une  » Europe sociale  » est une de leurs priorités. Encore faut-il voir comment cette belle intention va se traduire en réalités pour les citoyens européens.

La réponse est loin d’être évidente car les Etats ont cédé très peu de compétences à l’Union européenne (UE) en matière sociale. En particulier, ils ont expressément refusé que l’UE soit compétente pour prendre des mesures qui concernent la sécurité sociale, les uns craignant une harmonisation vers le haut qui leur ferait perdre ce qu’ils considèrent comme un avantage compétitif, les autres craignant une harmonisation vers le bas qui réduirait leur niveau élevé de protection sociale.

Compte tenu de ces limitations, quel chemin pourrait-on suivre vers l' » Europe sociale  » ? Me basant sur une analyse de Frank Vandenbroucke, ancien ministre et président du SP.A, il me semble qu’il serait possible de progresser sur trois routes, chacune avec une double bande.

La première route est celle de la libre circulation des personnes. Dans un sens, il s’agit de lever les obstacles qui subsistent en matière de portabilité des droits, de reconnaissance des qualifications et diplômes, d’élargissement du programme Erasmus à d’autres catégories (stagiaires, apprentis, enseignants). Dans l’autre, il faut garantir que la mobilité n’entraîne pas une concurrence déloyale entre travailleurs. Les travailleurs détachés et les nationaux doivent bénéficier des mêmes conditions de travail et de rémunération pour un même emploi. Ce qui implique une révision de la directive sur les travailleurs détachés et, surtout, un renforcement du contrôle de son application. Il n’est pas acceptable que les pays de l’Est continuent à s’y opposer.

La deuxième route est celle de la convergence dans les droits sociaux. Une première bande consiste à imposer un minimum. La Commission vient de proposer un  » socle européen de droits sociaux  » sur lequel au moins les pays de la zone euro doivent s’engager. Ce socle est un bon point de départ mais, n’étant pas contraignant, sa mise en oeuvre dépend de la bonne volonté de chaque Etat membre. L’autre bande est celle de l’incitation financière pour encourager à aller au-delà du minimum. Un bon exemple récent est celui de la  » garantie jeunesse « , où un engagement commun des Etats a été couplé à une aide financière de l’UE pour des actions supplémentaires contre le chômage des jeunes.

La troisième route est celle de l’investissement social (logement, santé, éducation, culture). Une voie est celle du financement européen qui pourrait être amplifié via le Fonds social européen ainsi que le Fonds d’investissements stratégiques (plan Juncker). L’autre voie est celle du financement national. Dans sa surveillance des budgets nationaux et dans ses  » recommandations spécifiques  » à chaque Etat membre, la Commission devrait veiller à ce que des moyens suffisants soient consacrés à ces secteurs. Ainsi, dans le cas de la Belgique, la Commission pourrait constater que, par élève, la Fédération Wallonie-Bruxelles dépense plus que la moyenne dans l’enseignement secondaire, mais nettement trop peu dans l’enseignement supérieur ; elle pourrait donc demander un relèvement du budget de l’enseignement supérieur.

L’Europe ne sera sociale que si les dirigeants nationaux le veulent vraiment ; le couple Merkel – Macron poussera-t-il dans cette direction ?

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