Le monument érigé pour le 25e anniversaire des accords de Schengen. © BELGAIMAGE

L’Europe ne fait plus rêver

Quand, mi-mai, le plafond du musée européen du bourg luxembourgeois de Schengen s’est affaissé accidentellement, la réaction du maire a été immédiate. Non, il ne fallait pas y voir le « symbole » d’un effondrement de l’Europe, confrontée à des crises à répétition et à la crainte d’un divorce du Royaume-Uni.

La faute au travail bâclé des ouvriers qui ont utilisé les mauvaises vis, explique à l’AFP Ben Homan, le premier édile de Schengen, dont le nom est associé depuis 30 ans à la libre-circulation des personnes, un des acquis les plus concrets de la construction européenne. Mais tout comme le musée de Schengen, l’édifice fragilisé de l’intégration européenne ne sera pas réparé miraculeusement en un instant.

Le désamour de l’Union est plus fort que jamais et, si l’on en croit les sondages, le risque d’un « Brexit », la sortie du Royaume-Uni de l’UE après le référendum du 23 juin, est réel. L’avenir de l’espace Schengen lui-même est menacé par la plus grande crise migratoire en Europe depuis 1945. « Nous avons besoin de retrouver ces visions et ces rêves, et de rebâtir ensemble un possible », plaide Ben Homan.

« Ici, on vit l’accord de Schengen au quotidien: vous faites seulement 100 mètres et vous pouvez vous retrouver dans un autre pays. Il est évident que toute la région a bénéficié de l’accord », témoigne-t-il.

Située sur les bords de la Moselle, la pittoresque commune de Schengen, aux confluents du Luxembourg, de la France et de l’Allemagne, avait ainsi été symboliquement choisie en 1985 pour la signature de la convention qui allait créer l’espace de libre-circulation. Environ 50.000 touristes la visitent chaque année.

Mais le fait est que Schengen est aujourd’hui ébranlé, comme les fondations du projet européen, et que l’utopie qui a porté la création de l’Union sur les ruines de la guerre ne fait plus recette.

Une étude récente du centre de recherche américain Pew a mis en lumière le fort recul des opinions favorables à l’UE: en France, en un an, elles ont reculé de 17 points à 38%.

Les Européens « n’ont plus de ferveur ou d’amour pour le rêve européen », ses avantages sont désormais considérés comme acquis, reconnaît Janis Emmanouilidis, directeur d’études aux Centre de politique européenne (EPC) dans un entretien à l’AFP.

« Au cours des six ou sept dernières années, l’UE a fonctionné en passant d’une crise à l’autre, et les choses ne s’arrangent pas, elles empirent », constate-t-il.

La crise des migrants a poussé de nombreux Etats membres à suspendre le principe de libre-circulation devant l’incapacité des dirigeants européens à s’entendre sur une répartition équitable du fardeau.

L’atonie de la croissance continue quant à elle de peser, faisant grimper le chômage des jeunes. Sans oublier la dette grecque qui inquiète toujours la zone euro.

Et partout en Europe, progressent l’eurosceptisme et le populisme.

Bureaucratique et intrusive, fossoyeuse des souverainetés nationales, incarnation d’élites mondialisées contre qui enfle le mécontentement populaire: Bruxelles est de plus en plus critiquée.

Les dirigeants européens eux-mêmes commencent à admettre que les citoyens ne partagent pas nécessairement leurs rêves d’une coopération « toujours plus étroite ».

Même Jean-Claude Juncker, président de la Commission et chantre du fédéralisme, a reconnu que le rejet des Européens était dû à une interférence trop grande de Bruxelles dans leurs vies privées.

« Ce rêve européen, qui le rêve? Même ceux qui devraient le personnifier deviennent de plus en plus réalistes », observe Janis Emmanouilidis.

Le président du conseil de l’UE Donald Tusk a tiré la sonnette d’alarme, estimant que l’Union, « obsédée avec l’idée d’une intégration instantanée et totale », n’avait « pas remarqué que les gens ordinaires, les citoyens européens, ne partagent pas notre euro-enthousiasme ».

Pourtant, à Schengen, à ce carrefour de l’Europe, on veut encore croire à la survie du rêve communautaire.

« Je pense que la Grande-Bretagne ne devrait pas partir, parce que ça ne rendra la vie de personne plus facile », philosophe Diogo Camelo Irmindo, un des nombreux Portugais installés au Luxembourg.

« Cela créera des frontières et compliquera la tâche des institutions qui cherchent à permettre aux gens de mener une vie tranquille, sans problèmes ni guerre », craint-il.

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