Le commissaire européen aux Affaires économiques Pierre Moscovici. © E. GARAULT/PASCO

« L’Europe doit changer ou mourir »

Alors que l’UE traverse une crise historique, Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques dénonce l’idée que l’ouverture des échanges serait synonyme de perte de parts de marché. « Nous devons rester des économies ouvertes. »

Pierre Moscovici aurait pu espérer un anniversaire plus gai pour ses deux ans à la Commission européenne. Entre le Brexit, la remise en cause des accords de libre-échange (Ceta et TTIP), et les résultats des présidentielles américaines, cette fin 2016 se transforme en cauchemar d’europhile. Dans son dernier ouvrage, S’il est minuit en Europe (Grasset), qui débute d’ailleurs par un mauvais rêve – la victoire du FN en 2017 à la présidentielle française -, l’ex-ministre français de l’Economie livre son diagnostic, ses propositions, et rappelle pourquoi il est un peu facile de fustiger Bruxelles. Le Vif/L’Express l’a rencontré.

Certains considèrent les résultats des élections américaines comme un échec des politiques de libre-échange. Partagez-vous cette analyse ?

Aujourd’hui, aucun Etat membre n’est prêt à abandonner la souveraineté fiscale

C’est une grille de lecture possible. Ce n’est pas tout à fait la mienne. On peut voir dans l’élection de Donald Trump, et plus généralement dans la montée des populismes partout dans le monde, la traduction d’un sentiment profond de déclassement d’une partie de la population. Contrairement à ce que disait Alain Minc dans les années 1990, la mondialisation n’est pas seulement heureuse. Il y a des gagnants et des perdants, le chômage de masse et les inégalités en témoignent, et nous devons répondre à ces préoccupations. Cela étant, je suis inquiet de voir prospérer cette idée que l’ouverture des échanges serait synonyme de défaite, de perte de parts de marché ou encore de désindustrialisation. C’est faux ! Nous sommes et devons rester des économies et des sociétés ouvertes. Si l’Europe souffre, ce n’est pas d’être trop ouverte, mais d’être insuffisamment armée dans la mondialisation.

Est-ce à dire qu’il faut distiller une dose de protectionnisme dans nos économies ?

Je ne le pense pas. Le protectionnisme, c’est la fermeture des frontières, le repli sur soi. Je plaide pour un patriotisme adapté, je récuse le protectionnisme. Avec des moteurs de croissance qui se situent en Chine (6,5 %), aux Etats-Unis (2,5 %) et dans les pays émergents, l’Europe (dont la croissance potentielle ne dépasse pas 1 %) n’y a certainement pas intérêt. En revanche, ouverture ne rime pas forcément avec faiblesse ou naïveté. Bruxelles doit être ferme avec ses partenaires commerciaux, surtout si leurs pratiques sont déloyales. Lorsque la Chine organise la baisse des prix de l’acier en inondant le marché de ses surcapacités, il est logique d’instaurer des taxes d’importation sur l’acier chinois. De la même manière, la Commission a présenté au début de novembre un arsenal de mesures visant à renforcer les instruments antidumping et antisubventions de l’Union.

La fin de 2016 a aussi été marquée par l’opposition wallonne au Ceta. Peut-elle discréditer la politique commerciale de l’UE et entacher la légitimité de la Commission ?

Un traité de libre-échange est le fruit d’un compromis entre deux économies dont l’hétérogénéité des systèmes normatifs est de nature à limiter les échanges. Certains ont reproché au Ceta ses 2 344 pages. Je crois au contraire qu’il faut s’en féliciter, car elles traduisent la volonté de protéger nos intérêts de la manière la plus fine possible. Le Ceta est un bon traité ! Le problème est que cette complexité donne des arguments aux détracteurs du libre-échange, qui ont tôt fait de présenter la Commission comme une instance technocratique à la solde d’intérêts privés. Ce n’est pas la vérité : la Commission mène les négociations, mais elle agit toujours sur mandat des Etats membres. C’est d’ailleurs à la demande d’un Etat, en l’occurrence la France, qu’il a été décidé que l’accord serait soumis au vote des parlements nationaux. S’il y a eu un déficit sur le Ceta, il est donc non pas démocratique, mais pédagogique.

Pourquoi continuer à négocier le TTIP, dont personne ne veut ?

Sa complexité donne des arguments aux détracteurs du libre-échange, comme en Wallonie. Mais
Sa complexité donne des arguments aux détracteurs du libre-échange, comme en Wallonie. Mais  » le Ceta est un bon traité « , estime Pierre Moscovici.© FRÉDÉRIC SIERAKOWSKI/ISOPIX

Il est bon pour nous de fluidifier nos échanges avec les Etats-Unis, dont l’économie est plus fermée que la nôtre. Nous devons donc continuer les négociations, en défendant nos intérêts avec force. Mais il faut arrêter les fantasmes, le TTIP n’existe pas ! Ses détracteurs font comme s’il constituait un danger pour l’Europe, sauf qu’à ce stade il n’y a pas de compromis, et que personne ne connaît la position de la future administration américaine à ce sujet.

Les Britanniques ont dit qu’ils déclencheraient le processus de sortie de l’UE d’ici à mars 2017. Etes-vous favorable à un Brexit hard ou soft ?

Pour le moment, nous ne savons pas quelles seront les exigences du Royaume-Uni. Il serait donc prématuré de faire part de nos intentions politiques. Quoi qu’il arrive, le Brexit devra être clean, en respectant les quatre principes indissociables du marché intérieur : la liberté de circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes. Les Britanniques ne pourront pas rejeter une de ces libertés et espérer conserver les autres.

Le Brexit peut-il être une occasion historique de relancer l’Europe ?

Les périodes d’incertitude comme celle dans laquelle nous entrons ne sont jamais favorables à la croissance. Le Brexit me semble une mauvaise nouvelle pour tout le monde, qu’on se place côté britannique, où le pays est menacé par les dissensions et les velléités sécessionnistes, ou côté européen, où le risque de contagion doit être évité. Mais le Brexit confirme que l’Europe n’a plus le choix : elle doit changer ou mourir…

Quelles sont vos pistes ?

Le référendum n’est pas l’alpha et l’omega de la démocratie »

L’Europe doit être plus démocratique, plus protectrice de ses citoyens, de leurs préférences collectives, de notre modèle social et culturel, et plus dynamique du point de vue économique, pour créer plus de croissance, d’emplois et lutter contre les inégalités. Je crois notamment beaucoup à des compétences renforcées en zone euro, seule manière d’approfondir nos politiques économiques communes. Si l’on veut plus de convergence entre nos économies, il faut donner davantage de pouvoir aux institutions de la zone euro. Cela ne se fera pas sans un véritable budget européen, qui pourrait être financé par des eurobonds ou par une augmentation de l’impôt sur les sociétés dans les pays de la zone euro.

Pour mettre fin à la concurrence entre les Etats, il faudrait aussi plus de compétences en matière fiscale…

L’harmonisation des taux fiscaux en Europe est un vieux rêve qui ne se réalisera pas de sitôt. Aujourd’hui, aucun Etat membre, qu’il s’agisse de l’Irlande ou de la France, n’est prêt à abandonner sa souveraineté fiscale. On peut continuer à le déplorer ou tenter d’agir avec pragmatisme. Depuis deux ans, j’ai lancé, au nom de la Commission, un chantier considérable pour mieux lutter contre la fraude et l’évasion fiscales, en promouvant la transparence. Fin du secret bancaire, échange automatique des rulings (contrats fiscaux) entre administrations, reporting pays par pays pour les multinationales… Nous avons fait plus en la matière que tout ce qui avait été fait auparavant ! Il faut poursuivre dans cette voie, comme nous sommes en train de nous y employer avec la création d’une assiette commune de l’impôt sur les sociétés (Accis).

Vous dites que l’Europe doit être plus démocratique, mais vous êtes opposé à de nouveaux référendums…

Le référendum n’est pas l’alpha et l’oméga de la démocratie. Depuis 2005, on sait qu’il s’agit d’une machine à tuer l’Europe. Pourquoi ? Parce qu’il est impossible de répondre par oui ou par non à des questions aussi complexes que celles de la construction européenne et parce que les campagnes sont toujours dissymétriques, entre les argumentaires des proeuropéens – trop techniques – et ceux des anti- européens – souvent démagogiques. S’il faut trancher l’avenir de l’UE, faisons-le à l’occasion de l’élection de 2017. Voilà le vrai référendum sur l’Europe !

Entretien : Julie de la Brosse

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