Le 21 juillet dernier : Elisabeth, future reine des Belges. © BELGAIMAGE

« L’Europe comptera bientôt plus de reines que de rois »

Le Vif

Femmes de pouvoir, héroïnes tragiques ou simples incarnations du devoir… Balade en compagnie de l’historienne Evelyne Lever auprès de ces reines qui ont tissé ou tisseront le destin du Vieux Continent.

Vous ouvrez votre Dictionnaire amoureux des reines par le mot  » abdication « . Celle de Christine de Suède. Un destin étonnant…

C’est la seule avant le xxe siècle qui ait abdiqué volontairement – tout comme Charles Quint, du côté des rois. Christine de Suède est un cas. Son père a voulu qu’elle lui succède, à un âge tendre. Mais elle ne supporte pas d’être reine. Après dix ans de règne, elle déclare vouloir être libre et vivre sa vie à travers les pays d’Europe. C’est une femme au corps disgracieux, mais au charme étrange. Et très en avance sur son temps, puisqu’elle soutient que la naissance n’est rien par rapport au mérite, ce qui est insupportable pour son entourage. C’est une femme qui philosophe, qui réfléchit et qui ne gouverne pas vraiment. Finalement, je pense qu’on a dû aussi la pousser vers la sortie.

Vous évoquez la rencontre de Marie-Antoinette avec le comte Fersen, mais restez toujours dubitative sur la nature de leur relation…

C’est qu’on ne sait toujours pas s’ils ont couché ensemble. Elle lui dit qu’elle l’aime, mais il peut s’agir d’un amour platonique. Ils ne parlent pas de sexe dans leurs lettres, c’est trop dangereux. Alors, un jour, je pense qu’ils ont été amants, et le lendemain, non (rires). Ce qui est extraordinaire, c’est que cette histoire suscite encore aujourd’hui des débats enflammés chez les amoureux inconditionnels de Marie-Antoinette. Les royalistes sont outrés à cette simple évocation – la soupçonner d’infidélité touche à l’essence même de la monarchie. Et, pour certains, elle représente la mère inattaquable.

Il y a moins d’incertitude pour la reine Margot : elle a bien collectionné les amants.

Evelyne Lever est une spécialiste de Marie-Antoinette.
Evelyne Lever est une spécialiste de Marie-Antoinette. © Bruno Klein/dr

L’historienne Eliane Viennot dit qu’on a un peu exagéré, mais on ne peut pas nier que Marguerite de Valois est une nymphomane, la plus volage des princesses. Cela dit, d’autres l’ont été aussi. Anne d’Autriche, la mère de Louis XIV : a certainement eu une véritable liaison avec Mazarin. Une drôle de reine, Anne d’Autriche, qui est heureuse le jour où elle est veuve ! Et quelle vie ! Elle doit sauver le trône de son fils, il y a la Fronde, c’est romanesque. Ce n’est pas du Dumas, c’est encore mieux.

Dans votre livre sur les reines, n’est-ce pas un roi qui, finalement, tient le plus de place : Henri IV ?

C’est qu’Henri IV, le  » Vert-Galant « , a multiplié les conquêtes. Il est petit, laid, il sent mauvais, mais c’est un fin politique, très intelligent. Cela commence donc avec Marguerite de Valois et leurs  » noces vermeilles « . Catherine de Médicis, qui veut réconcilier les protestants et les catholiques, donne sa belle et intelligente fille à Henri de Navarre, un cousin éloigné, après avoir essayé de la caser avec un tas d’autres princes. Ce mariage se déroule dans un contexte épouvantable, quelques jours avant la Saint-Barthélemy. Le sang coule. Ces épousailles n’empêcheront pas Margot et Henri d’avoir chacun de son côté toutes les aventures possibles et imaginables. Parmi les maîtresses d’Henri IV, il y en a une, Gabrielle d’Estrées, qui lui a donné des bâtards et dont il veut faire sa femme. Margot étant en disgrâce dans un château dans le centre de la France, il vit maritalement avec Gabrielle. Il reconquiert son royaume et doit être bientôt sacré à Chartres en compagnie de Gabrielle, qu’il souhaite épouser. Par  » chance « , aux yeux de la noblesse, pour qui cette femme au passé sulfureux est indigne du trône, Gabrielle meurt au cours d’un accouchement. Après cette  » mort providentielle « , Margot accepte que son mariage soit annulé. Puis Henri IV épouse sa  » banquière « , Marie de Médicis, qui apporte une belle dot. Il lui impose la présence de sa maîtresse, Henriette d’Entragues. Elles vont avoir des enfants en même temps, si bien que le futur Louis XIII sera élevé avec des bâtards. Ceux-là mêmes dont il dira qu’ils sont de la  » race de chiens « .

Revenons aux reines. Vous consacrez de nombreuses pages à Marie-Thérèse d’Autriche…

Elisabeth Badinter a écrit un très bon livre sur elle, Le Pouvoir au féminin, dans lequel elle a notamment bien montré la médiocrité de son mari. Dans la crypte des Capucins, à Vienne, le tombeau de Marie-Thérèse et de son époux dominant tous ceux des Habsbourg reflète bien la puissance du couple, qui a donné une progéniture nombreuse essaimant dans l’Europe entière. En grande politique, Marie-Thérèse considère que ses enfants doivent lui obéir et être totalement dévoués à l’auguste maison des Habsbourg. Elle marie sa fille Marie-Caroline au roi de Naples, un débile, peu importe qu’elle soit heureuse. A une autre de ses filles, Marie-Antoinette, elle ne cesse de répéter :  » Restez une bonne Allemande et soyez Française, bien sûr, pour les détails.  » Pauvre Marie-Antoinette… elle lui a fait un chantage affectif incroyable. Elle l’aura programmée et manipulée toute sa vie.

Pour la lettre Q, vous avez choisi  » The Queen « , soit Elisabeth II…

Oui, c’est une reine assez fantastique, à la longévité exceptionnelle, finalement peu contestée. On la voit partout, il y a des documentaires à foison sur elle, mais elle n’a jamais donné une seule interview de sa vie. C’est la femme la plus mystérieuse du monde. Sa grand-mère, la veuve du roi George V, lui a inculqué l’esprit de la monarchie comme au xixe siècle. Heureusement, son mari, le prince Philip, lui a permis d’infléchir cette vision très monolithique. Elle est beaucoup plus intéressante que la reine Victoria, qui était très bête. Du coup, je l’ai contournée, je la traite par le biais, tandis que je consacre un article à Elisabeth Ire, la  » reine vierge « . Voilà une grande politique, l’incarnation d’une monarchie toute-puissante. Elle s’est très bien rendu compte que, si elle se mariait, elle risquait de passer sous la domination d’un prince étranger. Elle a laissé croire au roi d’Espagne qu’elle allait l’épouser pour obtenir son soutien, même chose pour l’un des fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, afin qu’il n’y ait pas d’alliance entre l’Ecosse et la France. C’est ainsi qu’à la quarantaine, elle a créé elle-même le mythe de la  » reine vierge « , au-dessus de tout. Cela ne l’a certainement pas empêché d’avoir des amants.

« L’Europe comptera bientôt plus de reines que de rois », écrivez-vous…

Oui, bien sûr, puisque dorénavant la succession se fait par ordre de primogéniture dans toutes les monarchies. Et, comme il se trouve que ce sont des filles qui occupent la première place dans l’ordre de succession au trône en Suède, en Norvège, en Belgique et en Espagne, nous aurons de nombreuses reines en Europe. Nous assistons aussi à un grand changement du côté des épouses : elles sont toutes roturières ! A partir du milieu du xxe siècle, les princes ont voulu des femmes selon leur goût. Cela a commencé par le prince héritier de Norvège, qui a préféré à toutes les princesses qu’on lui proposait la fille d’un marchand de chemises d’Oslo. Une longue affaire d’Etat, d’ailleurs, à l’époque. Aujourd’hui, on assiste à des mariages avec une ancienne égérie des nuits chaudes, un professeur de gymnastique, une journaliste de la télévision… Tout est possible. Il est vrai que les sangs royaux étaient tellement mêlés qu’il fallait un peu de sang neuf.

Dictionnaire amoureux des reines, par Evelyne Lever, Plon, 638 p.

Propos recueillis par Marianne Payot.

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