Membres du groupe jihadiste Etat islamique (EI) contre lequel s'organise la coalition © Reuters

L’État islamique est-il en passe d’être battu?

Philippe Mertens
Philippe Mertens Collaborateur Knack.be

L’État islamique est attaqué de tous côtés. Depuis le week-end dernier, le califat se bat sur quatre fronts. L’État islamique est-il en passe d’être battu?

L’État islamique (EI) semble enclavé dans une guerre sur plusieurs fronts qu’il ne peut plus gagner. Cela signifie-t-il que la fin de l’EI est proche ? « La lutte finale a été entamée depuis des mois. Par rapport à 2014, l’EI a perdu énormément de terrain et on ne peut plus parler de califat autonome. Il ne reste que des miettes géographiques », explique l’expert en Moyen-Orient Chams Eddine Zaougui.

Guerre sur plusieurs fronts

En ce moment, la guerre contre l’État islamique fait rage sur quatre fronts en même temps. Pendant que la lutte contre le califat se poursuit dans les bastions de l’EI Raqqa et Deir ez-Zor, deux fronts se sont ajoutés le week-end dernier.

Depuis samedi, l’armée syrienne et les troupes libanaises essaient d’expulser les combattants de l’EI de la région montagneuse de Qalamoun dans la zone frontalière avec la Syrie. En plus, les troupes irakiennes ont lancé une offensive contre la ville de Tal Afar, le dernier bastion de l’EI en territoire irakien.

Dans les montagnes Qalamoun, sur la frontière entre la Syrie et le Liban, l’armée libanaise progresse rapidement. Elle y combat aux côtés de l’armée syrienne et des milices libanaises de Hezbollah. D’après l’agence de presse AP, quatre jours après le début de l’offensive, ces armées avaient déjà reconquis 80% du territoire occupé par l’EI.

Cependant, les derniers combats pourraient être très pénibles, car les combattants restants de l’État islamique et leurs armes sont cachés dans les tunnels et les trous des montagnes. En outre, le porte-parole de l’armée libanaise a fait comprendre que les troupes libanaises cesseraient l’offensive une fois qu’elles auraient atteint la frontière syrienne.

Au second nouveau front, près de Tal Afar au nord de l’Irak, la lutte contre les jihadistes de l’EI progresse à vue d’oeil. Mardi, les troupes du gouvernement irakien y ont atteint les faubourgs de la ville, écrivait la BBC. Haider Fadhil, un commandant de l’armée irakienne, a déclaré à l’agence de presse AP que ses forces armées ne s’étaient pas encore heurtées à une lourde résistance, mais que les combats seraient probablement plus violents à mesure que les troupes s’approcheraient du centre de la ville.

La prise de Tal Afar doit devenir l’une des principales étapes de la lutte contre l’EI. La ville est effectivement le dernier grand bastion de l’EI en territoire irakien, après que début juillet Mossoul ait été reconquis sur l’EI par les troupes irakiennes.

L'État islamique est-il en passe d'être battu?
© IHS Conflict Monitor

Lutte finale lente

Pourtant, la « lutte finale » contre l’EI semble s’éterniser. Pour Zaougui, c’est frappant : « L’offensive à Raqqa dure depuis des mois, malgré la supériorité apparente de la coalition internationale. »

Depuis juin, les forces arabo-kurdes se battent dans la ville syrienne contre l’EI, soutenues par les frappes aériennes de la coalition internationale dirigée par les États-Unis. La lutte y progresse lentement, et il y a beaucoup de morts civils. Mardi, on a appris que l’attaque aérienne de la coalition internationale a tué 42 civils. « Il est vrai que l’EI a essuyé de gros revers, et qu’il n’est presque plus question d’état, mais il n’est certainement pas chassé définitivement », ajoute Zaougui.

À cet égard, la reconquête complète de Raqqa pourrait être un tournant, étant donné que la ville constitue le dernier bastion important de l’EI. Zaougui: « Si en plus de Mossoul, Raqqa tombe aussi, l’EI n’aura plus de grande ville stratégique en main et sera réduit à un mouvement de guérilla. »

« C’est d’ailleurs ce qu’ils sont dans une certaine mesure aujourd’hui. L’EI a commencé comme un groupe de jihadistes militants. À certains moments, ce groupe a eu une forme d’état rudimentaire, qui a en grande partie disparu. S’ils perdent Raqqa, ils reviennent à la case départ. »

Cependant, cette reconquête complète de Raqqa ne semble pas pour tout de suite. L’équipe Airwars, un collectif qui favorise la transparence au sujet des attaques aériennes internationales au-dessus de la Syrie, estime que la lutte peut durer encore quelque temps.

Pour l’instant, environ 60% de Raqqa a été reconquis sur l’EI. Entre-temps, beaucoup de combattants de l’EI fuiraient Raqqa pour Deir al-Zor. Cette ville est également sous le feu de l’armée syrienne et de son allié la Russie. D’après le ministère russe de la Défense, ce lundi, les forces aériennes russes ont détruit un grand convoi de l’organisation terroriste EI en route pour la ville. 200 jihadistes ont été tués.

La tragédie du Moyen-Orient

Il semble donc que la fin de la guerre contre l’EI -bien que lointaine – soit en vue. Même quand l’EI sera complètement battu, les problèmes au Moyen-Orient sont tout sauf résolus, déclare Zaougui. « La victoire militaire sur l’EI ne fera évidemment pas disparaître le phénomène de jihadisme militant. La Syrie et l’Irak récupéreront une partie de leur souveraineté, et le jihadisme se transformera moins vite en une organisation analogue à l’État islamique, mais les causes qui ont fait naître ces groupements ne disparaissent pas pour autant. »

« Le gouvernement irakien doit tirer des enseignements de ses erreurs. Pour l’instant, le gouvernement ne réussit pas à donner le sentiment à tous les groupes du pays qu’ils font partie de l’état irakien. Beaucoup de sunnites se sentent exclus et discriminés par le régime chiite. Les milices chiites leur rendent la vie dure. Tant que la société irakienne ne sera pas plus inclusive, les organisations telles que l’EI continueront à exercer une force d’attraction sur les groupes qui se sentent rejetés. Et on n’évite pas ce genre de scénarios avec des armes. »

Associé à des sentiments de rancune contre l’état, le vide de pouvoir laissé en Syrie peut devenir un terreau fertile pour d’autres groupements militants qui cherchent des adeptes auprès de groupes marginalisés en Syrie et en Irak. Les experts s’accordent à dire qu’une fois l’EI expulsé, la région pourrait être ravagée par des problèmes gigantesques.

D’après Zaougui, c’est là aussi toute la tragédie du Moyen-Orient: « Certains pays tels que l’Irak, la Syrie, mais aussi le Yémen et la Libye se retrouvent dans un cercle vicieux, où l’on assiste à la montée de groupes radicaux, suivie d’une offensive contre ces groupes, de sorte que cela peut durer très longtemps. »

« Finalement, on dirait qu’il y a une victoire militaire, mais on assiste à nouveau à la montée de mouvements radicaux, parce que les raisons d’être de ces groupes ne disparaissent pas avec une victoire militaire. Tant qu’il n’y a pas de meilleure gouvernance plus inclusive dans la région, je crains que le Moyen-Orient reste prisonnier de ce cercle vicieux du jihadisme. »

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