Un vendeur dans une épicerie en Algérie © Reuters

« L’état algérien se sert de la pénurie comme une arme »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Ces vingt prochaines années, l’Algérie verra sa population augmenter de 39 à 45 millions », déclare Jonathan Holslag, professeur en relations internationales à la VUB. « Le pays souffre beaucoup, mais ceux qui restent fidèles à l’état, se voient distribuer un peu de nourriture. »

L’année dernière, j’ai voyagé au Groenland, dans les États baltes, en Europe de l’Est et dans les Balkans. Les mois prochains, je poursuis mon voyage aux frontières du sud de l’Europe et dans le bassin méditerranéen. Le but est d’étudier l’évolution de la région depuis le début du printemps arabe en 2010 et – surtout – ce qu’apportera l’avenir.

Depuis 2010, l’actualité de la région est surtout dominée par l’avènement et la chute du Califat islamique, la guerre en Syrie, l’anarchie en Libye et l’agitation persistante en Irak. Ces violences ont coûté la vie à un demi-million d’habitants et ont fait fuir plus de dix millions de personnes. À présent, l’attention se redirige vers Israël, parce que le président américain Donald Trump a trouvé bon de déménager l’ambassade américaine à Jérusalem. Ce n’est que depuis les troubles récents en Iran qu’on s’attarde à la crise économique cachée que traversent le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. Les violences, les prix du pétrole en baisse, la mauvaise gestion et la concentration de la nouvelle croissance industrielle en Asie de l’Est entravent le progrès dans la région. Le revenu disponible par personne n’a augmenté que de 1,5% par an, et cette croissance a été en grande partie anéantie par les hausses de prix. En 2016, les biens de consommation coûtaient 50% en moyenne de plus qu’en 2010. Le prix de l’alimentation a considérablement augmenté, et cela pèse énormément sur la population urbaine grandissante. Cependant, la tendance la plus inquiétante c’est le manque terrible d’emplois. Depuis 2010, il y a eu trente millions de personnes âgées de 15 à 55 ans en plus, et à peine treize millions de nouveaux emplois.

La pénurie alimentaire demeure le plus grand défi. La sécheresse a été une des causes de la guerre civile en Syrie, qui a entraîné une hausse des prix de l’alimentation. Pourtant, la sécheresse n’est pas un problème exclusivement syrien. Depuis 2010, la production de céréales et de légumes dans la région a stagné, alors que la population a continué à croître. En Égypte surtout, la grange à blé du Moyen-Orient, le système agricole n’est pas capable de suivre la croissance de la population. Et cette pénurie alimentaire est indissociablement liée au manque d’eau. L’eau douce disponible par personne a diminué de mille mètres cubes en 2010 à 900 mètres cubes en 2016. Suite à la croissance démographique naturelle, elle baissera jusqu’à 800 au cours des vingt prochaines années, et suite au réchauffement climatique peut-être même à 600. À titre de comparaison, l’Espagne, le pays le plus sec d’Europe, compte 2 400 mètres cubes par personne.

Cette pénurie entraîne de gigantesques conséquences, et surtout en Égypte, un pays qui comptera cent millions d’habitants dans vingt ans. Il y a déjà un exode rural, mais les grandes villes gèrent insuffisamment l’affluence. Jusqu’à présent, l’État égyptien a réussi à soulager les besoins les plus criants en distribuant des subsides alimentaires, mais il ne peut plus se le permettre. Cette année, les subsides ont été fort réduits, avec en conséquence inévitable une insatisfaction croissante de la population. L’Algérie aussi, qui verra sa population augmenter de 39 à 45 millions au cours des vingt prochaines années. Le pays est très dépendant de nourriture importée, mais comme les revenus du secteur énergétique, il a du mal à la financer. Ces dernières années, les prix des denrées alimentaires ont augmenté de 4%, et l’état utilise la pénurie de plus en plus comme arme : celui qui reste fidèle à l’état se voit distribuer de la nourriture. Cela contribue aux tensions avec les groupes de population au sud du pays qui se sentent discriminés et se révoltent de plus en plus.

Les tensions dans le bassin méditerranéen sont d’une tout autre nature que celles qui agitent le flanc Est de plus en plus dépeuplé. Mais il y a là peut-être une opportunité cruciale pour la future politique de voisinage de l’Europe : il faudrait essayer de lier le potentiel agricole dans une région au manque de nourriture dans l’autre région.

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