Issaias Afeworki © Reuters

L’Erythrée a beaucoup à gagner d’un rapprochement avec l’Ethiopie

Le Vif

Le président érythréen Issaias Afeworki, à la tête d’un des régimes les plus fermés et répressifs au monde, a surpris en acceptant la main tendue par le Premier ministre éthiopien Ahmed Abiy, une initiative qui pourrait mettre un terme à des années d’hostilité entre leurs pays.

Les deux dirigeants devraient bientôt se rencontrer, après la promesse de M. Abiy d’appliquer l’accord de paix signé en 2000 avec l’Érythrée et les conclusions d’une commission internationale indépendante sur la démarcation de la frontière.

Asmara avait toujours refusé de discuter tant que l’Éthiopie occuperait les zones contestées. Mais conscient d’être confronté à une opportunité historique, M. Issaias a accepté de négocier.

Quel rôle a joué la querelle frontalière pour l’Érythrée?

L’Éthiopie et l’Érythrée, une de ses anciennes provinces devenue indépendante en 1993 après trois décennies de conflit, se sont livré entre 1998 et 2000 une guerre meurtrière (80.000 morts).

Après cette guerre, M. Issaias a imposé un régime autoritaire, justifié par la menace éthiopienne. Le basculement a eu lieu en 2001, avec une purge brutale dans les hautes sphères du pouvoir et la presse.

Au pouvoir depuis 1993, le président érythréen a aussi soumis son peuple à un service militaire à durée indéterminée et refusé de mettre en oeuvre la Constitution ou d’organiser des élections.

« Le pays a été mis sur pause pendant 20 ans et tout a tourné autour » de la question frontalière, résume pour l’AFP Abraham Zere, un journaliste érythréen en exil, directeur du centre PEN Eritrea.

L’Éthiopie a entretenu l’animosité érythréenne en refusant d’appliquer une décision en 2002 d’une commission soutenue par l’ONU sur le tracé de la frontière.

L’Érythrée est-elle prête à la réconciliation?

Le président Issaias prend un risque, car un rapprochement pourrait le contraindre à ouvrir l’espace politique dans son pays. Mais il n’a peut-être pas d’autre choix, son attitude passée à l’égard d’Addis Abeba ayant mené l’Érythrée dans l’impasse.

Accusé de violations des droits de l’homme, son régime a longtemps été tenu pour paria par la communauté internationale. Et la conscription a poussé une grande partie de la jeunesse érythréenne à émigrer.

A 72 ans, M. Issaias tient peut-être aussi à laisser à la postérité une autre image. « Je crois que cette fois-ci il est sincère et qu’il est probablement conscient que c’est la seule solution », estime M. Abraham.

Les circonstances sont aussi différentes en Ethiopie, où M. Abiy, jeune leader de 42 ans et d’ethnie oromo, a marginalisé la vieille garde tigréenne, honnie d’Issaias.

« Avec Abiy, il n’y a pas d’animosité personnelle », souligne le Français Marc Lavergne, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Qu’a l’Érythrée à gagner d’un accord de paix?

Le statu quo des deux dernières décennies n’a servi aucun des deux pays et, des deux côtés de la frontière, les gens plaident pour la paix.

« Les deux pays profiteront certainement beaucoup d’un retour à la normale, mais l’enjeu pour l’Érythrée est énorme », estime M. Abraham. « L’Érythrée va y gagner beaucoup, car elle va être prise dans l’élan économique éthiopien », approuve M. Lavergne.

Deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, doté de la croissance la plus dynamique du continent, l’Éthiopie représente un marché attrayant pour l’Érythrée, dont 80% de la population vit encore d’une agriculture de subsistance, selon la Banque mondiale.

Asmara pourrait tenter de faire payer l’utilisation des ports de Massawa et Assab à l’Éthiopie, qui depuis l’indépendance de l’Érythrée n’a plus d’accès à la mer et dépend de Djibouti pour son commerce.

L’Érythrée espère aussi que sa bonne volonté sera récompensée par une levée des sanctions du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptées en 2009 en raison notamment de son soutien présumé aux islamistes somaliens shebab.

« Il est probable que l’amélioration des relations entre l’Éthiopie et l’Érythrée favorisera la réintégration de l’État érythréen sur la scène internationale », estime Michael Woldemariam, enseignant à l’université de Boston.

Quel rôle ont pu jouer les États-Unis et les pays du Golfe?

L’administration Obama était particulièrement hostile à l’Érythrée. Mais Asmara pourrait avoir trouvé une oreille plus attentive sous le président Donald Trump.

La militarisation croissante de la mer Rouge, avec l’intrusion des pays du Golfe et de la Chine dans la corne de l’Afrique, est source d’inquiétude.

Fin avril, le sous-secrétaire d’État américain en charge de l’Afrique, Donald Yamamoto, a effectué la première visite d’un haut responsable américain en Erythrée depuis des années.

« En raison des développements géopolitiques dans la région de la mer Rouge – avec la présence de la Chine à Djibouti en particulier – les États-Unis ont intérêt à normaliser les relations avec l’Érythrée », avance M. Woldemariam.

M. Issaias, qui depuis toujours a « un tropisme mer Rouge », pourrait aussi avoir subi la pression des Émirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, risque M. Lavergne, selon qui « l’Érythrée est sous perfusion financière de ces pays ».

D’abord proche du Qatar, M. Issaias a changé d’allégeance en 2015, en se rapprochant de Ryad et Abou Dhabi. Les Émirats ont même utilisé le port d’Assab pour la guerre au Yémen.

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