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L’Egypte s’en prend aux ONG pour faire taire les critiques

Au Caire, près d’un an après le départ de Hosni Moubarak, les militaires au pouvoir semblent décidés à museler la contestation. Malgré leurs promesses d’ouverture.

La police a fermé les locaux d’une dizaine d’associations pro-démocratie au Caire, le 29 décembre. Les autorités les accusent de recevoir des fonds illicites de l’étranger. Selon Heba Morayef, chercheuse pour Human Rights Watch en Egypte, le pouvoir cherche à intimider les défenseurs des droits l’homme. Comme sous l’ère Moubarak…

Pourquoi les autorités ont-elles perquisitionné et fermé les bureaux de près d’une vingtaine d’ONG ?

Le gouvernement a ouvert une enquête, en juillet dernier, sur les fonds étrangers versés aux organisations non-gouvernementales. Depuis lors, plusieurs des ONG visées ont fourni des documents sur l’origine de leur financement. S’il devait y avoir perquisition, et surtout fermeture des associations en question, cela aurait dû intervenir au terme du processus judiciaire normal. En l’état, cette action n’a aucun fondement juridique. Par conséquent, elle ne peut être comprise que comme un acte politique, destiné à faire taire les voix qui critiquent les violations des droits de l’homme commises par le pouvoir militaire en Egypte.

Sur quelle base légale se fonde l’enquête en cours ?

La loi sur les ONG, qui date de 2002, est un texte archaïque et répressif, qui aurait dû être modifié immédiatement après la chute de Moubarak [le 11 février 2011]. Son objectif est de contrôler la société civile. Par exemple, les ONG se voient interdites de travailler dans le domaine politique et leur licence peut être refusée sur des critères de « sécurité » très flous. Du coup, la majorité des associations de défense des droits de l’homme en Egypte sont enregistrées comme des cabinets d’avocats ou des entreprises privées. Elles font appel à des financements étrangers parce qu’il est quasiment impossible, légalement, à un homme d’affaire égyptien de verser de l’argent à ce genre d’ONG. Si l’on interdit le recours aux fonds étrangers, on signe l’arrêt de mort de cette société civile, qui a été l’un des moteurs de la révolution.

Cette affaire aura-t-elle des conséquences sur les relations entre l’Egypte et les Etats-Unis ?

Au moins deux des ONG visées, le National Democratic Institute et le International Republican Institute, sont liées au Congrès. L’administration américaine a été dans l’obligation de réagir, alors qu’elle était restée relativement silencieuse jusqu’ici sur l’enquête. Le chef du Pentagone, Leon Panetta, a appelé directement le maréchal Tantaoui afin d’exprimer sa « profonde inquiétude » et, pour la première fois, le Département d’Etat a évoqué la possibilité de reconsidérer l’aide annuelle de 1,3 milliard de dollars versée à l’armée égyptienne. Il s’agit d’une escalade très sérieuse.

Le pouvoir invoque une « main étrangère », qui fomenterait des troubles. A quel point ces arguments sont-ils écoutés au sein de l’opinion publique ?

Plusieurs journaux indépendants – Al Masry el-Youm, El Shorouq – ont adopté une ligne plutôt favorable aux ONG. Mais il y a aussi une campagne de dénigrement de ces organisations, menée depuis plusieurs mois par les médias publics et une partie de la presse privée. Les Egyptiens restent très sensibles au thème de l’intervention étrangère.

Comment analysez-vous la réaction des islamistes ?

Les Frères musulmans ont fait des déclarations contradictoires; certains approuvent les perquisitions tandis que d’autres les jugent « inacceptables ». D’une manière générale, leur réaction a été incohérente et faible. Mais je ne pense pas qu’il existe une alliance de facto entre militaires et islamistes, aux dépens des « libéraux ». Leur position s’explique plutôt par le souci de l’opinion publique, très anti-impérialiste.

Nina Hubinet

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