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« L’avion russe abattu risque de coûter cher aux deux pays »

Niels Smeets
Niels Smeets Chercheur au sein du groupe de recherche Russie et Eurasie à la KU Leuven

Comment comprendre l’action militaire de la Turquie qui a abattu un chasseur à réaction russe au-dessus de sa frontière le 24 novembre dernier ? Et quelles sont les conséquences possibles pour les relations entre la Russie et la Turquie ? Niels Smeets (KuLeuven) tente de répondre à ces questions.

Les Turkmènes

Le président turc Recep Erdogan s’est défendu en disant que l’avion russe volait au-dessus du territoire turc, et qu’il est intervenu après pas moins de dix avertissements. Les débris tombés sur les citoyens turcs doivent corroborer cette version. À cet égard, l’action militaire servait à défendre l’espace aérien turc.

Début octobre, l’espace aérien turc avait déjà été violé par des bombardiers russes. Que les Russes n’ouvrent pas seulement le feu sur l’EI, mais aussi sur d’autres troupes de l’opposition et particulièrement sur les Turkmènes syriens qui résistent au régime d’Assad, avait déjà incité la Turquie à convoquer la Conseil de sécurité des Nations unies pour protéger la minorité turque installée en Syrie. Cette attitude fait penser à l’argument russe invoqué pour protéger les minorités russes en Ukraine.

Bachar el-Assad

Par contre, la Russie persiste à dire que leur bombardier n’a pas été attaqué au-dessus du territoire turc, mais bel et bien au-dessus de la Syrie. Le pays indique que les deux pilotes se sont retrouvés en territoire syrien, où l’un d’entre eux a été pris comme cible de tirs. Peu de temps après , un hélicoptère de sauvetage russe a également été abattu. Et d’après Poutine, l’avion russe ne menaçait ni la Turquie, ni les opposants turcs étant donné que les bombes étaient surtout destinées aux djihadistes originaires de Russie.

Ces différents points de vue s’expliquent par des intérêts opposés. La Russie soutient le régime d’Assad, là où la Turquie protège des groupes de l’opposition pour faire tomber le leader syrien.

Réaction de la Maison-Blanche

Au vif mécontentement de la Russie, mais sans réelle surprise, les États-Unis soutiennent la Turquie, leur allié dans l’OTAN, et incriminent partiellement la Russie. Le président Barack Obama a affirmé en présence du président français François Hollande que la Turquie avait le droit de défendre son territoire et son espace aérien. En outre, la Russie cherchait les problèmes en menant des opérations près de la frontière turque.

Aussi le président Vladimir Poutine doit-il viser l’EI, et non des groupes d’opposition « modérés » soutenus par la Turquie. Ces groupes d’opposition pourraient en effet intégrer un futur gouvernement syrien. Les États-Unis continuent donc également à exiger le départ de Bachar el-Assad, parallèlement aux négociations diplomatiques tenues à Vienne. Simultanément, le président américain souhaite éviter que la situation s’envenime encore davantage.

Une réponse russe furieuse

Cependant, pour Poutine, l’incident est lié à l’OTAN. Le président russe n’admet pas qu’au lieu de se concerter avec la Russie, la Turquie ait décidé de consulter ses partenaires de l’OTAN : « C’est comme si nous (les Russes) avions abattu un avion turc. « 

En plus, Poutine a déclaré que la Turquie se faisait complice du terrorisme, avant d’annoncer des mesures draconiennes. Si le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov exclut une confrontation militaire entre la Turquie et la Russie, il est probable que l’État russe prenne des mesures économiques.

Destination de vacances populaire

Ce mardi, le ministère russe des Affaires étrangères a d’ores et déjà déconseillé à ses sujets de se rendre en Turquie. Après les Allemands, les Russes sont les plus friands de la Turquie. Par conséquent, cet avis négatif pourrait entraîner de graves conséquences économiques pour la Turquie. Cependant, cette recommandation nuira également aux touristes russes. L’année dernière, pas moins de 4,5 millions de Russes ont passé leurs vacances en Turquie, leur destination de prédilection. Cette mesure s’ajoute à une série d’autres restrictions telles que l’interdiction récente de se rendre en Égypte en réponse à l’avion de passagers russe abattu au-dessus du Sinaï. Et la dévaluation du rouble a également fait du tort au budget de voyage russe.

En outre, la Turquie et la Russie travaillaient ensemble à la route de gaz alternative entre la Russie et l’UE, qui devait passer par la Turquie. Le projet devait rendre superflu le transit par l’Ukraine de sorte que la Turquie et la Russie soient moins dépendantes des pays de transit. Il y a quelques mois, la capacité du projet pipeline avait déjà été réduite de moitié suite à un conflit sur les prix, mais le bombardier abattu hypothèque encore davantage l’avenir de ce projet.

Partenaire commercial

De plus, la Turquie était un des rares pays de l’OTAN à ne pas avoir soutenu les sanctions occidentales contre la Russie et n’était donc pas visée par l’interdiction d’importation russe sur les légumes, les fruits et les produits laitiers. La Turquie s’est transformée en exportateur alternatif de ces denrées alimentaires pour répondre partiellement à la disparition de biens d’exportation occidentale. En outre, la Turquie est le cinquième partenaire commercial de la Russie. Mais la proposition d’une zone de libre-échange semble provisoirement balayée.

L’avion russe abattu risque de coûter cher aux deux pays

Pour l’instant, on ignore encore la teneur exacte des mesures draconiennes, mais il est clair qu’elles coûteront cher aux deux pays.

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