Hillary Clinton © Getty Images

L’autre visage d’Hillary Clinton

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Parviendra-t-elle à se relever encore une fois ? Fragilisée par la réouverture de l’enquête sur les e-mails, la candidate démocrate doit puiser dans ses ressources pour sauver sa course à la présidence. Dure, arrogante, dissimulatrice ? Hillary Clinton est aussi une battante, une croyante fervente et une mère à la fibre sociale.

Rien ne lui sera épargné. Promise à une victoire sur du velours il y a encore dix jours, Hillary Clinton voit son retour à la Maison-Blanche compromis par la remontée dans les sondages d’un Donald Trump, que l’on croyait définitivement distancé par l’exhumation de propos sexistes. Ainsi va la démocratie dans le berceau des technologies numériques, ballotée d’un camp à l’autre, d’une mode à l’autre, au gré des buzz médiatiques.

Chelsea, Bill et Hillary Clinton tentent de donner le change en août 1999, en pleine tourmente Monica Lewinsky. L'affaire démontrera la formidable faculté de résilience de la First Lady.
Chelsea, Bill et Hillary Clinton tentent de donner le change en août 1999, en pleine tourmente Monica Lewinsky. L’affaire démontrera la formidable faculté de résilience de la First Lady.© RON SACHS/ISOPIX

Il est impossible à ce stade de savoir si la découverte de milliers de courriels d’Hillary Clinton sur l’ordinateur portable de l’ex-député démocrate Anthony Weiner, ancien mari de sa très proche collaboratrice Huma Abedin, est de nature à véritablement relancer l’enquête, pourtant déclarée close en juillet, sur la correspondance non sécurisée de la secrétaire d’Etat américaine de 2009 à 2013. L’annonce de sa réouverture à onze jours de l’élection présidentielle par le directeur – républicain – du FBI, James Comey, éveille inévitablement le soupçon d’un complot politique. D’autant que le couple Clinton n’en serait pas à sa première exposition à un coup tordu motivé par un déferlement de haine rarement atteint dans l’histoire politique des Etats-Unis.

Hillary protège sa fille Chelsea en limitant son exposition médiatique, notamment ici lors de la campagne pour les sénatoriales de 2000.
Hillary protège sa fille Chelsea en limitant son exposition médiatique, notamment ici lors de la campagne pour les sénatoriales de 2000.© MATT CAMPBELL/AFP

A tort ou à raison, ce rebondissement, conjugué au bidonnage d’un débat télévisé (la candidate démocrate a été informée au préalable de la teneur de certaines questions), réveille le procès en dissimulation et tromperie que subissent les Clinton depuis de nombreuses années. Hillary résistera-t-elle à cet énième écueil et s’en relèvera-t-elle avant le 8 novembre ? Si elle échouait dans la dernière ligne droite présidentielle après avoir été barrée par Barack Obama en 2008, difficile d’imaginer qu’elle persiste dans son ambition à 69 ans. L’ancienne première dame a pourtant fait montre d’un pouvoir de résilience hors du commun.

La battante

Jugez-moi sur le nombre de fois où je suis tombée et où je me suis relevée »

 » Les deux décisions les plus difficiles de ma vie ont été de rester mariée avec Bill et de faire campagne pour le Sénat « , écrit Hillary Rodham Clinton dans Mon histoire (Fayard), son autobiographie parue en 2003. Si l’affaire Monica Lewinsky plonge la First Lady dans un abîme de souffrances lors du second mandat de son mari, elle n’en est pas à sa première déconvenue. Chaque fois, pourtant, que ce soit elle qui subisse l’affront de l’échec ou son mari, c’est elle qui va mobiliser les ressources pour sortir le couple du désarroi et du découragement.

Elle déploie  » une résilience à toute épreuve « , diagnostique Jean-Luc Hees dans Hillary Clinton. Une certaine idée de l’Amérique (BakerStreet, 448 p.). Bill rate sa réélection en 1981 comme gouverneur de l’Arkansas ? Elle accepte de se fondre dans le profil de l' » épouse de l’homme politique « , plus en phase avec l’électorat conservateur de cet Etat du sud, pour permettre à son mari de renouer avec le succès électoral deux ans plus tard.

Hillary se heurte à l’opposition républicaine au Congrès et au machisme ambiant dans sa vaine tentative de réformer le système de santé américain lors du premier mandat de Bill ? Elle consent la mort dans l’âme à renoncer à son rôle politique pour s’en tenir aux activités conventionnelles d’une First Lady et pour ne pas nuire aux intérêts du président.

Hillary subit l’humiliation de la révélation, au grand jour et dans des détails sordides, de l’infidélité de son époux ? Elle se réfugie dans sa foi méthodiste (lire page 36) et, après un temps d’introspection, c’est elle qui sonne l’heure de la contre-attaque parce que, comme elle le raconte dans Mon histoire,  » quoi qu’il ait fait, je pensais que personne ne méritait le traitement insultant qu’il avait subi « . Bill  » n’était pas seulement mon mari, auquel j’aurais volontiers tordu le cou, il était aussi mon président « .

Dorothy et Hugh Rodham en 1992 : la mère d'Hillary lui inculque de ne jamais abdiquer.
Dorothy et Hugh Rodham en 1992 : la mère d’Hillary lui inculque de ne jamais abdiquer.© MIKE STEWART/PHOTO NEWS

Hillary est défaite par un tonitruant Barack Obama dans sa première quête d’une candidature démocrate à la présidence en 2008 ? Elle ravale sa fierté écornée de célébrité défaite par un quasi inconnu, accepte de rejoindre le gouvernement, enrichit son expérience politique au poste de secrétaire d’Etat et s’en sert comme précieux tremplin pour briguer à nouveau la fonction suprême. Après l’étalage de cette incroyable capacité à rebondir, personne ne sera étonné d’apprendre qu’Hillary Clinton a fait sienne la devise de Nelson Mandela :  » Ne me jugez pas sur mes succès, jugez-moi sur le nombre de fois où je suis tombé et où je me suis relevé.  »

La mère aimante

Même auréolée des titres les plus prestigieux, Hillary Clinton a le sens des priorités.  » Je pensais qu’être mère était le job le plus important que j’aie jamais eu, et que si les gens ne le savaient pas, ils ne pourraient certainement pas nous comprendre « , confie Hillary Clinton dans Mon histoire. Leur fille Chelsea jouera un rôle crucial dans le parcours des Clinton. Sa présence a permis la survie du couple plongé dans la tourmente de l’affaire Monica Lewinsky et des révélations des frasques sexuelles passées du président Clinton.  » Chelsea est un ciment bien plus fondamental que toute autre considération dans la fermeté inébranlable d’Hillary de protéger son mariage coûte que coûte « , note Jean-Luc Hees dans Hillary Clinton. Une certaine idée de l’Amérique.

C’est Hillary qui mobilise toujours les ressources pour sauver le couple du désarroi

Sa mère a toujours veillé à lui prodiguer une bonne éducation, à préserver sa vie privée et à ne l’intégrer dans un plan de campagne médiatique qu’à doses homéopathiques. Plus fondamentalement, Hillary Clinton est résolument décidée à éviter à son unique enfant le sort qu’a connu sa mère Dorothy Rodham, née dans le dénuement, abandonnée par son père et négligée par sa maman. Elle-même n’aura de cesse d’inculquer à Hillary que si elle veut réussir, elle devra se battre et ne jamais abdiquer devant les écueils et face à ses adversaires.

Barack Obama a défait Hillary Clinton lors de la primaire démocrate de 2008. C'est lui aussi qui va lui permettre de rebondir huit ans plus tard.
Barack Obama a défait Hillary Clinton lors de la primaire démocrate de 2008. C’est lui aussi qui va lui permettre de rebondir huit ans plus tard.© PETE SOUZA/RUE DES ARCHIVES

Cette pugnacité à toute épreuve restera-t-elle comme l’empreinte indélébile de la famille Clinton, dans l’histoire des Etats-Unis ? Bill n’a pas écarté l’idée que Chelsea reprenne le flambeau du combat politique après Hillary. Et c’est à nouveau Dorothy Rodham qui prodigue, à sa petite-fille cette fois-ci, les valeurs de l’engagement.  » En lui répétant que les Clinton ont un « gène de la responsabilité » envers les autres, Chelsea se laisse convaincre et veut s’engager de toutes ses forces « , observe Olivier O’Mahony dans Les Billary (Flammarion, 346 p). Jusqu’où ?

L’Européenne à la fibre sociale

L’attachement qu’elle cultive pour son rôle de mère protectrice induit chez Hillary Clinton une disposition naturelle à défendre les femmes et les enfants. Tout son parcours politique en témoigne. De la réforme du régime d’assurance-maladie qu’elle promeut quand Bill est gouverneur de l’Arkansas à l’adaptation du système des soins de santé qu’elle échoue à faire aboutir quand il est président, la candidate démocrate développe une fibre sociale fort éloignée de la collusion avec les milieux financiers de Wall Street dont on la suspecte. En cela, Hillary Clinton est sans doute beaucoup plus européenne que les prétendants à la présidence américaine de ces dernières années. Docteur en science politique à l’université Panthéon-Assas de Paris, Célia Belin rappelle d’ailleurs qu’elle a étudié le système de soins de santé français et, en particulier, le congé de maternité pour nourrir sa réflexion sur son propre projet de réforme.

Et avant de devenir secrétaire d’Etat et de parcourir le monde (112 vols pour 1,5 million de kilomètres parcourus en quatre ans), elle est sans doute celle parmi tous les candidats à avoir le mieux appréhendé le modèle de société européen. Bill Clinton, qui avait mené deux ans d’études à Oxford, l’emmena en Grande-Bretagne dès 1973 et lui fit découvrir la France et l’Espagne trois ans plus tard.

Hillary Clinton apparaît communément froide, incapable d’empathie et vendue aux magnats de la finance. La vraie Hillary est pourtant plus complexe, on l’a vu. Capable d’une incroyable résilience et animée par un souci prononcé de l’autre, hérité de sa mère et de son éducation religieuse. D’indéniables atouts qui seront peut-être restés méconnus ou inaudibles pour une majorité d’Américains. Hillary sera-t-elle la première femme présidente des Etats-Unis ou Bill Clinton, qui doit une revanche à la branche féminine de la famille, devra-il tabler sur Chelsea ?

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