Représentation de la vie des prisonniers de guerre dans le manoir de Sissinghurst. © National Trust

L’art perdu de la première grande guerre mondiale a été retrouvé dans le Kent

Stagiaire Le Vif

Une large sélection de gravures et dessins réalisés par des prisonniers de guerre d’avant le 19e siècle a été retrouvée en Grande-Bretagne, a révélé le journal The Independent.

Des navires, dont les traits ont grossièrement été grattés dans les murs, ornent un manoir historique du Kent. Les auteurs ? Des prisonniers de guerre français qui souhaitaient peut-être laisser une trace de leur passage à leurs geôliers. Cet art, perdu depuis longtemps, vient d’être redécouvert par des enquêteurs historiques effectuant des travaux de conservation dans une propriété du National Trust, le manoir de Sissinghurst.

Ces dix-huit images viennent rejoindre les seize autres dessins composant la plus grande collection d’art de prisonniers de guerre d’avant le 19e siècle jamais découverte en Grande-Bretagne. Les 34 graffitis et gravures sont aujourd’hui étudiés dans les moindres détails. Les historiens croient qu’à l’origine, il y avait jusqu’à 3.000 dessins sculptés sur les murs et que des centaines sont donc encore cachés sous le plâtre.

Des prisonniers de la guerre de Sept Ans

Les artistes seraient des prisonniers de guerre français et d’autres prisonniers capturés par la Grande-Bretagne à l’approche de la guerre de Sept Ans (1756-1763) et durant celle-ci. On peut considérer que cette guerre est la première guerre mondiale réellement majeure : les combats se déroulaient tant en Europe qu’en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, dans les Caraïbes, en Inde, aux Philippines ou encore en Afrique de l’Ouest.

Au total, le conflit a impliqué 17 pays différents. Il aura coûté la vie à 1,5 millions de personnes, soit trois fois plus que le seul conflit mondial précédent, la guerre de Succession d’Autriche, qui avait pris fin huit ans auparavant. Tant les troupes que les civils ont souffert de ce conflit, et les prisonniers de guerre n’étaient certainement pas en reste…

Parmi les prisonniers, on compte quelque 61.000 Français et d’autres troupes ennemies. Ils ont été tenus captifs dans un réseau de centres de détention oppressifs à travers la Grande-Bretagne. Beaucoup ont été incarcérés durant deux à sept ans. Une grande majorité d’entre eux sont morts du typhus et d’autres maladies. D’autres ont été assassinés par les gardes.

Pas que des soldats

Les statistiques des prisonniers de guerre suggèrent que la majorité d’entre eux étaient des marins – souvent des pêcheurs et des équipages de petites entreprises privées ou de navires de guerre privés, agissant pour le compte du gouvernement français. Seulement 8% des prisonniers de guerre provenaient de navires de guerre officiels de la Royal Navy.

Aux 17e et 18e siècles, la privatisation de la guerre était une pratique courante : les gouvernements britanniques et français autorisaient les corsaires (des pirates soutenus par le gouvernement) à attaquer et capturer les navires ennemis. Au cours de la guerre des Sept Ans, plus de 30% des 61.000 prisonniers provenaient de ces navires.

Si l’on ne connaît pas encore le nom des navires dans lesquels sont venus les prisonniers de Sissinghurst, certains chercheurs pensent que des prisonniers peuvent être venus de grands navires de guerre français capturés dans les eaux de bataille du Portugal méridional et de la baie de Quiberon : le Téméraire, le Modeste et le Centaure, tous capturés en août 1759, et le Formidable, capturé en novembre de la même année.

Le dessin pour combattre l’ennui et les conditions de vie épouvantables

Sur les 61.000 soldats emprisonnés (des Français, des Allemands, des Scandinaves et des Italiens), environ 3.000 ont été maintenus dans des conditions horribles à Sissinghurst. Le manoir était surpeuplé, les prisonniers se marchaient dessus, les gardes pouvaient être violents (si l’on en croit certains dessins).

Un dessin de navire réalisé par les prisonniers de guerre lors de la guerre de Sept Ans, dans le manoir de Sissinghurst.
Un dessin de navire réalisé par les prisonniers de guerre lors de la guerre de Sept Ans, dans le manoir de Sissinghurst.© National Trust

Les hommes, pour combattre l’ennui, grattaient et ciselaient les murs : les traits sont alors devenus navires. C’est à l’expert archéologue britannique Matthew Champion que revient la tâche d’étudier les graffitis. Son travail d’enregistrement a déjà révélé la grande variété de navires dans lesquels les hommes ont servi.

Le Dr Peter Goodwin, spécialiste des navires du 19e siècle, estime que certains des graffitis les mieux conservés représentent de petits corsaires, des bateaux de pêche et des navires marchands. Dans les corsaires, seul un petit nombre de personnes en formait l’équipage, tandis que dans les navires marchands, il pourrait bien y avoir eu un grand nombre de troupes.

Les traces d’une (sur)vie

« Les graffitis sont d’une grande importanc, car ils nous aident à comprendre qui étaient ces prisonniers et peut-être même comment ils ont perçu leur rôle dans la guerre. Dans un sens, les images ne sont pas seulement des navires, mais aussi des déclarations d’identité« , a déclaré au journal The Independent l’historien Renaux Morieux, qui enquête au Sissighurst.

Les hommes de Sissinghurst semblent en effet avoir mené une existence misérable. Les prisonniers pouvaient être fusillés pour ne pas avoir éteint leurs lumières à l’heure, pour avoir marché trop près de la clôture, et même pour ne pas avoir obéi immédiatement aux instructions. Pour les moindres infractions, les prisonniers pouvaient voir leur alimentation réduite de moitié.

Même les lettres et biens personnels étaient confisqués par les gardes. Les historiens soupçonnent les miliciens d’avoir utilisé ce camp comme une opportunité de renforcer leurs maigres revenus. Ces lettres confisquées par les miliciens existent toujours, ainsi qu’une série d’objets fabriqués par les prisonniers de guerre. Le Dr Morieux est actuellement en train d’analyser le contenu des lettres qu’il publiera dans un livre au début de l’année prochaine : « The Society of Prisoners : War Captivity, Britain and France in The Eighteenth Century ».

Chavagne Mailys

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