L’aide à l’Afrique, une drogue néfaste ?

L’aide au développement accroît la pauvreté, encourage la corruption et est source de conflits. C’est la thèse iconoclaste d’une jeune économiste zambienne. Son livre suscite le débat au sein des ONG belges et des milieux européens.

Un gros pavé dans la marre ! Dambisa Moyo, choisie parmi les femmes les plus influentes de notre époque par le magazine Time, peut se vanter d’avoir remué les consciences, de Londres à Nairobi et de Bruxelles à Kinshasa. Des responsables d’ONG belges avouent que Dead Aid , son livre provocateur sur les ravages de l’aide à l’Afrique, les a interpellés. Tout aussi troublé, l’eurodéputé Louis Michel, ex-commissaire européen au Développement, s’est procuré une dizaine d’exemplaires de la traduction française du livre (1), parue fin 2009, pour les distribuer à ses visiteurs.

La jeune auteure, originaire de Zambie et établie dans la capitale britannique, ne manque pas de références : diplômée en économie d’Oxford et de Harvard, elle a travaillé pour la Banque mondiale, avant d’entrer chez Goldman Sachs, l’une des banques les plus puissantes (et controversées) de la planète, où elle est chargée de la stratégie économique internationale. Chiffres et exemples à l’appui, elle affirme que l’assistance financière a été et continue à être, pour une grande partie du monde en développement, un désastre économique, politique et humanitaire.

Pourquoi, demande-t-elle, la majorité des pays subsahariens « se débattent-ils dans un cycle sans fin de corruption, de maladies, de pauvreté et de dépendance », alors que les pays riches ont déversé plus de 1 000 milliards de dollars d’aide sur l’Afrique au cours des cinquante dernières années ? Entre 1970 et 1998, quand le flux de l’aide à l’Afrique était à son maximum, encouragé par l’industrie du spectacle (Live Aid…), le taux de pauvreté des populations s’est accru d’une façon stupéfiante.

L’intuition de Dambisa Moyo est que l’octroi de dons et de prêts à des conditions très favorables a des effets comparables à la possession de ressources naturelles précieuses : il favorise la mauvaise gouvernance, est source de conflits et sape l’épargne et les investissements locaux.

Fermer graduellement le robinet

Elle propose que les principaux donateurs s’entendent pour annoncer la fermeture graduelle des robinets de l’aide sur une période de cinq à dix ans. Les pays concernés réorienteraient leurs économies vers des sources de financement privés aux effets secondaires moins nuisibles. Moyo préconise le recours au marché obligataire, l’essor du microcrédit, le renforcement du droit de propriété et des mesures drastiques pour favoriser le commerce. Elle considère le Botswana, qui a prospéré après avoir rejeté la culture de l’assistance, comme un modèle à suivre.

Au risque de choquer, elle vante aussi les mérites de l’offensive chinoise en Afrique. Elle critique, au passage, le Belge Philippe Maystadt, président de la Banque européenne d’investissement (BEI), pour ses attaques contre les banques chinoises, accusées de s’être emparées de certains projets en offrant de supprimer ou d’édulcorer les conditions imposées par la BEI en matière de traitement des travailleurs et de protection de l’environnement.

Encore plus iconoclaste est son éloge du despotisme éclairé : elle rappelle les succès économiques de Singapour et d’autres pays asiatiques peu démocratiques et cite abondamment le président rwandais Paul Kagame, prompt à dénoncer les « erreurs des donateurs » qui « veulent choisir eux-mêmes où ils mettent leur argent » et « se trompent dans le choix de leurs partenaires ».

« Elle souligne l’effet de dépendance »


« L’aide ne marche pas bien, en Afrique subsaharienne spécifiquement, admet Eric Driesen, président de l’ONG belge Aquadev. Les effets de dépendance engendrés par l’assistance telle qu’elle se pratique devaient être soulignés. Il y a un intérêt à ce que cette vérité soit dite par une ressortissante du continent. Son livre fait débat en Afrique anglophone, où cela bouge au niveau des idées. Mais l’analyse économique de Dambisa Moyo ne me convainc pas. Il manque aussi, selon moi, une explication, fondamentale, sur les déficiences des élites. »

« Nous avons habitué des chefs d’Etat voyous à ne pas être comptables de l’aide octroyée, reconnaît Louis Michel. Nous leur donnions de l’argent d’une main et faisions, de l’autre, notre mea culpa pour le passé colonial. Cinquante ans après les indépendances, certains dirigeants africains n’ont toujours qu’un mot à la bouche : c’est la faute aux autres ! » L’eurodéputé belge estime que l’aide internationale devrait se focaliser sur l’administration, la justice, l’enseignement : « Tant que ces pays ne sont pas des Etats, ils ne se développeront pas. » Selon l’ONG ActionAid, 47 % du total de l’aide est totalement inefficace pour renforcer les capacités d’un pays et réduire la pauvreté.

« L’analyse de Dambisa Moyo sur l’échec de l’aide néglige un élément clé, lance Arnaud Zacharie (2), secrétaire général du Centre national de coopération au développement : les relations Nord-Sud ont été, dès l’origine, déterminées par l’axe Est-Ouest du nouveau monde bipolaire. Le développement a donc été conçu pour répondre aux objectifs de la guerre froide. Depuis 1999, les programmes d’ajustement structurels sont remplacés par des plans de réduction de la pauvreté. Mais aujourd’hui, le concept de développement lui-même est en crise. »

Zacharie poursuit : « Les inégalités sociales et les limites écologiques de notre temps impliquent de remettre en cause les modes de production, de consommation et de répartition des richesses. Cela rend obsolète la théorie du développement fondé sur la croissance économique et la libéralisation des marchés. » Une certitude : l’impact des crises globales – financière, économique, sociale, alimentaire, climatique – dans les pays pauvres provoque une dégradation des indicateurs de développement. Dix ans après leur adoption, les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), sont hors d’atteinte pour nombre de pays du Sud (3).

OLIVIER ROGEAU

(1) L’Aide fatale. Les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique , par Dambisa Moyo (JC Lattès).

(2) Arnaud Zacharie a dirigé l’ouvrage collectif Refonder les politiques de développement , sorti ces jours-ci aux éd. Le Bord de l’eau.

(3) Les Assises belges de la coopération (4 mai 2010) auront précisément pour objectif la recherche de pistes en vue d’accélérer la mise en oeuvre des OMD.

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