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L’affaire Anene Booysen, le viol qui révolte l’Afrique du Sud

Le Vif

Le viol et le meurtre d’une jeune fille soulèvent une vague de protestation inédite dans un pays où les violences sexuelles atteignent des niveaux record. Les manifestants espèrent une mobilisation aussi forte que celle des Indiens dans un cas similaire.

L’affaire Anene Booysen, le viol qui révolte l’Afrique du Sud
Le viol et le meurtre d’une jeune fille soulèvent une vague de protestation inédite dans un pays où les violences sexuelles atteignent des niveaux record. Les manifestants espèrent une mobilisation aussi forte que celle des Indiens dans un cas similaire.

Les faits sont quasiment identiques jusque dans les plus sordides détails: le viol collectif suivi du meurtre d’une jeune sud-africaine, début février, rappelle en plus d’un point celui de l’étudiante de New Delhi dont la mort a provoqué, fin décembre, une émotion inédite.
Le 2 février, des agents de sécurité découvrent sur un site de construction de Bredasdorp, bourgade située à 130 kilomètres du Cap, une jeune fille de 17 ans agonisante. Laissée pour morte par ses agresseurs, Anene Booysen, violée la veille en sortant d’une boîte de nuit, éventrée, décèdera à l’hôpital dans la soirée.

Après une enquête rapide -la victime a identifié l’un de ses agresseurs avant de mourir- deux suspects ont comparu brièvement mardi devant le tribunal de la ville: son ex-petit ami, âgé de 22 ans, ainsi qu’un autre homme de 21 ans. Un troisième a d’abord été interpellé avant d’être relâché faute de preuves.

Les deux accusés se sont présentés la tête cachée par des serviettes, la Cour ayant demandé aux médias de ne pas rendre publics leurs visages. Signe de la tension soulevée, des centaines de manifestants étaient rassemblés devant le palais de justice pour réclamer une peine exemplaire: des membres d’associations de défense des droits des femmes, mais aussi des jeunes de l’ANC, ainsi que de l’Alliance démocratique, le parti d’opposition.

Le viol, fléau endémique

Comme en Inde, ce fait-divers sordide intervient dans un pays où les violences sexuelles atteignent des seuils endémiques: l’an passé, la police a recensé 64 000 cas de viols, soit 176 par jour en moyenne. Or seul un sur 36 serait déclaré. Selon une étude menée dans la province de Gauteng, poumon économique de l’Afrique du Sud, en 2010, plus d’un homme sur trois avouait avoir commis un viol. Plus de 25% des femmes déclaraient en avoir été victimes. Et comme en Inde, aussi, les défenseurs des droits des femmes espèrent que l’affaire, bien que tristement banale, enclenchera la remise en cause d’un schéma machiste profondément ancré dans les consciences.

« Le viol fait partie de notre culture patriarcale », dénonçait mi-janvier, dans un documentaire de la BBC, Andy Kawa, femme d’affaire et militante sud-africaine. Dans le même reportage, une étudiante estimait que les femmes « ne sont pas protégées et ne se sentent pas en sécurité » dans le pays.

« Les Sud-Africains ne sont pas moins en colère »

Depuis début février, la presse sud-africaine se fait l’écho de cette rare introspection. « Il aura fallu le viol, le meurtre et la mutilation d’Anene Booysen pour réveiller notre sens de l’outrage », réagit, dans un éditorial, le quotidien Cape Times. « Qu’est-ce qui fait de l’Afrique du Sud une société si tolérante pour le viol? s’interroge une autre tribune. (…) L’échec du système judicaire à traiter les cas de violence sexuelle envoie le signal clair qu’ils sont mieux tolérés que beaucoup d’autres crimes. »

« Nous devons montrer au monde que les Sud-Africains ne sont pas moins en colère face à un tel crime, manifestent leur dégoût de la même façon et défilent dans les rues » en aussi grand nombre que les Indiens en décembre, a récemment déclaré le porte-parole du Cosatu, principal syndicat du pays.

L’affaire a aussi pris une tournure politique. La commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Navi Pillay, a appelé à ce que le problème des viols « soit traité d’une façon beaucoup plus ferme » en Afrique du Sud. Après la mort de la jeune fille, le président Jacob Zuma a condamné un crime « choquant, cruel et inhumain ». La ministre des Femmes, Lulu Xingwana, a quant à elle assisté à l’ouverture du procès des suspects, serrant dans ses bras les proches d’Anene Booysen.

La prochaine audience du procès devrait se tenir le 26 février. L’affaire Oscar Pistorius pousse pour l’heure l’Afrique du Sud à s’interroger plus largement sur son rapport à la violence. Ironie de l’histoire, l’un des derniers tweets de Reeva Steenkamp, la mannequin qu’il est accusé d’avoir tuée, appelait à la mobilisation ce vendredi contre les violences faites aux femmes.

Par Alexia Eychenne

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