Ieng Thirith © Reuters

Khmers rouges : la « Première Dame » est morte

Peu de femmes sont montées très haut dans la hiérarchie des Khmers rouges, et aucune n’est allée aussi loin que Ieng Thirith, ministre des Affaires sociales du régime totalitaire cambodgien de 1975 à 1979, décédée samedi à l’âge de 83 ans. Portrait.

A ce titre, elle était l’un des très rares cadres du régime à être poursuivi par le tribunal international parrainé par l’ONU pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, mais elle avait été libérée en 2012, inapte à être jugée après un diagnostic de démence. Hospitalisée pendant de longs mois en Thaïlande, elle est décédée samedi à Pailin, dans l’ouest du Cambodge, et est restée « sous contrôle judiciaire » jusqu’à sa mort, a annoncé samedi le tribunal de Phnom Penh, parrainé par les Nations unies. Paradoxalement, c’est à ses liens familiaux que Ieng Thirith — de son nom de naissance Khieu Thirith– a dû son accession aux premières loges d’un système politique sanguinaire qui a tout fait pour briser les familles et réorganiser le corps social. Intelligente, issue de la haute société cambodgienne, cette fille d’un juge a étudié la littérature en France, à la Sorbonne, à Paris. En 1951, elle y rencontre son futur mari, Ieng Sary, qui fréquente alors les cercles marxisants du mouvement anticolonialiste. Lorsque les Khmers rouges s’emparent du pouvoir en 1975, Ieng Sary devient ministre des Affaires étrangères et elle ministre des Affaires sociales. Mais outre ce mariage, la militante était aussi la belle-soeur de Pol Pot, numéro un du régime décédé en 1998 sans avoir été jugé. Elle aurait dû théoriquement s’effacer devant sa soeur Khieu Ponnary, l’épouse du Frère numéro un. Mais celle-ci a souffert très tôt de problèmes mentaux, ce qui l’a empêchée de jouer un rôle politique de premier plan. D’où ce surnom, peu enviable, de « Première dame » d’un régime responsable de la mort de près de deux millions de personnes. Le titre de ministre des Affaires sociales paraît relativement mineur dans l’appareil khmer rouge. On a toutefois prêté à Ieng Thirith une influence notable sur la direction du « Kampuchéa démocratique », qui a notamment institutionnalisé les mariages forcés, dissous les familles, aboli l’éducation. « Ieng Thirith n’était pas un individu passif qui s’est lié aux Khmers rouges juste par son statut d’épouse de Ieng Sary et de belle-soeur de Pol Pot. Elle était un membre important du parti qui exerçait un pouvoir au niveau national », souligne Youk Chhang, directeur du Centre de documentation du Cambodge, spécialisé dans les recherches sur cette période. Jusqu’au bout, et longtemps après la chute des Khmers rouges, elle défendra le bilan du régime, avant finalement de rejeter toute responsabilité dans les faits qui lui étaient reprochés et de refuser toute coopération avec l’institution judiciaire. Après la création du tribunal international, elle est arrêtée en 2007 avec son mari dans leur luxueuse villa de Phnom Penh. En 2009, quoique déjà affaiblie, elle trouve suffisamment d’énergie pour une diatribe devant les juges à qui elle promet « les sept cercles de l’enfer » s’ils l’accusent d’être une meurtrière. « Je ne sais pas pourquoi une bonne personne est accusée de tels crimes et j’ai suffisamment souffert, je ne peux pas vraiment être patiente car je suis accusée à tort », déclare-t-elle alors. Selon des documents du tribunal, elle assistait pourtant bien aux conseils des ministres du régime. Elle a également supervisé le contrôle strict de la distribution des médicaments. « Ieng Thirith a été personnellement responsable et directement impliquée dans le refus d’accorder aux Cambodgiens les soins de santé même les plus basiques », insiste Youk Chhang. Elle a également ordonné des purges contre les traitres présumés et était au courant des exécutions de ceux que le régime voyait comme ses ennemis, toujours selon les documents du tribunal. Elle aurait également participé à la règlementation des mariages, notamment les nombreux mariages forcés. Depuis la mort de Ieng Sary en 2013, à 87 ans, seuls deux hauts dirigeants du régime — le « Frère numéro deux » Nuon Chea, 87 ans, et l’ancien chef d’Etat Khieu Samphan, 82 ans — ont été jugés lors d’un premier procès et condamné à la prison à vie en août 2014 pour leur responsabilité dans la mort de deux millions de personnes d’épuisement, de maladie, sous la torture ou au gré des exécutions.

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