Uhuru Kenyatta © Reuters

Kenyatta, l’héritier multi-millionnaire face au défi de la réconciliation

Le Vif

Le président kényan Uhuru Kenyatta, l’héritier du père fondateur de la nation investi mardi pour un second mandat, devra faire oublier les circonstances controversées de sa réélection et réconcilier un pays fracturé de toutes parts.

Son score fleuve de 98,26% des voix, obtenu en raison du boycott de l’opposition, est en trompe l’oeil: seulement 7,5 millions d’électeurs sur 19,6 millions d’inscrits, ont porté leur voix sur M. Kenyatta, 56 ans, bien loin du triomphe dont il avait rêvé.

Il avait obtenu 8,2 millions lors d’un premier scrutin le 8 août, annulé par la Cour suprême pour « irrégularités », et son camp a répété à l’envi qu’il visait les 10 millions cette fois-ci. Sa légitimité pourrait se ressentir de ces chiffres décevants.

Le leader de l’ethnie kikuyu va être confronté à un défi immense: réconcilier un pays divisé sur des lignes politico-ethniques. Mais l’intransigeance dont il a fait preuve jusqu’ici ne laisse pas forcément présager qu’il en soit capable.

M. Kenyatta a refusé de s’asseoir à la même table que son vieux rival Raila Odinga, 72 ans, un Luo, qui s’est montré tout aussi hostile à l’idée de négociations. Celui-ci a boycotté le scrutin du 26 octobre, estimant qu’il ne pourrait jamais être libre et équitable, et, estimant avoir remporté la première élection du 8 août, a annoncé mardi qu’il prêterai serment à son tour comme président le 12 décembre, jour anniversaire de l’indépendance.

Le gouvernement de M. Kenyatta a laissé la police mener une répression impitoyable des manifestations de l’opposition, qui a provoqué la mort d’au moins 49 personnes depuis le 8 août, pour la plupart tuées par balle.

Après l’invalidation de la première élection, il n’avait pu cacher sa rancoeur à l’égard des juges, qu’il avait qualifiés d' »escrocs ».

Le faible taux de participation (38%) est d’autant plus embarrassant que M. Kenyatta avait mené une campagne active aux quatre coins du pays, avec son vice-président William Ruto, un Kalenjin, pour vanter son bilan économique, plutôt honnête.

Héritier dilettante

Mais, perçu comme l’incarnation d’une élite politique corrompue et peu concernée par l’intérêt général, et contesté pour sa gestion de la crise, il n’a pu convaincre au-delà de son ethnie et de celle de M. Ruto.

Uhuru, un multi-millionnaire éduqué aux États-Unis, avait été élu président en 2013, un demi-siècle après son père Jomo Kenyatta, le premier chef d’État (1964-1978) du Kenya devenu indépendant du Royaume-Uni.

Lui et son colistier étaient alors pourtant inculpés par la Cour pénale internationale (CPI) pour leur rôle dans les violences post-électorales de 2007-2008 (plus de 1.100 morts), où Kikuyu et Kalenjin s’étaient entretués.

Mais MM. Kenyatta et Ruto ont habilement transformé cette inculpation en atout politique, se dépeignant en victimes d’un tribunal « néo-colonial ». Ils ont plus tard été exonérés, faute de preuves, après la rétractation de témoins.

Charismatique et moderne pour les uns, héritier dilettante pour les autres, M. Kenyatta a passé une bonne partie de son premier mandat à se dépêtrer des accusations de la CPI, qui avaient amené de nombreux pays occidentaux à se détourner de lui.

Après l’abandon des poursuites à son encontre fin 2014, le Kenya est redevenu fréquentable. Il a accueilli le président américain Barack Obama puis le pape François.

Mais son mandat a aussi été marqué par les attaques meurtrières des militants islamistes somaliens shebab contre le centre commercial Westgate à Nairobi en 2013 et l’université de Garissa (est) en 2015.

Empire financier

Uhuru (« liberté » en swahili) est né le 26 octobre 1961, quelques mois après la libération de son père, emprisonné pendant près de dix ans par le pouvoir colonial.

L’empire financier de la famille Kenyatta comprend notamment l’entreprise laitière Brookside, la banque CBA (Commercial Bank of Africa), le groupe de média Mediamax et un groupe d’hôtels de luxe.

Elle est surtout le principal propriétaire terrien du Kenya, à la tête de plus de 200.000 hectares de terres achetées par Jomo au moment de l’indépendance, via un programme critiqué de transfert foncier à bas prix.

En 2011, le magazine Forbes avait estimé la fortune d’Uhuru à 500 millions de dollars (423 millions d’euros). Proche des gens – il parle aux jeunes en argot et esquisse régulièrement quelques pas de danse -, il n’a jamais vraiment fait oublier sa réputation de fêtard et le penchant pour la bouteille qu’on lui prête.

« Les handicaps de Kenyatta sont au moins aussi importants que ses forces. Il boit trop et n’est pas un bourreau de travail », écrivait mi-2009 l’ambassadeur américain à Nairobi dans un télégramme publié par Wikileaks.

Regard alourdi par de profondes poches sous les yeux, marié et père de trois enfants, Uhuru ne doit pas son ascension à son père, mais au successeur de ce dernier, l’autocrate Daniel arap Moi (1978-2002).

Celui-ci le propulse candidat de la Kanu à la présidentielle de 2002, suscitant l’ire des caciques de l’ex-parti unique. Battu, il devient le chef de l’opposition, avant de soutenir la réélection de Mwai Kibaki à la présidentielle du 27 décembre 2007, face, déjà, à Raila Odinga.

La contestation de la courte victoire de Kibaki dégénère en tueries politico-ethniques, qui lui voudront d’être inculpé par la CPI. Il entrera ensuite dans le gouvernement de coalition formé par M. Odinga, avant de se présenter à la présidentielle de 2013.

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