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Kate Middleton, une éducation anglaise

Comment une roturière peut-elle épouser un héritier du trône ? Le royaume a bien changé depuis la révolution des années Thatcher. La future « reine Catherine » en est le pur produit.

Sous la voûte de l’abbaye de Westminster, le 29 avril, juste avant de prononcer un « I do » qui fera pleurer la moitié du royaume, la jeune femme aura, comme il se doit, une pensée reconnaissante pour ses parents. Sans doute négligera-t-elle d’inclure dans ses prières une vieille dame à la santé déclinante, aujourd’hui recluse dans sa maison de Belgravia, mais dont la voix inimitable faisait trembler tout le pays, jadis, avant même que Catherine Middleton ne vînt au monde. Pourtant, si Kate peut aujourd’hui épouser William Windsor, si demain cette roturière doit devenir princesse de Galles, puis la « reine Catherine » – deux titres refusés à Camilla, seconde épouse du prince Charles, duchesse de Cornouailles et qui, à l’avènement de son mari sur le trône, n’aura droit qu’au titre de « princesse consort » – c’est bien par la grâce de Margaret Thatcher.

Ce mariage princier n’aurait jamais, en effet, été envisageable sans la révolution menée par l’ex-Premier ministre conservateur, une génération plus tôt. En secouant le vieux système de classes qui figeait la société britannique et en suscitant la naissance d’une nouvelle couche d’entrepreneurs, la Dame de fer, elle-même fille d’épicier, comme ne manquaient de le rappeler avec morgue les mandarins du parti tory, aristocrates à l’interminable lignée, a permis une mobilité sociale jusqu’alors interdite. Avant le mariage de 2011, seul un héritier du trône d’Angleterre, le futur Jacques II, avait osé épouser une roturière, une dame de compagnie de sa s£ur. La cérémonie fut secrète, mais le scandale, énorme. C’était en 1659. Depuis ce temps-là, les souverains britanniques se sont mariés au sein des familles royales d’Europe ou, à défaut, avec de jeunes filles bien nées du royaume. Le père de la reine Elisabeth prit pour femme lady Elisabeth Bowes-Lyon, fille d’un membre de la Chambre des lords. Charles épousa Diana, fille du huitième comte Spencer. A contrario, lorsque l’oncle d’Elisabeth, Edouard VIII, fit savoir, en 1936, qu’il voulait épouser l’Américaine Wallis Simpson, il souleva une telle réprobation qu’il dut abdiquer. La monarchie, le royaume et l’empire en furent ébranlés.

« Thé ou café ? » a-t-elle pu entendre sur son passage

C’est peu de dire que Catherine Middleton ne peut se targuer d’un noble lignage. Du côté de sa mère, Carole Goldsmith, fille d’un peintre en bâtiment, on trouve des ancêtres mineurs de Durham (nord-est de l’Angleterre) dont les destins miséreux retracent ceux anonymes de tant d’ouvriers de la révolution industrielle du XIXe siècle. Ironie de l’Histoire, des aïeux de Kate ont travaillé dans les mines qui appartenaient alors à la famille de feu la reine mère. Carole, elle, fut hôtesse de l’air à British Airways. Ce qui fit ricaner, semble-t-il, l’entourage le plus snob de William au début de son flirt avec la jeune Middleton ; « Attention, voilà la fille au chariot ! » ou bien « Thé ou café ? » a pu entendre Kate sur son passageà Autre faute de goût, indécrottablement plébéienne, c’est sur le lieu de travail, à British Airways, que Carole Goldsmith rencontra son futur mari, Michael Middleton, employé au sol de la compagnie. Michael est beau gosse et issu d’une famille bourgeoise plus qu’aisée, descendante de riches marchands de laine du nord de l’Angleterre et va hériter de plusieurs millions de livres. C’est le coup de foudre et un bond social en avant pour Carole. Ce ne sera pas le dernier.

Si elle ne tarit pas d’éloges sur Kate, dont la popularité est un gage de forts tirages, la presse britannique, d’ordinaire si cruelle, a hésité sur l’attitude à avoir vis-à-vis de la future belle-mère de William. Certes, elle a salué le symbole de l’ascension sociale qu’incarneraient les futurs beaux-parents du prince. En créant en 1987 – l’année de la troisième victoire électorale de la Dame de fer – une société de vente par correspondance d’accessoires pour goûters d’enfants, Party Pieces, les Middleton ont accompli ce rêve britannique exalté par Margaret Thatcher, puis le New Labour : sortir de sa condition, travailler dur et devenir entrepreneur. Les déguisements, les pochettes-surprises et autres accessoires festifs se sont révélés un bon filon : l’entreprise prospère. Cette incontestable réussite n’a pas empêché les tabloïds de faire leurs choux gras des gaffes présumées de Carole. Chacun de ses faux pas, réel ou non, a suscité les quolibets, du bien familier « Pleased to meet you ! » (Heureuse de faire votre connaissance !) qu’elle aurait lancé à la reine, lors de la première présentation, au désespéré « Où sont les toilettes ? » glissé lors d’une réception à Buckingham, sans oublier le chewing-gum mastiqué lors d’une revue à l’académie militaire de Sandhurst durant laquelle l’élève officier William défilaità En outre, la presse a rapidement déniché les parents encombrants. Une photo du jeune frère de Kate, James le fêtard, travesti en femme, a circulé sur Internet. Quant au truculent Gary, frère de Carole, enrichi par la promotion immobilière et installé au soleil, dans l’île d’Ibiza, il a été piégé, l’an dernier, par des journalistes qui avaient masqué leur identité : ils étaient si sympathiques qu’il s’est cru obligé de leur fournir drogue et prostituée.

Aucune de ces révélations n’a pour autant éclaboussé la vibrante et discrète Kate. Laquelle a pris grand soin d’incarner sans scandale la jeunesse dorée de Londres. Elle habite le chic quartier de Chelsea, dans un joli appartement acquis par ses parents ; longtemps, elle fit son shopping sur Sloane Street, le rendez-vous obligé des BCBG de la capitale, avant de se tourner, rang oblige, vers des stylistes ; elle dîne dans les restaurants français de Mayfair ; surtout, elle conserve un port de tête impeccable lorsque les photographes la surprennent, à la sortie d’une boîte, à 3 heures du matin avec un « Big Willy », comme elle l’appelle tendrement, moins assuré de sa démarche qu’à l’ordinaire. Bref, elle est le pur produit d’une éducation anglaise réussie. Celle-ci ne doit rien au hasard mais tout à la stratégie d’une mère légitimement ambitieuse. Dès que l’entreprise familiale leur a procuré un confort financier, les parents Middleton se sont empressés d’envoyer leurs enfants dans une de ces public schools, qui, contrairement à ce que leur nom semble indiquer, sont privées et plus élitistes les unes que les autres. A Marlborough College, une austère pension au c£ur du Wiltshire, les pelouses soigneusement tondues en bandes inversées encadrent les édifices de style géorgien et faux Tudor bâtis autour de l’église gothique. Depuis l’époque de la reine Victoria, l’aristocratie envoie ici ses rejetons.

Elisabeth II juge que c’est une « gentille fille »

Pour les nouvelles fortunes, à leur tour admises, c’est l’endroit idéal pour élargir le réseau social de leurs enfants. Le coût d’une année de pension équivaut à 35 000 euros. A Marlborough, Catherine, blazer marine et jupe en tartan de rigueur, découvre la jeunesse dorée du royaume et ses rites, auxquels elle se plie volontiers. Des études, mais pas trop. Du sport, surtout. Mais pas n’importe quelles disciplines : tennis, aviron, hockeyà Elle va aussi travailler cet accent posh, devant lequel aucune grille de château ne saurait résister. Comme nombre d’adolescentes, la jeune fille soupire devant les photos de William, cet orphelin rougissant au sourire timide. Scolarité sans histoires. « Gap year », la traditionnelle année d’oisiveté au sortir du secondaire – avec sa bande insouciante de Marlborough : cours d’italien en Toscane, voile à la Barbadeà Mais vient le temps de choisir l’université. Poussée par sa mère, selon le journaliste Christopher Andersen, auteur de William and Kate. A Royal Love Story (Simon and Schuster), Kate s’inscrit à St Andrews, où, a annoncé St James Palace, William va entrer à l’automne 2001. Elle n’est pas la seule à espérer croiser l’héritier. Les demandes d’inscription dans l’établissement écossais augmentent de 44 % cette année-là. De fait, parmi toutes les jeunes étudiantes papillonnantes, c’est Kate que William va distinguer. Entamée à St Andrews, la romance princière peut s’épanouir.

Pourquoi Elisabeth II a-t-elle accepté, apparemment de bonne grâce et, en tout cas, assez vite, comme le confirme l’invitation dans son château écossais de Balmoral à l’été 2005, que son petit-fils, le futur roi, épouse une roturière ? « Never complain, never explain » étant la devise de Buckingham, on en est réduit aux conjectures. Il est pourtant sûr que le choc du divorce de trois de ses quatre enfants et les scandales causés par les frasques de Diana et de Sarah Ferguson, ex-épouse d’Andrew, ont pu bouleverser les certitudes d’une monarque si soucieuse de l’étiquette. Des échos ont filtré, en outre, confirmant que la reine jugeait que Kate était « une gentille fille » et qu’elle lui sait gré de son influence sur William. Comprenez, son bon sens.

Renouveler l’assise populaire de l’institution

Peut-être aussi le Palais s’est-il résigné à céder ce qui doit l’être à l’air du temps. Longtemps, les Windsor ont regardé avec mépris ces monarchies scandinaves qui affichaient un train de vie modeste, à leurs yeux incompatible avec la nécessaire magie qui doit entourer l’institution. Mais le royaume change. Sous la pression populaire, Elisabeth II a dû renoncer, dès 1994, au yacht royal Britannia, consentir à avoir des gardes de couleur à Buckingham Palace, se résoudre à payer des impôts. L’ampleur du désaveu populaire qui a frappé la famille royale à l’été 1997, lors de la mort de Diana, quand la reine refusait d’interrompre ses vacances dans son château de Balmoral et de mettre le drapeau en berne à Buckingham, a servi d’alarme. Pour maintenir au XXIe siècle une anomalie démocratique telle que le principe de la monarchie héréditaire, il faut désormais renouveler régulièrement l’assise populaire de l’institution. Et donner, par conséquent, des gages de modernité. Une étude publiée le mois dernier indiquait que l’immense majorité des Britanniques se revendique désormais de la « classe moyenne ». Le nombre de ceux qui assument leur appartenance à la « classe supérieure » (upper class) est statistiquement insignifiant : moins de 1 %.

En donnant, comme le requiert la tradition, sa permission pour que le futur William V épouse Miss Middleton, Elisabeth II prend acte de la révolution silencieuse conduite par ses sujets. Et c’est ainsi qu’une petite fille qui jadis testait les costumes de princesse de l’entreprise familiale deviendra demain la reine Catherine.

DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL JEAN-MICHEL DEMETZ

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