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Kandahar, la guerre du coeur

Les blindés de l’Otan n’entreront pas dans la grande ville du Sud de l’Afghanistan, fief historique des taliban. C’est par la politique que les alliés espèrent convaincre les habitants de se rallier au régime de Kaboul. Pas gagné…

Par Dominique Lagarde, Eric de Lavarène

Le problème le plus grave, ce n’est pas l’insurrection, c’est le manque de confiance de la population. » Haut représentant civil du secrétaire général de l’Otan en Afghanistan depuis janvier dernier, le Britannique Marc Sedwill défend avec conviction la nouvelle stratégie de l’Alliance atlantique, celle d’une guerre très politique dont l’objectif est de gagner « les coeurs et les esprits » pour réduire l’influence des taliban. « Ils ne sont pas populaires, ajoute-t-il, mais savent exploiter les doléances des gens. »

La première étape de cette nouvelle campagne conduite initialement par le général Stanley McChrystal, patron récemment limogé des forces de l’Otan, a débuté il y a quatre mois dans la vallée du Helmand, plus à l’ouest. Mais c’est à Kandahar, la grande ville pachtoune du Sud afghan, fief historique des taliban, que se jouera l’échec ou la réussite du « surge » (la montée en puissance) décrété au début de l’année par Barack Obama. Et, par conséquent, l’avenir de la guerre.

Depuis le début de l’année, les forces spéciales ont pris pour cible de nombreux chefs locaux de la rébellion. Baptisée « Hamkari » (Coopération), l’opération proprement dite a, elle, commencé dans la discrétion voilà quelques semaines. A la différence de ce qui s’est passé dans la vallée du Helmand, les alliés ne prévoient pas d’offensive massive. « Il n’y aura pas de jour J », souligne-t-on au quartier général de l’Otan à Kaboul. Pas question non plus de faire entrer des blindés dans l’agglomération. Les opérations militaires seront limitées aux districts ruraux environnants.

En ce qui concerne la ville, chaudron poussiéreux et anarchique où les femmes sous leur burqa ne sont que des ombres furtives, une mission d’évaluation est à pied d’oeuvre depuis le mois de mai. Les policiers et les fonctionnaires seront en première ligne. Une vingtaine de postes de contrôle, tenus par la toute nouvelle gendarmerie afghane, appuyée par un bataillon de parachutistes américains, seront établis à la périphérie de la ville. Parallèlement, la coalition compte beaucoup sur l’établissement, dans les différents quartiers, d’une dizaine de shuras (assemblées consultatives). L’objectif est d’introduire une représentation plus égalitaire des différentes tribus et de permettre à des populations jusqu’ici exclues de se faire entendre, dans l’espoir qu’elles seront moins inclines à se tourner vers les taliban.

Pour réussir cette restructuration du champ politique, les alliés tablent sur la détermination du gouverneur de la province, Tooryalai Wesa, un ingénieur agronome qui a passé plus de dix ans au Canada et qu’ils ont pris sous leur aile. Ils savent aussi que cela prendra du temps : le général McChrystal reconnaissait il y a peu qu’il leur faudrait progresser plus lentement que prévu.

Un scepticisme partagé

Reste à savoir si l’Otan est en mesure de relever un tel défi. Même haji Mohammad Anas, l’un des vice-gouverneurs de la province, ne cache pas son scepticisme. « Les attentes ont été déçues. La population n’espère plus rien de nous, et moins encore des étrangers. La plupart des habitants sont au chômage. Les usines ne tournent que partiellement, faute d’électricité ; nous manquons d’infrastructures, de système d’irrigation. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les taliban n’aient aucun mal à trouver de nouvelles recrues ! »

Un scepticisme partagé par le mollah Hekmatullah Hekmat. Ce dignitaire religieux, responsable de la shura des ulémas (théologiens) de la province, a été contacté par les alliés qui ont sollicité sa collaboration. Turban noir et petite barbe mal taillée, l’homme reçoit dans une pièce exiguë qui lui sert de bureau et de studio de diffusion. Il dirige en effet une radio qui émet en ville et dans les environs. Au programme, des chants religieux, des cours de Coran, des conseils pour lutter contre le vice et vivre dans la vertu… « Les Américains sont venus me voir pour me demander des conseils, confie le religieux, ils m’ont interrogé sur la façon dont ils pouvaient mener leur opération tout en respectant notre culture. Je leur ai conseillé de se comporter avec plus de respect vis-à-vis de la population. Si les militaires étrangers continuent de fouiller nos maisons et de tuer des civils, cela ne servira à rien d’appeler les jeunes à déposer les armes ». Pour le mollah Hekmatullah Hekmat, la paix passe par de vraies négociations avec les chefs de l’insurrection.

Car accepter, à Kandahar, de collaborer ouvertement avec la coalition peut coûter la vie. En réponse aux projets de l’Otan, les taliban ont lancé une campagne d’exécutions ciblées qui vise tous ceux qui se rendent coupables d' »intelligence avec l’ennemi ». L’une des toutes premières victimes fut, le 19 avril dernier, le maire adjoint de l’agglomération, Azizullah Yarmal, assassiné alors qu’il priait dans la mosquée de son quartier. « Nous avons tous un cousin, un oncle ou un frère qui a rejoint les taliban. En ville, ils sont partout, eux ou leurs sympathisants. Etre vu avec des étrangers, ou en train de pénétrer dans un lieu financé ou dirigé par des étrangers, c’est être en danger de mort », explique Muhammad Masomee, correspondant à Kandahar de Tolo TV, première chaîne privée du pays.

La présence des taliban n’est pas le seul défi auquel l’Otan sera confrontée à Kandahar. « La coalition, affirme Carl Forsberg, auteur d’une étude sur Kandahar pour un centre d’analyse américain proche du Pentagone, n’a aucune chance de réconcilier la population avec le gouvernement si celui-ci ne parvient pas à marginaliser la petite oligarchie qui s’est imposée grâce aux armes et à l’argent. » Le « principal obstacle », prédit-il, sera Ahmed Wali Karzaï.

Demi-frère du président afghan et chef du clan Popolzaï, celui-ci a mis la ville en coupe réglée. Son pouvoir sans partage, qui explique en grande partie l’influence des taliban, seule force d’opposition crédible aux yeux des Kandaharis, est directement lié à de juteux contrats passés avec l’Otan ou d’autres organismes étrangers. L’un des cousins d’Ahmed Wali Karzaï dirige l’une des plus grosses sociétés privées de sécurité du pays, l’Asia Security Group, et deux de ses proches sont à la tête de l’entreprise Watan Risk Management, qui assure notamment la sécurité des convois venant de Kaboul. Selon Carl Forsberg, ses réseaux lui permettent de contrôler la quasi-totalité des routes d’accès à la ville.

Président du conseil provincial, il a organisé sa montée en puissance en s’imposant comme un intermédiaire obligé pour tous ceux, notables ou chefs de tribu, qui souhaitent accéder à l’aide internationale.

A deux reprises, en novembre 2009 puis au printemps dernier, l’ambassadeur américain à Kaboul a tenté d’obtenir du chef de l’Etat afghan qu’il éloigne son frère en lui proposant un poste d’ambassadeur. En vain. Le général McChrystal et Mark Sedwill ont fini par se rendre à l’évidence : il faudra faire avec Ahmed Wali Karzaï. Et, d’ailleurs, avec Hamid Karzaï, qui de plus en plus joue son propre jeu sans y associer Washington ou l’Otan. Reste à savoir comment…

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