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Kagame au double visage

Le 9 août prochain, l’élection présidentielle au Rwanda devrait consacrer pour un second terme Paul Kagame, champion du développement pour les uns, impitoyable dictateur pour les autres.

Par François Janne D’Othée

Au lieu de bourrer les urnes, on peut aussi les alléger. Paul Kagame est tellement assuré de gagner haut la main l’élection présidentielle du 9 août que les autorités pourraient être tentées de raboter son score pour le rendre plus crédible. Cela s’était déjà produit en 2008, avec la victoire du Front patriotique rwandais (FPR, le parti au pouvoir) lors des législatives. Cette fois-ci encore, l’ancien chef rebelle n’a rien à craindre. Ses challengers sont en prison, en exil ou, comme Victoire Ingabire, assignés à résidence, tandis que les trois concurrents déclarés ne sont que des figurants dépêchés par le système en place pour donner l’illusion d’une élection démocratique.

La réélection, pour sept ans, de Kagame devra beaucoup à la peur. Celle des rescapés du génocide, qui voient en l’ex-rebelle le sauveur de la nation et le protecteur de la minorité tutsi. Celle de la majorité des citoyens, embrigadés dans un système FPR qui quadrille le pays jusqu’aux collines les plus reculées. Les meetings électoraux de Kagame, qui rassemblent des foules gigantesques (150 000 personnes à Byumba le 2 août !), ne doivent pas faire illusion. « Les gens sont obligés d’y assister, on les y emmène avec les camions de l’Etat, témoigne Esther (1), une opposante tutsi. Ils s’y rendent comme ils se rendent chaque dernier samedi du mois à l’umuganda (travaux collectifs obligatoires). Ils devront montrer au retour dans leur village le cachet prouvant qu’ils ont voté. »

La campagne a été marquée par de sérieux incidents, signe que cette deuxième élection post-génocide s’inscrit dans un climat plus tendu qu’en 2003. Attentats à la grenade, assassinats d’un journaliste et d’un transfuge du FPR, tentative d’assassinat contre un général en exil… A Kigali, la presse est bâillonnée, les opposants, arrêtés ou intimidés, et l' »idéologie génocidaire », brandie comme prétexte pour éliminer des gêneurs. Pourquoi tant de nervosité, alors que Kagame est assuré de sa victoire ? Une des raisons principales : le discours d’opposition n’est plus confiné aux milieux en exil, il résonne désormais au c£ur même de la capitale rwandaise.

L’opposition hutu semble cependant moins menaçante pour le régime que les rivalités au sein même du pouvoir tutsi, avec en arrière-fond certains clivages claniques qui datent de la royauté. Il ne se passe plus une semaine sans qu’un officier de haut rang ou un directeur soit arrêté ou muté. Dès qu’un individu semble prendre trop d’ascendant, il devient suspect. Même si, en apparence, tout semble calme dans les rues, la paranoïa est omniprésente. Le Rwanda est comme le lac Kivu : calme en surface, mais avec des poches de gaz prêtes à exploser à tout moment.

Le président Kagame lui-même est un personnage au double visage. D’un côté, le visionnaire qui a donnéà son pays une impulsion unanimement saluée par les bailleurs de fonds. La croissance est à 6 %, l’espérance de vie et le taux d’alphabétisation sont en augmentation. Le Rwanda figure parmi les 10 pays africains les moins corrompus. Dans la capitale (désormais noyautée par l’élite tutsi), les tours se construisent et les avenues s’élargissent. Partout dans le pays, et même le long des pistes, des creuseurs percent les tranchées pour la fibre optique, qui fera du Rwanda un des pays les plus connectés du continent. L’homme a également aboli la peine de mort et relâché des milliers de présumés génocidaires.

Européens peu critiques

Mais Kagame présente une autre face. Le dictateur qui impose un modèle de société sans la moindre concertation, oubliant que les paysans ne se nourrissent pas d’Internet. Le revanchard qui veut effacer jusque dans la toponymie trente-cinq années de domination hutu. Le chef qui méprise avec une arrogance rare ceux qui prétendent discuter son pouvoir. Le regard du longiligne président peut également se faire glacial lorsqu’on ose aborder la question des massacres commis par le FPR en 1994 et qui n’ont jamais été sanctionnés par le Tribunal international d’Arusha, pourtant compétent en la matière.

Tétanisés par l’homme fort du Rwanda, les Européens, qui traînent comme un boulet leur inaction pendant le génocide de 1994, travaillent la main dans la main avec le régime. Certains ambassadeurs participent même à l’entreprise de décrédibilisation de l’opposition, en avançant qu’il n’y a pas d’alternative à Kagame. De Bill Clinton, qui a lancé des projets dans le pays, à Tony Blair, devenu son conseiller, nombreux sont ceux qui continuent de voir en l’ex-rebelle le modèle du « nouveau leader africain », mais qui, au terme du prochain mandat, totalisera tout de même vingt-trois ans à la direction du Rwanda.

Curieusement, l’UE n’enverra pas de mission d’observateurs pour surveiller le scrutin, alors qu’elle vient d’en envoyer une au Burundi. « Nous avons dû faire des choix », justifie-t-elle. En 2003, les observateurs avaient relevé plusieurs irrégularités, mais Louis Michel, alors ministre des Affaires étrangères, les avaient balayées d’un revers de la main. En 2008, certaines sources ont rapporté que le chef de la mission d’observation, un Britannique homosexuel, aurait noué un étrange deal : une édulcoration du rapport d’évaluation en échange d’un adoucissement d’un projet de loi réprimant l’homosexualité…

Aujourd’hui, le vent est en train de tourner. L’UE s’est officiellement inquiétée de la tournure des événements au Rwanda, sans toutefois exercer de sanctions financières. Or seul ce type de pression a des chances de réussir dans un pays qui dépend à 60 % de l’aide extérieure. Récemment, Kagame a subi une gifle en Espagne : sous la pression d’ONG qui ont rappelé l’assassinat toujours impuni de missionnaires espagnols, le Premier ministre Zapatero a refusé de coprésider avec lui une réunion de l’ONU. Une première. Les Occidentaux commencent à comprendre qu’à trop vouloir sacrifier les libertés démocratiques sur l’autel du développement, on ne fait que rééditer les erreurs du passé.

(1) Nom d’emprunt.

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